(Note de lecture) Laure Gauthier, Les corps caverneux, par Alexandre Ponsart

Par Florence Trocmé

L'ouvrage les corps caverneux de Laure Gauthier est construit autour d'un axe central duquel s'étendent sept parties telles des vaisseaux sanguins : Rodez blues, Les corps cav, Qua Pais, La chambre et l'abeille, Une rhapsodie pour qui ?, La forêt blanche, Désir de nuages. Le livre lui-même devient caverneux. Selon la quatrième de couverture, le titre fait " allusion au désir sexuel (...) à nos anatomies désirantes (...) à des cavernes " que la société de consommation " tente de combler par tous les moyens ".
Les corps caverneux ont effectivement des liens avec l'éros. D'abord, les corps caverneux sont des tissus spongieux situés dans le pénis, responsables de l'érection chez l'homme. Mais, ils existent aussi chez la femme et désignent les tissus érectiles du clitoris. Au-delà de l'aspect purement physiologique, c'est l'idée d'une puissance érectile et sensuelle qui s'érige face à un quotidien terne, monotone et parfois même désespérant. Ce monde-là n'est que le reflet de la société actuelle où le pornographos a pris le pas sur l'éros. Le sexe comme marchandisation avec des images toujours plus dures que les gens consomment sans réfléchir. Or, l'érotisme, selon la psychanalyse, produit un état complet de tension, une vibration générale de tout le corps qui est opportun à la création de l'esprit. Esprit qui permet à chacun de s'émanciper. Les corps cav sont comme un élan de résistance afin de mettre en avant un autre logos. " Dès 1896, le baiser était animé avant d'être éprouvé, on pouvait voir l'image de 'the kiss' mais sans le son. Samson et Dalila, en plein DeMille. Ça suffit. "
Les corps caverneux sont aussi des cavernes, " des grottes (...) de chair ". La grotte est un espace commun que les hommes avaient en commun pour se retrouver et être ailleurs. " les Cro-Magnon ont dû (...) ressentir l'impression de pénétrer dans un monde différent de celui de la surface, un monde n'obéissant pas aux mêmes règles, dans lequel le temps s'écoulait plus lentement ". Arriver à quitter la société actuelle où trône le libéralisme et où l'individu est roi pour retrouver du collectif. " tu vois la boulangerie, la deuxième. L'autre est à l'intérieur. Tu vois les gâteaux trop grands, excroissants, verts ou jaunes, des fraisiers géants pour trois fois rien, tu vas acheter trois fois plus pour trois fois rien, T'en as pas besoin. " Laure Gauthier pointe du doigt les dérives de ce libéralisme où tout n'est que marchandisation et l'homme spectateur passif de sa propre vie. C'est ce qu'écrivait Guy Debord : " c'est la consommation qui aliène les hommes. Au lieu de vivre nos désirs, nous adoptons inconsciemment ceux que nous impose la société de consommation. " Or, il nous faut accepter et connaître nos désirs, nos cavités (cachées) et non les renier, les verrouiller.
Avec ce livre, il nous faut accepter notre animalité. " Devenus félins dans la pénombre moite le pied intelligent qui sait le schiste et où les coudes ne se cognent à la roche. " C'est revenir sur le fondement cartésien de la dualité entre l'homme et l'animal pour avoir une pensée non dualiste. " Libre de dire, avant l'usage pétrifié / L'écume qui sauve la mer, La signature de l'être. " Au-delà de la pensée, il est également question de liberté et de choix. " Tracer des signes secrets, en inventer ou les refaire depuis l'âge de pierre ". L'idée de liberté, dans ce livre, est liée à celle de Sartre. Être libre c'est agir, c'est modifier la figure du monde. On retrouve cela dans la dernière partie " Désir de nuages ". " Trouver son nuage, ressortir et être nu d'espoir, baigné de sons / à voir toucher / Une pièce à la lumière de son nuage de mots de ".
En terminant ce très bel ouvrage, je ne peux m'empêcher d'avoir en tête cette citation de Guy Debord : " pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre ". Merci à Laure Gauthier de tracer différents chemins que ceux existants.
Alexandre Ponsart

Laure Gauthier, les corps caverneux, Lanskine, 2022, 136 p., 15€
Extrait :
" L'idée de nos grottes résonne de chair.
Si nous sommes eau, te dis-je,
notre matière sèche n'est pas abstraite, elle est presqu'île, terre et roche,
quand on dérive
Elle est contour à notre vague.
notre matière sèche entourée d'eau.
Ne pas oublier l'eau, l'humide, 90 pour cent de chair et 10 pour cent de roche,
entends-tu ?
Je construis un courant d'air, une musique pour faire
claquer les portes
Le goût du sucre ne cachera pas l'amertume
Il n'y a pas de pioche toujours gagnante
L'humilité de l'amer "