La Griselda par la Fenice au Teatro Malibran de Venise — La rencontre de Vivaldi et de Goldoni

Publié le 01 mai 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco


© Michele Crosera – Teatro La Fenice


La Fenice de Venise poursuit son parcours de redécouverte de l'œuvre lyrique de Vivaldi : après l'Orlando furioso en 2018, Dorilla in Tempe en 2019 et, plus récemment, en 2021,  Farnace, le théâtre célèbre théâtre vénitien propose du 3 au 8 mai au Théâtre Malibran une toute nouvelle mise en scène de La Griselda par Gianluca Falaschi, sous la direction de Diego Fasolis. En attendant de rendre compte de cette nouvelle production, après la représentation du 8 mai, rappelons une anecdote fameuse de la genèse de cet opéra.

Portrait d’un violoniste vénitien du XVIIIe siècle, 
généralement considéré comme étant celui de Vivaldi. Peintre inconnu.


Vivaldi a écrit La Griselda en 1735 pour mettre en valeur la mezzo-soprano Anna Girò, qui était proche de lui tant sur le plan musical que personnel. Le sujet de l'opéra est tiré du conte italien médiéval de la patiente Griselda, raconté par Boccace et Chaucer comme un exemple de constance féminine dans les épreuves les plus cruelles. C'est avec Griselda que Vivaldi, jusqu'alors considéré comme un compositeur trop médiocre pour être joué dans les plus beaux théâtres de Venise, a finalement pu entrer dans le très en vogue Teatro Grimani di San Samuele. Six personnages chantent une variété d'arias simili dont les textes font référence à des tempêtes, des oiseaux, des flèches, etc., chacune avec les illustrations musicales fantaisistes bien connues des concertos de Vivaldi.
Charles-Guillaunme Rabani relatait la rencontre de Goldoni et de Vivaldi dans Carlo Goldoni. Le théâtre et la vie en Italie au XVIIIe siècle, un livre paru à Paris en 1896. 
Griselda — Tragedia di tre atti, in versi, sulle traccie di quella di Apostolo Zeno e di Pietro Pariati.  Giselidis — Tragédie en trois actes et en vers, imitée d’Apostolo Zeno et de Pietro Pariati. Goldoni raconte dans une des plus jolies scènes de ses Mémoires (t. I er , p. 287), comment il eut l’idée de ce sujet, qu’il avait d’abord traité sous la forme de l’opéra. Il avait été chargé par le noble Grimani d’arranger pour le théâtre San Samuele à Venise la Griselda d’Apostolo Zeno et de Pariati. L’auteur de la musique était l’abbé Vivaldi qui, suivant un mot connu, dînait de l’autel et soupait du théâtre. Envoyé chez lui par Grimani, pour s'entendre avec le compositeur sur les changements à faire, Goldoni trouve l’abbé occupé à lire son bréviaire. Il convient ici de citer textuellement le reste de la scène :
— Monsieur, lui dis-je (c’est Goldoni qui parle), je ne voudrais pas vous distraire de votre occupation religieuse ; je reviendrai dans un autre moment. — Je sais bien, mon cher Monsieur, que vous avez du talent pour la poésie; j’ai vu votre Bélisaire, qui m’a fait beaucoup de plaisir, mais c’est bien différent. On peut faire une tragédie, un poème épique, si vous voulez, et ne pas savoir faire un quatrain musical. — Faites- moi le plaisir de me faire voir votre drame. — Oui, oui, je le veux bien. Où est donc fourrée Griselda? Elle était ici. . . Deus in adjutorium meum intende. Domine... Domine... Domine... Elle était ici tout à l’heure. .. Domine ad adjuvantum. . . Ah! la voici! Voyez, Monsieur, cette scène entre Gualtiere et Griselda ; c’est une scène intéressante, touchante. L’auteur y a placé à la fin un air pathétique, mais Mlle Giraud n’aime pas le chant langoureux ; elle voudrait un morceau d’expression, d’agitation, un air qui exprime la passion par des moyens différents, par des mots par exemple entrecoupés, par des soupirs élancés, avec de l’action, du mouvement. Je ne sais pas si vous me comprenez. — Oui, Monsieur, je comprends très bien. D’ailleurs j’ai eu l’honneur d’entendre Mlle Giraud, je sais que sa voix n’est pas assez forte... — Comment, Monsieur ? vous insultez mon écolière. Elle est bonne à tout, elle chante tout. — Oui, Monsieur, vous avez raison ; donnez-moi le livre, laissez-moi faire. — Non, Monsieur, je ne puis pas m’en défaire, j’en ai besoin et je suis pressé. — Eh ! bien, Monsieur, si vous êtes pressé, prêtez-le moi un instant et sur-le-champ je vais vous satisfaire. — Sur-le-champ? — Oui, Monsieur, sur-le-champ. 
En un quart d’heure le jeune Goldoni fit ce que l’abbé désirait : Vivaldi lit, il déride son front ; il relit, il fait des cris de joie, il jette son office par terre, il appelle Mlle Giraud. Elle vient : — Ah ! lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un poète excellent ! Lisez cet air; c’est monsieur qui l’a fait ici sans bouger, en moins d’un quart d’heure!Et en revenant à moi: — Ah! Monsieur, je vous demande pardon.  
Et il m’embrasse, et il proteste qu’il n’aura jamais d’autre poète que moi. Il me confia le drame ; il m’ordonna d’autres changements, toujours content de moi, et l’opéra réussit à merveille. » Peu de temps après, Goldoni se trouva en rapport avec une actrice alors renommée, Mme Collucci, surnommée la Romana, dont le rôle favori était celui de Griselda. C'était une tragédie de Pariati, tirée de l’opéra d’Apostolo Zeno, auquel Pariati avait collaboré; mais l’œuvre était en prose. Il s’agissait de la versifier. — J’entrepris avec plaisir, dit Goldoni, de contenter la Romana; mais je ne suivis pas exactement les auteurs du drame. J’y ajoutai le père de Griselda, un père vertueux, qui avait vu sans orgueil sa fille monter sur le trône et la voyait en descendre sans regret. J’avais imaginé ce nouveau personnage pour donner un rôle à mon ami Casali ; cet épisode donna un air de nouveauté à la tragédie, la rendit plus intéressante et me fit passer pour l’auteur de la pièce. 

Distribution 
Orchestre de La Fenice
Chef d'orchestre Diego Fasolis
Directeur, décors et costumes Gianluca Falaschi
Lumières Alessandro Carletti et Fabio Barettin
Dramaturgie Mattia Palma
Gualtiero   Jorge Navarro Colorado
Griselda     Ann Hallenberg
Constance Michela Antenucci
Roberto     Antonio Giovannini
Brass         Kangmin Justin Kim
Corrado     Rosa Bove
Du 29 avril au 8 mai 2022

https://www.teatrolafenice.it/