Airelle Besson Quartet à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc, le 14 octobre 2022

Publié le 16 octobre 2022 par Concerts-Review

Airelle Besson Quartet à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc, le 14 octobre 2022

michel

Saint-Brieuc, le 14 octobre: ... Ce vendredi, la pluie est l'invitée d'honneur de la journée. Elle s'impose dès le lever du jour...

On n'avait plus l'habitude, ce sale crachin et les effets CGT/raffineries /Total Energie/manque de carburant / grogne et insultes... n'ont pas empêché les amateurs de jazz de se rendre à La Passerelle, qui, il est vrai, a frappé juste en signant celle que l'on ne peut plus considérer comme la coming woman du jazz français, mais comme une valeur sûre: la trompettiste/compositrice/cheffe d'orchestre, Airelle Besson!

Depuis ses débuts, après être sortie du conservatoire municipal du 10ème arrondissement de Paris, Miss Besson, aucun lien de parenté avec Le Grand Bleu, collectionne les récompenses, très vite elle joue à la session musician et se retrouve sur pas mal d'enregistrements, et pas uniquement du jazz .

On aligne quelques noms: "A Suivre..." X'Tet Bruno Regnier, Magic Malik, Jeanne Balibar, Hugh Coltman, Metronomy, Nolwenn Leroy, Didier Levallet et, tout dernièrement, Rhoda Scott.

En 2007, elle monte avec Sylvain Rifflet, le Rocking Chair Quintet, qui grave deux albums, plus tard c'est avec le guitariste Nelson Veras qu'elle signe un enregistrement, d'autres collaborations suivent, le premier opus portant son nom, 'Radio One' paraît en 2016, le second ' Try' en 2021.

C'est la même équipe qui est présente sur les deux ouvrages et que nous entendrons ce soir!

Airelle à la trompette + Isabel Sörling (voix & electronics), Benjamin Moussay (piano, Fender Rhodes, bass synth et synthétiseur modulaire ) et Fabrice Moreau (batterie et percussions).

Tous ces braves gens peuvent étaler une carte de visite loin d'être inconsistante.

Miss Sörling, une Suédoise à Paris ( merci Sting) , fait partie de Soil Collectors, des adeptes de l'improvisation et de l'électronique futuriste, et de Farvel, du jazz expérimental, tout en menant un projet solo ( on a écouté certains de ses titres proches du folk, on recommande).

Une des grandes influences de Benjamin Moussay est Thelonious Monk, ce grand garçon a gravé cinq albums sous son nom et accompagné des pointures, Youn Sun Nah, Louis Sclavis, Thomas Grimmonprez, e a.

Le nom de Fabrice Moreau apparaît aux côtés de chanteurs cotés, Patrick Bruel, Alain Souchon, Jean-Louis Aubert, Albin de la Simone, ou Arthur H, mais c'est le jazz qui lui fait de l'oeil, lui aussi est crédité sur pas mal de disques, parfois comme co-leader, d'autre fois comme sideman.

Macha Gharibian, Guillaume de Chassy, Isabelle Olivier, Enzo Enzo, Françoise Hardy, etc...

20:05, la salle est plongée dans l'obscurité, pendant quelques minutes rien n'advient, si ce n'est la toux d'une dame assise derrière toi , quatre ombres furtives se meuvent sur scène, la lumière, encore diffuse, nous permet de distinguer les musiciens.

La trompette entame un lament chagrin évoquant, à grands traits, le Concerto d'Aranjuez, le piano par petites touches entre dans la danse, discrètement Fabrice Moreau s'active, puis vient la voix vulnérable d'Isabel Sörling qui, en vocalises célestes, habille la touchante mélodie.

Le quartet vient d'entamer la lecture de l'album ' Try' par T'he Sound of Your Voice', part one, car il s'agit d'un feuilleton en trois épisodes, quatorze minutes au total.

La ballade, aérienne, sent bon la fraîcheur matinale à la lisière d'une forêt où cervidés, lapins de garenne, pinsons, pouillots , fauvettes et autres oiseaux (en)chanteurs profitent de l'absence de l'homme pour se livrer, sans appréhension, à leurs occupations du lever du jour.

'The Sound of Your Voice, Pt. II' est amorcé au piano, le rythme est soutenu et saccadé, , Isabel tripote sa machinerie électronique, la trompette gambade, le Fender Rhodes lui adresse la parole, le dialogue est vert, quelques vocalises effervescentes clôturent ce passage plus concis et entament la troisième partie de la suite.

Cette fois-ci, la voix psalmodie un texte en anglais, après une introduction classique au piano, la trompette, au repos, savoure le chant de sa collègue , il faudra patienter près de trois minutes avant une intervention d'une délicatesse extrême.

La voix d'Isabel, monte, monte , monte... la plage profonde , elle aussi prend de l'ampleur et soudain la belle ballade négocie un virage free jazz qui a désarçonné ta voisine qui écoutait la tirade paupières closes.

Du grand art!

Derrière le micro: " bonsoir Saint-Brieuc, après la suite inaugurant ' Try' on revient vers l'album précédent pour vous jouer ' The painter and the boxer'.

C'est à grands coups de pinceaux que le peintre brosse son tableau, très coloré, le boxeur acculé dans son coin, venait d'encaisser une série de frappes, de jabs ou de directs, tous plus percutants les uns que les autres, c'est le langage en écholalies de la merveilleuse Isabel qui le tient éveillé.

Comme Airelle a le bon goût de laisser beaucoup d'espace à ses compagnons, ceux-ci en profitent et partent en spirales jubilatoires avant le retour des filles qui annonce la reprise du thème et un final tumultueux.

C'est par un effort solitaire intersidéral qu'Airelle ébauche 'Uranus et Pluton' .

Après le souffle du mourant, le Fender Rhodes, et ses sonorités fusion semblant trafiquées, intervient, puis Isabel frisonne, un grésillement elliptique se fait entendre, les planètes en mouvement sans doute. Toi, tu as fermé les yeux pour mieux admirer la constellation de la Vierge, peu effarouchée, et celle d'Orion, qui infirme l'affirmation de Gérard Manset, Orion n'est pas mort, il sommeille!

L'apport électronique est tellement incontestable qu'un puriste refuse de formuler le mot jazz pour décrire la musique du quartet, on ne lui donne pas tort, car effectivement on y entend du Múm, du Amiina, un brin d' Efterklang ou de Jaga Jazzist , tout des artistes d'origine nordique.

Jazz est une étiquette flexible, ainsi il est malaisé de classer les disques de Glenn Miller , Jelly Roll Morton, John Coltrane ou tout le catalogue ECM ( Terje Rypdal, Pat Metheny, Keith Jarrett...) sur la même étagère.

C'est un piano pointilliste qui attaque ' Après la neige' , une plage montrant toute l'étendue du talent, non émoussé, de Benjamin Moussay. Après l'exercice en forme de rondo, la trompette colore le morceau de teintes plus sombres pour créer un climat mélancolique, le piano s'essaye au romantisme et c'est lorsque la voix d'Isabel surgit des ténèbres , un peu à la manière des Swingle Singers taquinant Bach, que point un climat plus léger.

Prêt pour le décollage, piano et percussions entament ' Fly Away' , si l'hôtesse de l'air a pour nom Isabel Sörling , tu embarques sans crainte, la trompette et le piano peuvent s'amuser au fleuret, peu importe, tu les suis et quand Fabrice place un solo tribal, tu applaudis.

Confidence:: l'inspiration de 'Try' vient d'un moment d'attente à l'aéroport de Shanghai, la voix chantonnante diffusée par les hauts-parleurs m'a interpellée et m'a amenée à composer la ballade post-jazz, chantée d'un timbre fugace par la merveilleuse suédoise, qui avait entamé le morceau en façonnant un tintement de clochettes grâce à son matériel électronique.

'Angel's dance' termine en beauté ce set aussi beau qu'une pièce symphonique de Sibelius , car si les anges dansent, ce n'est pas sur une artère urbaine polluée, où trottinettes, hoverboards ou monocycles électriques, mettent en danger la sécurité du commun des mortels, mais c'est dans un cadre de verdure, à proximité d'un lac entouré de pins.

Des applaudissements nourris ponctuent cette dernière tirade terminée par un solo de batterie étourdissant et c'est avec plaisir que le public accueille les musiciens pour le rappel.

Un morceau vif des débuts, ' Neige' joué en duo trompette/ piano précède

Tout au nord de la Suède, sur une péninsule, existe une ville nommée Lulea, les couchers de soleil y sont faramineux, tout comme ce concert cinq étoiles!