Épique, improbable, magnifique, indigeste, une finale de l'Open d'Australie Juniors gravée dans les annales

Publié le 30 janvier 2023 par Francky

Alina Korneeva et Mirra Andreeva sont nées toutes deux en 2007, l'année où Serena Williams remportait déjà son huitième titre du Grand Chelem, à l'Open d'Australie. Quinze ans plus tard, sur le même court où triomphait l'américaine, les deux jeunes russes, meilleures amies dans la vie et partenaires de double, se retrouvaient pour la première fois de leur carrière face à face. C'était aussi, pour l'une comme pour l'autre, le moment dont elle rêvaient depuis toutes petites : jouer une finale de Grand Chelem sur un court prestigieux. L'on s'attendait forcément à une confrontation musclée entre deux joueuses qui pourraient sans doute, d'ici quelques années, dominer le circuit WTA. La dite confrontation eut bien lieu. Ce à quoi l'on s'attendait moins, par contre, c'est de voir l'émotion prendre le pas sur le sport. Elle fut d'ailleurs telle qu'à de nombreuses reprises, elle fit basculer le match dans une autre dimension.
Commençons par dresser le contexte. Alina Korneeva (photo ci-dessus) et Mirra Andreeva figuraient de manière on ne peut plus logique parmi les favorites de cette édition 2023 de l'Open d'Australie. Elles l'étaient d'ailleurs tellement que cela en crevait les yeux. Sur l'année écoulée, Korneeva a enregistré des résultats plus que probants en gagnant six tournois sur le circuit Juniors, dont deux tournois de premier grade, qui se sont ajoutés aux deux qu'elle avait empoché en 2021. Mieux encore, l'adolescente a réalisé un exploit de tout premier ordre en septembre dernier en s'imposant sur le circuit ITF Dames au tournoi W15 de Casablanca au cours duquel elle avait sorti quatre têtes de série en ne cédant qu'une manche avant la finale. Mirra Andreeva possède elle aussi des références intéressantes puisque ce ne sont pas moins de quatre tournois qu'elle a remportés sur ce même circuit en 2022, dont ce qui est à ce jour sa plus belle victoire, celle obtenue au tournoi W60 de Meitar où elle avait dominé outrageusement les débats en humiliant des joueuses expérimentées comme la grecque Valentini Grammatikopoulou ou la suédoise Rebecca Peterson, qui étaient respectivement têtes de série n°2 et n°1 du tournoi. Elle s'était même permise de mettre au pas sa compatriote Maria Timofeeva, lauréate des Petits As 2017, en demi-finales. 
Les deux russes arrivaient donc à l'Open d'Australie en étant sûres de leur force et en tant qu'épouvantails du tournoi, même si à deux reprises, en quarts et en demi-finales, Korneeva allait connaître une alerte face la redoutable tchèque Tereza Valentova et contre la japonaise Sayaka Ishii, qu'elle allait finalement renverser après une entame de match calamiteuse, tandis que Mirra Andreeva allait parvenir en finale sans perdre le moindre set, avec par conséquent l'ascendant psychologique en sa faveur. C'était, du moins, l'impression qui nous était donné. La réalité, elle, fut tout autre. Si Korneeva démarrait sur les chapeaux de roues en obtenant le break au prix d'un deuxième jeu âprement disputé, elle voyait son adversaire et amie revenir au score au bout d'un quatrième jeu long de plus de sept minutes, Andreeva se permettant même de passer devant dans le jeu suivant. Mais déjà, l'on observait chez Korneeva une implacable volonté à ne pas laisser l'adversaire prendre confiance, à défendre chaque centimètre carré de terrain avec opiniâtreté pour obliger Andreeva à jouer le coup supplémentaire. Ce fut là le film qui allait rythmer tout le match. Hélas pour Korneeva, les efforts consentis en défense allaient finir par la mettre en délicatesse, si bien qu'au bout d'une heure et huit minutes d'un combat âpre et haché par les fautes directes, celle-ci allait céder à Andreeva le premier set dans un jeu décisif rondement mené par cette dernière. Le match allait ensuite prendre une autre tournure dans la seconde manche. Au coude-à-coude jusque trois partout, les deux finalistes perdaient successivement leur mise en jeu dans les septième et huitième jeux, Andreeva commençant à accumuler dangereusement les doubles fautes alors que Korneeva restait dans sa concentration malgré des moments de frustration qu'elle avait du mal à cacher. À quatre partout, au prix d'un monumental neuvième jeu de plus de onze minutes, Korneeva fit le break et ne trembla pas sur sa mise en jeu, concluant ainsi un deuxième set d'une durée d'une heure dix. Nous n'étions pas au bout de nos émotions. Rapidement menée 4-1 dans la dernière manche et paraissant accuser mentalement le coup, Mirra Andreeva parvenait à fournir un effort colossal pour revenir à quatre partout, profitant des largesses de son adversaire et sans doute de sa peur de gagner. L'on retrouvait alors une Andreeva conquérante et ressuscitée. Mais, encore une fois, il y a avait cette détermination chez Korneeva à ne pas laisser l'espoir renaître chez son amie. Le break de Korneeva dans le neuvième jeu aurait pu être décisif mais, le bras trembla au moment de servir pour le match, ce qui permettait à Andreeva de recoller encore une fois au score au terme d'un dixième jeu long de dix minutes. Cependant, l'effort avait été si intense que Mirra Andreeva se loupait complètement sur son service, remettant ainsi son adversaire sur les rails. L'on vit alors la jeune sœur d'Erika Andreeva aller chercher sa serviette les larmes aux yeux avant qu'elle ne regagne sa chaise. Korneeva n'avait plus alors qu'à cueillir le fruit tant qu'il était mûr. Dans le douzième jeu, alors que le match avait débuté depuis plus de trois heures quinze, elle acheva son œuvre en ne cédant aucun point. Korneeva pouvait lâcher sa raquette et laisser exploser sa joie, non sans avoir au préalable réconfortée son amie dans une longue étreinte qui restera l'une des images fortes de cette finale.

Mirra Andreeva, une volonté farouche qui n'aura pas suffi.


Des temps forts, cette finale n'en manqua pas. Entre les rallies de fond court à plus de trente échanges, les coups de défense de Korneeva, les accélérations en coup droit d'Andreeva, les brusques changements de rythme, les coups de sang d'un côté comme de l'autre qui se concluaient parfois par des jets de raquette, les deux joueuses nous ont fait passés par toutes les émotions. À l'émerveillement que l'on pouvait ressentir au cœur de ce combat intense, succédaient des périodes d'agacement que ponctuaient les nombreux échanges s'achevant sur de grossières fautes directes. Les chiffres dans ce domaine ont d'ailleurs de quoi donner le vertige : cent trente-neuf fautes directes en tout, dont soixante dix-sept pour Mirra Andreeva (pour dix doubles fautes). Seulement vingt-neuf coups gagnants pour Korneeva, contre trente-cinq pour son adversaire mais, un meilleur pourcentage au service pour la première (et ce malgré des premières balles bien claquées pour Andreeva dont une servie à plus de 180 km/h). Mais, comment celle-ci pouvait espérer gagner le match avec à peine 35% de balles break converties (seulement six sur dix-sept) ? Un tel festival de fautes et d'opportunités manquées peuvent faire dire que cette finale était insupportable à voir. Pour ma part, j'y ai surtout vu deux joueuses habitées par l'émotion et qui, à n'en pas douter, ont pris rendez-vous avec l'avenir.