Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 5 - Le Chippendale) - Fragment 25-26-27

Par Blackout @blackoutedition

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV, L'ESPRIT SLAVE

Photo de Simon Woolf

Saison 5 : Le Chippendale

Fragment 25

Quand la porte en carton s'ouvre, je n'en crois pas mes yeux. L'intérieur du clip-car a été aménagé en studio live, avec une caméra sur pied, plusieurs panneaux LED et des mousses antibruit sur les murs... il y a même un micro monté sur perche et une console informatique. Mais le plus délirant, ce sont les deux acteurs plantés sur le tapis de sol.
Y'a ce gars recroquevillé dans un body en latex avec des fermetures éclair à chier partout, une cagoule en chewing-gum ouverte au niveau de la bouche et des attaches qui le lient à des crochets fixés au plafond. Puis il y a ce deuxième acteur improbable... une bonne vieille connaissance... plus un accessoire qu'un acteur, en réalité... le fameux cône en caoutchouc d'un mètre de hauteur... avec sa touche de Nordmann et sa belle couleur vert foncé... sa tête en pointe et son pied circulaire d'un mètre de large... le sapin-godemiché.
Alors je devine illico qui se cache derrière le complet-veston capote, l'instigateur de mon kidnapping, le taré du cul qui jouit tant de ses chaînes que des miennes : le gérant du Lovestore.
Tandis que l'un des deux faux policiers s'installe dans la cabine du réalisateur, l'autre appuie son Sig Sauer entre mes omoplates pour me faire avancer dans le champ de la vidéo.
Monsieur Tokarev, j'ai rêvé de cet instant dès que je vous ai vu bloquer devant mon article préféré. Navré cependant d'avoir usé de la force pour vous désinhiber.
Vous en faites pas, c'est pas la première fois qu'on me braque avec un calibre.
Comme je m'y attendais, le porte-flingue pointe son Sig Sauer sur le décor où je suis censé faire mon entrée. Recta, je lui défonce la pomme d'Adam d'un direct explosif et le gun lui tombe des mains. Deux coups de savate s'ensuivent : un dans ses baloches et l'autre dans la tronche du Marylin Manson saucissonné par terre... enfin, je défonce l'entrée d'un coup d'épaule et taille, nu comme un ver, dans l'écheveau de la nuit.

Fragment 26

Quand on court à poil dans la forêt, le plus emmerdant n'est pas d'avoir les pièces à l'air, mais d'avoir des rameaux, des brindilles et des caillasses dans les panards. Et je cavale coudes au corps sur le chemin pour éviter de me perdre et rejoindre la route à coup sûr.
Il me semble entendre des aboiements de clébards à mes trousses, une hallu sonore émanant du méli-mélo des craquements de branches, de mon propre souffle et de mes égarements.
Finalement j'ai du pot. Le sentier se jette en plein dans une départementale et je tombe de but en blanc sur une bagnole. Des cris de nanas percent l'habitacle et, réaction prévisible, on remet la gomme à la vue du vicelard désaxé qui sort de la brousse. Un saut d'écureuil dans le talus me sauve les noisettes et je me dis qu'il va falloir y aller mollo.
Alors je ramasse un tas de feuilles et cache mes parties d'une main, tandis que l'autre fait le signe du pouce en l'air. Cette fois, mon plan fonctionne : un break familial s'arrête devant ma touche de tapin du Bois de Boulogne, la vitre conducteur se baisse et une voix familière m'interpelle :
Kalache, c'est toi ?
Bernard ? Sonia... putain j'y crois pas ! Je suis dans un bain d'emmerdements complètement délirant.
Kestu fous là, tout nu en plein milieu des bois ? Tu t'es fait jeter d'un plan cul ?
Non, c'est pas ce que tu crois. Des tarés m'ont kidnappé pour me foutre un sapin dans le cul... 'fin c'est trop le bordel à expliquer. Magne-toi d'ouvrir, je me les gèle.
Attends, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
C'est pas le moment de discuter. Je suis largué, dépouillé, j'ai plus de fringues et plus de clés... Je suis cuit de chez cuit. Grouille-toi d'ouvrir, nom d'un chien !
C'est pas une bonne idée, Kalache. Je suis désolé.
Kestu me chies ?
Vaut mieux pas qu'on nous voie ensemble... surtout par rapport à Sonia... pas dans ces conditions en tout cas... je te rappelle qu'on est tous les trois fonctionnaires...
Sonia, dis quelque chose !
Il y a une ferme à cinq cents mètres en aval. Ils t'aideront, c'est certain... sans engager leur réputation dans une affaire douteuse.
Arrête tes foutaises et ouvre la porte, à la fin !
Bonne chance, Kalache.
Quoi ?
On se capte à la salle demain.

Fragment 27

Quand je vois le break familial crever dans la nuit, je me dis que je peux laisser tomber mes 100 billets. Bernard m'a lâché comme un pet pour éviter de salir sa réputation de « gros con de prof qui pue ».
Tout en trimballant ma carcasse à oilpé sur l'ourlet de la départementale, je réalise avoir toujours été plus proche des Frédos schlingueurs que des Bernard faussement proprets.
Puis quand j'arrive au niveau de la haie de thuyas qui ceint la propriété, je secoue la broussaille pour voir s'il n'y a pas de clébard à l'horizon. Pas de réaction... j'enjambe le portail et planquouze derrière un bosquet de noisetiers pour tâter la zone. À travers la baie vitrée qui donne sur un séjour scandinave et girly, je grille une cascade de cheveux blonds qui chutent sur le dos d'un canapé. Vu qu'il n'y a qu'une seule petite bagnole garée dans la cour, j'en déduis qu'il s'agit d'une nana sans compagnon... le nec plus ultra dans ma situation.
Je la joue donc en état de choc, à genou devant la maison, chialant les pattes autour des couilles. Des bruits de talons résonnent et la porte-fenêtre s'ouvre :
Monsieur Tokarev ? Que faites-vous dans mon jardin, nu comme un ver ?
Ah !
Et comment vous avez retrouvé mon adresse ?
Madame Jolie ?
Ça sera Madame la Commissaire, pour vous. 

Richard Palachak

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