Une sonate et le destin d'une femme

Publié le 15 août 2022 par Philippe Delaide

Le concert du duo Alma (Clara Danchin, violon et Anna Jbanova, piano) le 30 juillet dernier aux fêtes musicales du château de Pionsat, dédié à des compositrices injustement délaissées aussi bien au disque qu'au concert, a permis de découvrir la magnifique sonate pour violon et piano en si mineur de Marguerite Canal.

Composée en 1920, cette sonate a valu à sa compositrice d'obtenir le prix de Rome à l'unanimité à cette même date. Clara Danchin et Anna Jbanova ayant eu un réel coup de coeur pour cette composition, elles l'ont intégrée au programme du concert et en on fait la pièce principal du disque qu'elles ont enregistré et consacré également à Clara Schumann, Amy Beach et Mélanie Bonis (qui signait Mel Bonis sur ses compositions pour volontairement maintenir l'ambiguïté sur le genre de la personne à l'origine des oeuvres éditées).

Marguerite Canal a voulu établir une trame narrative dans cette sonate, chaque mouvement étant censé évoquer les étapes d'évolution d'une jeune femme, des premiers émois d'une jeune fille à l'épanouissement d'une femme accomplie.

Le premier mouvement, andantino, révèle d'emblée des accents très ravéliens avec un motif qui instaure un climat d'une sérénité troublante, notamment via le dialogue piano et violon, chacun reprenant le thème avec variations. Les harmonies au piano sont magnifiques.

Le Second mouvement, appelé sourd et haletant, évoque indéniablement les palpitation du coeur d'un être en émoi avec un sentiment d'urgence, une tension accentuée par les accords saccadés du piano.

L'adagio espressivo révèle des harmonies et des couleurs d'une beauté indéniable, notamment à partir du minutage 2'20", la reprise du motif de ce mouvement par le violon avec le soutien du piano est magnifique pour qu'ensuite le violon s'efface discrètement et pour qu'à partir du minutage 3'59", le piano reprenne l'ascendant, constituant un point d'inflexion, comme une forme de temps suspendu. 

L'allegro con bravura final, s'inscrit comme la synthèse de l'esprit général de cette sonate qui alterne différents climats, exprimant une forme de mélancolie avec élégance et délicatesse.

La connivence des interprètes du duo Alma est évidente, et on sent le plaisir qu'elles ont à interpréter cette oeuvre et à la partager au public. Elles proposent une interprétation cohérente, constituent un duo très équilibré avec un respect du texte sans afféteries, excellent parti pris, compte tenu de la beauté naturelle de cette sonate.

On notera également les trois romances opus 22 de Clara Schumann qui confirment la place importante qu'elle mérite d'occuper dans le répertoire romantique, malgré le destin qui lui a été infligé par la stature de Robert Schumann.

Enfin, l'occasion a été également fournie dans ce programme de découvrir des pièces de compositrices méconnues comme l'américaine Amy Beach et la française Mélanie Bonis, toutes deux assurant la jonction entre la période romantique et les écoles dites modernes dont l'école française.

Le duo Alma a enregistré ces différentes pièces sous le label Klarthe Records. Enregistrement à découvrir et qui s'inscrit dans une démarche raisonnée, cohérente et qui se démarque de la facilité dans laquelle se réfugient souvent trop d'interprètes en reprenant un répertoire maintes fois repris. 

Créatrices - duo Alma - Clara Danchin, violon et Anna Jbanova, piano - label Klarthe Records.