Personne dans la salle ce soir ne s'en étonnait et c'est une bruyante standing ovation que le public enthousiaste a offert aux artistes en fin de représentation.
Je dois dire que je n'aime guère le film de Mel Brooks qui ne me fait pas rire (peut-être parce que depuis 1967 notre oeil est habitué à un autre type de montage, même s'il fut récompensé en1969 par l’Oscar du meilleur scénario original) . Mais la version signé Michalik est une totale réussite. Chaque tableau frôle la perfection.
Tout est réuni pour qu'on passe une excellente soirée : des comédiens formidables, des belles voix, des costumes inventifs, des chorégraphies exécutées au millimètre, des numéros de claquettes impeccables, des décors qui descendent des cintres au bon moment. Que dire de plus ?Vous restituer l'intrigue peut-être, en quelques mots : Un producteur proche de la ruine imagine une arnaque à l'assurance en montant la pire comédie musicale, sur un scénario indigent, dirigée par le pire metteur en scène, avec un casting improbable... pour être bien certain d'obtenir un four et récupérer l'argent qu'il a d'ailleurs extorqué à de nombreuses femmes crédules, mais rien ne se passera comme prévu. Le bide sera un succès.On comprend le pari qu'Alexis Michalik s'est amusé à faire en renversant la proposition puisque pour lui c'est un triomphe. L'affaire était sans doute difficile car il s'agissait de restituer l’humour caustique, irrévérencieux et déjanté dont Mel Brooks avait fait preuve.
L'ambiance est installée. Outre les qualités que j'ai précédemment soulignées, j'ai beaucoup apprécié les touches d'humour qui ont été ajoutées dans cette version. Par exemple, en découvrant des reproches dans un journal, on nous dit (avec l'accent yiddish) que lorsque les journalistes partent à l'entracte les critiques sortent beaucoup plus vite. Evidemment !
Les dialogues sont savoureux :- Déplacer quelques virgules, vous pouvez le faire, incite Max Bialystock (le producteur)- Mais c'est de la fraude, proteste Leopold Bloom (le comptable)- Non, de la charité, argumente Max
Plus tard il sera question de l'odeur nauséabonde de l'estime de soi, et (avec un clin d'oeil complice à la salle) : quand est-ce que Léo sera tout là-haut ? Encore plus tard, alors que leur spectacle est qualifié d'expérimental on souligne qu'il n'y a pas de parking et qu'on dirait Avignon.
Le spectacle sera d'un burlesque absolu, à l'image de la folie surréaliste de la pièce écrite en 1944 par Mary Chase, ce qui lui vaudra le surnom d'un tramway nommé Harvey. D'autant plus malin que le comédien interprète du rôle titre d'Harvey, Jacques Gamblin, vient de recevoir le Molière du meilleur comédien. La réception de la statuette pour la troupe est du coup sous-entendue en finesse.Les allusions sont multiples et même s'ils s'adressent à des oreilles un peu initiées l'ensemble est si bien tricoté que tout passe crème, comme diraient les ados.L'évocation du film de Chaplin Le dictateur est joliment amenée, prouvant qu'on peut faire rire avec toutr.Point n'est besoin de crier merde chaque soir, pas plus que casse-toi une jambe, le succès leur est désormais acquis.