Les enfants: un marché convoité par les publicitaires

Publié le 15 août 2008 par Marieclaude

Crédit photo : Erik Dungan/SXC

On apprenait récemment que des Centres de la Petite Enfance avaient été ciblés pour annoncer des gâteaux aux tout-petits. L’annonceur avait oublié(!) que le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où la loi interdit la publicité télévisée destinée aux enfants de moins de 13 ans. Cette loi, entrée en vigueur en 1980, a fortement déplu aux télédiffuseurs et aux annonceurs qui l’ont contesté. La contestation judiciaire a duré neuf ans et au bout du compte, la Cour suprême a déclaré la loi constitutionnelle. Le plus haut tribunal du pays a jugé les restrictions à la liberté d’expression justifiées pour «protéger un segment de population vulnérable».

Un marché convoité

Bon an mal an, nos petits voisins du Sud sont sollicités par 40 000 annonces pendant qu’un enfant québécois voit 20 000 publicités télévisées. À cause de la loi, les annonces diffusées chez nous ne s’adressent pas directement à eux, mais aux parents. Moins qu’ailleurs heureusement, la publicité continue donc toutefois d’encourager les jeunes spectateurs à consommer et à s’inventer de nouveaux besoins. Les experts en marketing sont passés maîtres dans l’art de déguiser un désir superficiel en besoin essentiel.

Les intérêts en jeu sont énormes. Selon l’émission Enjeux, les enfants du Canada ont dépensé, en 2006, près de 3 milliards de dollars en argent de poche. Ils ont aussi exercé des pressions sur leurs parents et influencé des achats totalisant 20 milliards de dollars. Du côté des annonceurs états-uniens, les budgets de publicité ciblant les enfants sont passés de 6 milliards en 1992, pour atteindre plus de 15 milliards aujourd’hui. C’est le secteur publicitaire qui a connu la plus rapide expansion au cours des dernières années.

Les stratégies des annonceurs

Depuis l’entrée en vigueur de la loi québécoise, les annonceurs n’ont cessé de chercher des moyens détournés pour atteindre les enfants, pour contourner la vigilance du législateur et celle des parents. La technique du placement de produits est un de ces moyens. Les cas les plus flagrants de placement de produit consistent pour une compagnie de cigarettes à payer les producteurs de films à faire fumer leurs personnages. C’est rentable. Eux savent à quel point!

Dans le reportage d’Enjeux, on nous a présenté un extrait d’émission éducative diffusée par Télé-Québec où des enfants s’amusent avec des jeux de construction de marque Mega Bloks. Pure coïncidence? On peut en douter... Publicité cachée plutôt. Des sites Internet et des jeux vidéo d’enfants utilisent le même genre de stratagème. Certains producteurs de jouets vont même jusqu’à produire leurs propres émissions pour enfants. C’est ainsi qu’Hasbro produit, depuis 1980, des émissions destinées à leur faire désirer les prochains cadeaux de Noël et que Mattel utilise le même procédé.

Le matraquage publicitaire est une autre arme très efficace auprès des enfants. Or, la loi québécoise ne réussit pas à empêcher ce procédé. Le même message pourra être répété jusqu’à trois reprises durant la même émission jeunesse.

Malgré toutes les failles de la loi, certains fabricants de jouets canadiens la perçoivent encore comme une mesure excessive. George Irwin, PDG de Irwin Toys, celui-là même qui a mené l’offensive contre la fameuse loi québécoise en 1980, estime que sa liberté d’expression commerciale est brimée. Pour lui, c’est pour des motifs politiques que la Cour Suprême a reculé devant le gouvernement québécois.

Annonceurs responsables?

Dans le reste du Canada et aux États-Unis, la publicité destinée aux enfants est bien présente à la télévision. Les télédiffuseurs prétendent s’être réglementés eux-mêmes plutôt que d’être contraints par la loi. C’est durant la décennie 1970 qu’a été formé l’organisme «Annonceurs responsables en publicité pour enfants», financé par des entreprises comme Irwin, Hasbro, Mattel, McDonald, Télétoon, etc. Le groupe a préparé et offert aux écoles une trousse «d’éducation aux médias» qui prétend toucher un million de petits Canadiens. Pour les porte-parole de l’association, ce programme protège les enfants contre la publicité mieux qu’une loi puisqu’il leur apprend, très tôt, à porter un jugement critique sur les médias.

Ce programme est loin de faire l’unanimité chez les parents. D’abord parce que leurs concepteurs prennent bien soin de ne jamais faire de reproches aux agences publicitaires qui utilisent des moyens toujours plus puissants pour influencer les jeunes. Par contre, ils ne ratent pas une occasion de culpabiliser les «parents-qui-ne-protègent-pas-leurs-enfants». Enfin, ces programmes donnent parfois l’impression que la responsabilité des dommages causés par la publicité revient d’abord aux jeunes consommateurs, trop naïfs ou trop gourmands. Jamais de blâme aux entreprises qui consultent des docteurs en psychologie pour apprendre comment harceler des enfants, comment leur enseigner à asticoter leurs parents (nag factor).

À l’extérieur du Québec, diverses stratégies sont aussi utilisées pour atteindre les enfants jusque dans les écoles, là où on pourrait les croire à l’abri. La chaîne de télé Channel One produit un bulletin quotidien de nouvelles d’une durée de 12 minutes, en se finançant avec la vente de 3 minutes de publicité. La chaîne Youth News Network (YNN) a tenté à maintes reprises de s’infiltrer dans les écoles canadiennes en utilisant une formule similaire.

Une autre approche promotionnelle connaît le succès: moyennant des ristournes sous forme de livres ou d’argent, beaucoup d’écoles canadiennes deviennent membres de clubs privés, comme ceux des Éditions Scholastic ou de Reader’s Digest. Scholastic se vante d’ailleurs d’avoir retourné l’équivalent de dix millions de dollars en livres et en produits aux écoles canadiennes en 2004. Pour des connaisseurs en marketing, ce sont là des formes de publicité. Les parents qui voudraient s’y opposer sont obligés de protester étant donné l’absence de lois comme celle du Québec. Ne perdons jamais de vue que les entreprises privées veulent seulement augmenter leur profit tandis que l’École a une mission foncièrement différente en voulant préparer des citoyens.

En 1980, les annonceurs prédisaient l’apocalypse: l’absence de revenus publicitaires aurait un effet désastreux sur la quantité et la qualité d’émissions pour enfants. Cette prédiction ne s’est jamais réalisée. La loi québécoise n’a jamais eu les effets redoutés sur la programmation offerte aux enfants. Lorsqu’au Ministère des Affaires culturelles, objet d’un lobby insistant, on a voulu tirer l’affaire au clair, on a confié au chercheur André Caron, de l’Université de Montréal, le soin de comparer le menu télévisuel offert aux enfants de Toronto à celui offert aux petits Montréalais, victimes de la «prohibition». Conclusion? Les enfants du Québec ont accès à des émissions plus nombreuses, de meilleure qualité, d’origines plus diverses. Il semblerait donc que la loi ait permis d’atteindre ses fins, protéger les enfants contre la publicité; protection imparfaite, mais protection quand même.

Canadiens et Québécois s’entendent au moins sur une chose. Les parents et les écoles devraient faire plus pour aider les enfants à aiguiser leur sens critique face aux médias. Lorsque l’Association des psychologues des États-Unis (APA) a publié ses études concernant l’influence de la publicité sur la santé des enfants, en 2005, le verdict a été clair: la télé inculque des habitudes malsaines aux enfants et la société doit de toute urgence les protéger. Selon l’APA, les 40 000 pubs télévisuelles émises par les experts du marketing qui s’accumulent chaque année dans les jeunes cerveaux — sans compter celles transmises par les magazines, l’internet, les films, les émissions et les jeux vidéo — exercent un impact indéniable sur le taux d’obésité, les désordres alimentaires, la sexualité précoce et la violence juvénile, en plus d’inciter à la surconsommation et de miner l’autorité parentale. Les psychologues des États-Unis concluent à la nécessité de réglementer la publicité destinée aux enfants. Ce que nous avons fait chez nous il y a plus d’un quart de siècle.

Alors, chers parents, a vous de juger ce que vos enfants regardent à la télé!

Bonne journée,

Marie-Claude

Réf: Petit monde .com