Jules RENARD, critique littéraire

Par Bruno Leclercq


Bonne Dame d'Edouard Estaunié, par Jules Renard
Je commençais ici, en septembre 2007 la publication des chroniques littéraires de Jules Renard, restées inédites, parues dans le Mercure de France. Celles-ci, d'autres à venir, m'avaient échappé. Une édition complète de ces chroniques montrerait un Jules Renard critique bigrement original, toujours drôle et léger, éclectique dans ses goûts. Utilisant des formes variées, la construction de ces articles critiques, surprennent et séduisent, quelque soit le livre dont il est question. C'est en écrivain que Renard aborde la critique et c'est en créateur qu'il rend-compte de ses lectures. Et, traditionnelle cerise sur la crème nappant la tarte du même nom, ces petites chroniques peuvent (doivent) être l'occasion de lire les livres évoqués. Faudra t'il donc, que le syndicat des ultimes lecteurs d'Estaunié en vienne à des mots d'ordre extrémistes, ou le prosélytisme de Michel Ohl conjugué à la patience têtue du Préfet maritime régnant sur l'Alamblog suffiront-ils pour que l'hypothétique « lecteur français » se penche sur l'oeuvre de notre inspecteur des Postes et Télégraphes ?
Le 2 mars 1894 Renard notait dans son journal :
- Faguet est « enthousiasmé » de Bonne Dame, dit Estaunié.
Bonne Dame d'Edouard Estaunié. Mercure de France, "Les Livres", janvier 1892
- A : Je trouve ce livre-là très beau. - B : Avez-vous noté les maladresses ? - A : Monsieur Edouard Estaunié est un garçon plein de talent. - B : Vous en parlé familièrement, mais il manque de métier, mais il manque de métier. - A : J'ai en horreur les professionnels. - B : Avouez que « Bonne Dame » est malheureuse un peu longuement. On n'est pas malheureux comme ça. Elle a l'air de souffrir exprès, pour obtenir une médaille. - A : J'aime « Bonne Dame » entièrement, y compris son argot original. - B : C'est original d'estropié des mots ? - A : Citez moi beaucoup de « jeunes » capables de faire vivre un pareil type pendant trois cent pages ? - B : Il se mourait depuis la centième. - A : Au moins, goûtez-vous, comme-moi, les images nombreuses ? - B : Les meilleures m'auraient suffi. - A : Rappelez-vous : « Bonne-Dame roule, roule, au lieu de marcher, semblable à quelque cloche tombée sur terre, faute d'ailes, pendant le voyage du jeudi-saint » ; et encore : « La ligne télégraphique semblait une quintuple portée sur laquelle des oiseaux marquaient des notes ». Et Caetera ! Et caetera ! Les lettres de Féfé sont vraiment exquises. - B : Exquises, les lettres d'une petite fille mal élevée ! Vous vous démoralisez. - A : Le voyage à Montauban est un pur chef-d'oeuvre. - B : Cela vous amuserait, vous, d'attendre dix heures dans la neige la correspondance d'un train ? - A : Je ne sais rien de plus navrant que le séjour de « Bonne Dame » chez sa fille. - B : Quel gendre a jamais traité de la sorte une belle-mère riche ? - A : Rien de plus lamentable que son abandon, sa fuite à Paris, son bonheur enfin, à l'asile, de sacrifiée incorrigible. - B : L'auteur est de votre avis. A propos, pourquoi montre-t-il toujours le bout de ce qu'il pense ? Que nous importent des phrases de ce genre : « Il faut avoir connu les grandes douleurs pour pratiquer les grandes indulgences à l'égard de l'âpre vie » - ou bien : « De même que la santé morale est le principe facteur du bien-être physique, ainsi l'existence...... » - ou mieux : « Les coeurs aimants sont les plus inconséquents ». - A : Bref, mon petit, puisque vous êtes malin, faites-en donc autant. - B : Oh ! Si vous en venez aux personnalités !.....
J. R.

Sur Edouard Estaunié : Octave Mirbeau, Edouard Estaunié et « L'Empreinte » par Pierre Michel.

En 2010 on « fêtera » le centième anniversaire de la mort de Jules Renard. Voir le judicieux guide de recherches sur le site de la ville de Nevers.

Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892)
La Force des chosespar Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Jules Renard sur Livrenblog :
Portrait par Pierre Veber, Sous-Bois, Les Lutteurs.