(Note de lecture) Layli Long Soldier, Attendu que, par Alexandre Ponsart

Par Florence Trocmé


Attendu que
se compose de deux parties : « voici les préoccupations » et « attendu que ». La quatrième de couverture explique que l’ouvrage est une réponse à la résolution du Congrès américain d’avril 2009 « qui formulait les excuses du gouvernement américain aux Indiens (...) mais passée inaperçue... et restée lettre morte. »
Deux parties. La première met en avant les préoccupations de l’auteur, à savoir la langue. Plus précisément la question du passage d’une langue à une autre. « Comment écrire dans la langue de l’occupant, parce que sa langue propre a été interdite, que de ce fait, ‘pauvre en langue’, ne lui reste plus qu’à secouer la morte ». En effet, la résolution du Congrès vient présenter des excuses en langue anglaise. Or, l’auteur nous indique que le mot « excuse » n’a pas d’équivalent en langue indienne.
Le lecteur se retrouve immergé dans un échange, une circulation de va-et-vient dans la langue indienne, primitive. Ce mouvement permet aux mots de prendre une place à part de faire la part belle à l’écriture. Nous devons lire les mots et ce qu’ils impliquent comme conséquence : Les Dakotas mouraient de faim. Les Dakotas moururent de faim. (...) S’ils ont faim, qu’ils mangent de l’herbe. (...) Quand le corps de Myrick fut trouvé, sa bouche était farcie d’herbe. » Ce travail d’écriture l’auteur se l’impose : « parce que je dois l’écrire pour le voir virgule je supplie le dictionnaire d’apprendre un mot pour ‘pauvre’ virgule dans un langage que j’ose appeler ‘mon’ langage virgule qui suis-je. »
L’auteur vient prendre appui sur le vocable juridique « attendu que » afin de tourner en ridicule cette résolution. « ATTENDU QUE l’expression attendu que signifie étant donné que, ou bien vu que, ou alors qu’au contraire ; est un qualificatif ou une affirmation préliminaire, une conjonction, un connecteur. Attendu que met la table. La nappe. Les salières et les assiettes. Attendu que m’appelle à table. » Or, en droit, « attendu que » est l’élément d’une série destinée à développer l’exposé de l’affaire et se termine, avant l’énoncé du dispositif, par la formule « par ces motifs ». Chaque attendu vient énoncer un point de fait ou de droit ainsi que, parfois, les phases de la procédure. Ici, l’auteur use et abuse de ces termes pour arriver à cette conclusion :
« Attendu que mes yeux se posent sur le littoral de ‘l’arrivée des Européens en Amérique du Nord a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des peuples premiers’. En d’autres circonstances, je déteste l’acte. »
Layli Long s’attache (et s’attaque) à commenter chaque déclaration du Congrès : « est un acte/ d’analyse et de re/structuration d’idées/ complexes en de plus/ simples je place/ un crochet noir/ de chaque côté d’/une (idée) je la cerne. » Mais, ce travail demande un effort considérable et l’auteur se dit « fatiguée » « quand je grimpe sur le dos des langues, les chevauche et les conduis jusqu’à l’épuisement. »
À la fin, la terminologie juridique se retourne contre elle pour laisser place au poème, à la poésie, à la vie.
Toute expérience est faite à
   trave
   r
     s
   le
   corps
m’a dit quelqu’un.
Alexandre Ponsart
Layli Long Soldier, Attendu que, Isabelle Sauvage, 2021, 122 pages, 24€
Extrait
J’ai réfléchi attentivement à certains termes en anglais, la langue dans laquelle les excuses sont écrites. De même, puisque les excuses sont destinées aux premiers habitants d’Amérique, j’ai pensé aux langues amérindiennes. Pendant des mois, je me suis attardé sur le mot « excuses ». Comme vous le savez peut-être déjà, dans beaucoup de langues amérindiennes, il n’y a pas de mot pour dire « excuse ». Pareil pour « désolé ». Cela ne veut pas dire que dans les communautés des premiers habitants d’Amérique où le mot « excuse » n’est pas prononcé, il n’existe pas d’actions explicites pour admettre et réparer un méfait.