Bayreuth 2022 — Siegfried — Valentin Schwarz poursuit la déconstruction du mythe

Publié le 16 août 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

Mime et ses marionnettes. On reconnaît à gauche le petit garçon enlevé
par Albérich dans l' Or du Rhin

Pour paraphraser Baudelaire, dans ce nouveau Siegfried, les vivants piliers de  la mise en scène de Valentin Schwarz laissent parfois sortir de confuses paroles. Les spectateurs y passent certes à travers des forêts de symboles qui les observent avec des regards familiers. Et sans doute ces personnages, ces objets détournés, ces couleurs et ces sons se répondent-ils comme de longs échos qui de loin se confondent, mais si l'unité en est sans doute profonde, elle est davantage vaste comme la nuit que comme la clarté. Le public souvent perplexe se voit confronté à une immense algèbre dont la clé est perdue (Verhaeren) et se met à la chercher dans les méandres synapsiques de son cerveau.  Quelques-uns partent discrètement à l'entracte, la grande majorité reste, subjuguée par la prestation grandiose de la plupart des chanteurs que certains écoutent religieusement en fermant les yeux, d'autres encore, frappés par la grâce. sont séduits par la force symbolique d'une mise en scène qu'ils reçoivent avec enthousiasme. Quant à nous allons tenter de démêler l'écheveau avec nos moyens certainement limités. 

Mise en abyme. Mime dans son théâtre de marionnettes.


Le premier acte se déroule dans la pauvre demeure de Mime dont la structure à un étage rappelle la cabane de Hunding de l'actuelle Walkyrie bayreuthoise avec quelques détails qui en sont repris comme  le lit et le ciel de lit de la chambre au premier étage. Une bien pauvre demeure pourvue d'un four à micro-ondes et d'un aquarium misérable et qui semble centrée sur les jeux de l'enfance. À gauche, on voit deux tables rondes renversées couvertes d'une couverture, pour simuler un antre ou une maison miniature, À la droite de la scène, un théâtre de marionnettes permanent est installé dans la découpe d'une paroi. Et toute une série de marionnettes en bois sont installées sur des chaises dans l'attente du spectacle, dont une qui pourrait représenter Brünnhilde. On voit des petits chevaux de peluche parmi les jouets qui encombrent la pièce. C'est l'anniversaire de Siegfried comme l'indique la banderole proclamant Happy birthday. Mime s'est déguisé en magicien pour amuser son fils adoptif. On le verra faire le récit des origines de Siegfried installé dans le petit théâtre. Le jeune homme arrive (sans ours), il a grandi et n'a visiblement plus l'âge des marionnettes. Il est au moins pubère puisque Mime lui fournit un dépliant de type leporello dans lequel posent des femmes aussi nues qu'aguichantes, — on est loin du pur fol... Il déborde d'une énergie non maîtrisée et se met à décapiter la plupart des marionnettes (sauf celle aux longs cheveux blonds), ce qui peut peut-être être mis en rapport avec le jeu des trois questions auxquelles se livrent le Wanderer et Mime, avec  l'enjeu de leurs propres têtes s'ils s'avèrent incapables d'y répondre, ce qui sera le cas de Mime pour la troisième question que lui pose Wotan, et à laquelle il n'a pas de réponse. Même s'il est sans doute un habile soudeur, comme en témoignent les volées d'étincelles qu'il produit à un moment, Nothung, la fameuse épée, ne sera pas forgée par Siegfried, mais lui arrive via un paquet cadeau qu'a apporté Wotan. Il l'ouvre et découvre une béquille, qu'il croit destinée à Mime, dont la béquille a été brisée par Wotan. Mime et Siegfried se livrent à une lutte pour la possession de la béquille qui s'avère être une béquille-épée, comme on avait autrefois des cannes-épées. Siegfried en retire une épée qui ressemble davantage à un fleuret, mais, qu'importe, voilà Siegfried équipé pour aller combattre le dragon et récupérer l'anneau dont Mime compte bien s'emparer. Mime exprime une joie délirante.

Siegfried et Fafner


Le deuxième acte s'ouvre sur le décor du Walhalla rappelant celui du premier acte mais vu sous un angle différent. Le grand duo entre Albérich et le Wanderer, qui a normalement lieu en extérieur près de Neidhöhl, la caverne de Fafner, se déroule devant un grand foyer vitré où les deux hommes sont installés dans de luxueux fauteuils. À droite du vaste séjour on voit un lit d'hôpital tourné vers le fond de scène. Le foyer préfigure peut-être l'incendie final du Walhalla. Loge n'est jamais loin... Une infirmière et un infirmier s'affairent autour du lit où gît un grand blessé, homme ou femme, on ne sait, un patient ou une patiente difficile qui rabroue le personnel soignant. La personne alitée n'est autre que Fafner qui, déjà mourant, fera son récit dans les bras de Siegfried, qui n'aura aucun mal à effectuer le combat projeté puisque Fafner semble en fin de vie et serait sans doute mort de mort naturelle. Le coup d'épée ne fera que le blesser et c'est en fait Fafner qui l'achève en l'étouffant au moyen d'un coussin.  Mime sera à son tour tué par Siegfried.

L'oiseau de la forêt, Siegfried, Mime et Hagen qui a entretemps grandi


L'infirmier n'est autre que Hagen, dont le polo jaune rappelle celui du gamin-or-du-Rhin dérobé par Albérich au premier acte, une couleur d'attribution que confirmera le costume de Hagen le  Götterdämmerung. Personnage ínquiétant et sournois, il ne lâchera plus désormais Siegfried d'une semelle, tenant un petit objet brillant à la main. C'est logique dans la mise en scène, l'or du Rhin n'est autre que Hagen. 
L'infirmière, malmenée par Fafner alité, n'est autre que le petit oiseau de la forêt, une bien jolie jeune femme que Siegfried, débordant d'énergie et de sève,  n'hésitera pas à tutoyer de fort près.

L'Erda d'Okka von der Dammerau.
Un des grands bonheurs musicaux de la soirée.


Le troisième acte se déroule aussi au Walhaha dont les plafonds se sont abaissés, et dont le parquet paraît en bien mauvais état. Le corps de balai a disparu. Le Wanderer convoque une dernière fois Erda qui apparaît vieillie, le visage ravagé, avec des cheveux aplatis et portant des nippes sales. Elle contemple la maquette lumineuse pyramidale du Walhalla sans pouvoir apporter de réponses aux questions de Wotan. Une femme dépenaillée (est-ce Waltraute ?) portant sac à couchage en guise de manteau et des couvertures isothermiques isolantes de survie est couchée dans un coin. Face au désarroi et à la détresse de Wotan, Erda lui tend un revolver, lui offrant la possibilité d'une solution définitive, qu'il refuse.

Siegfried, Grane et Brünnhilde


La scène du héros sans peur traversant le brasier qui entoure Brünnhilde est fort bien traitée par Valentin Schwarz à la gauche de la scène : toutes les hésitations de Brünnhilde qui après une vingtaine d'années de sommeil est réveillée par Siegfried sont bien compréhensibles. Brünnhilde est protégée par Grane, l'étalon masculin bien athlétique à la crinière abondante qui l'accompagnait déjà dans la Walkyrie, et qui est devenu ici un homme mûr aux cheveux gris, cet "étalon" donc refuse céder celle qu'il accompagne depuis toujours et la retient de force s'opposant aux tentatives de Siegfried de s'en emparer. Ce n'est que lorsqu'il comprend que le destin de sa maîtresse est écrit et qu'elle y consent qu'il accepte de la livrer aux exigences de Siegfried. Brünnhilde apparaît alors dans des lumières et une robe dorées, la chevelure déployée, comme une vierge majestueuse et froide sculpturale et froide, que la passion naissante devrait bientôt libérer. Exclu des jeux de la passion naissante, Hagen n'a plus qu'aller ronger son frein ailleurs. .
Le chef Cornelius Meister semble plus en phase avec l'orchestre et ils livrent une soirée d'une meilleure tenue musicale que lors du prologue et de la première journée, sans déployer pour autant les ors escomptés. Après les excellentes prestations des chanteurs de la Walkyrie, les espérances étaient grandes et le Siegfried d'Andreas Schager très attendu. Tomasz Konieczny a confirmé qu'il est un grand Wotan, avec une magnifique expressivité des affects douloureux d'un homme désenchanté, désespéré dont l'univers s'est écroulé. Il en va de même de l'Albérich d'Olafur Sigurdarson à la voix fort puissante et bien projetée et du Fafner de Wilhelm Schwinghammer qui parvient à humaniser le vieux dragon que la mort cerne de tous côtés. Okka von der Damerau est une force de la scène, constante dans l'excellence, expressive et émouvante dans les clartés si particulières de son contralto. Le premier acte voit le triomphe d'Arnold Bezuyen qui déploie un grand talent scénique, un jeu exemplaire dans l'expression des innombrables facettes de son personnage, avec un ténor incisif, extrêmement précis et bien projeté, un peu lisse dans la méchanceté et l'ignomie. Andreas Schager, qui avait remporté un immense succès et des applaudissements frénétiques lors de la première, — les comptes-rendus de presse en témoignent, —n'était visiblement pas remis de la maladie, on s'est rapidement rendu compte. Il s'en est d'ailleurs montré désolé aux applaudissements. Il était prévu qu'il remplace Stephen Gould en Siegfried lors de la première de Götterdämmerung mais, souffrant, avait dû y renoncer. Gageons que ce n'est que partie remise La Brünnhilde de Daniela Köhler, chaste et pure, nous a paru manquer d'envergure. La voix est certes d'une clarté lumineuse et bien projetée, mais reste tout au long lisse et uniforme. L'oiseau de la forêt d'Alexandra Steiner est gentiment charmant. À noter que sur le plan de l'élocution, de l'articulation et de la prononciaition, le poème de Wagner est compréhensible de bout en bout.
Distribution
Direction musicale Cornelius Meister
Mise en scèneValentin Schwarz
Décors Andrea Cozzi
Costumes Andy Besuch
Dramaturgie Konrad Kuhn
Lumière Reinhard Traub
SiegfriedAndreas Schager
Mime Arnold Bezuyen
Le Wanderer Tomasz Konieczny
AlbérichOlafur Sigurdarson
Fafner Wilhelm Schwinghammer
Erda Okka von der Damerau
Brünnhilde Daniela Köhler
Oiseau de la forêt Alexandra Steiner
Crédit des photos © Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele