Il était légitime que je m’apprête à avoir le souffle coupé. Peut-être en fait craignais-je d’être déçue et avais-je eu raison de ne pas me précipiter au théâtre.Comme j’aimerais faire des compliments. A propos d’un décor minimaliste de chambre d’hôtel inspiré par Hopper. A propos de une mise en scène dépouillée réduite à quelques indications de mises à genoux ou d’appui sur les murs. A propos d’une direction d’acteurs concentrée sur les trois personnages principaux, réduisant les rôles de Phenice et de Paulin à des silhouettes (le troisième confident, celui d’Antiochus ayant carrément été supprimé) À propos des éclairages qui projettent des ombres démesurées en laissant dans l’ombre reine, roi et amant. A propos d’une bande musicale qui ne s’entend qu’entre les scènes à moins de tendre l’oreille. A propos d’une diction qui bute (trop) souvent sur les mots et qui accentue les syllabes des alexandrins comme pour nous rappeler que, malgré la contemporanéité des décors et des costumes, nous sommes revenus au XVII° siècle. A propos de costumes dont personne ne voudrait se vêtir, hormis le si joli déshabillé de soie noire qui va à ravir à Carole.Justement, heureusement, il y a Carole. Elle porte la pièce sur de fortes épaules qu’elle accepte de laisser fléchir tant les contraintes de son rang sont un handicap pour gagner le droit de vivre tout l’amour qu’elle mérite. Titus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à l’autel du pouvoir après avoir malgré tout « profité » d’elle une dernière nuit. Antiochus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à l’autel de la loyauté.Combien faut-il de dignité pour décider de son destin en femme libre, sans se laisser dicter une conduite ? Je ne comprends pas qu’on puisse encore aujourd’hui monter de tels textes sans provoquer de révoltes féministes (je comprends encore moins que Madame Butterfly soit encore au répertoire).Je n’ai pas vu la version de 2011. Je crois qu’alors le texte était exhaustif. Être désormais directrice du Théâtre national de Nice autorise sans doute à davantage de liberté. Mais s’il est vrai que Muriel Mayette-Holtz a voulu témoigner de violence de la domination masculine (ce qui n’est pas une révélation originale) et renverser les codes, pourquoi n’est-elle pas allée jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas avoir inversé les rôles ? Faire jouer Titus par une femme et Bérénice par un homme ?
L’histoire en tout cas vengea la reine. A peine Titus fut-il revenu à Rome qu'une mouche lui entra dans le nez, gagna le cerveau et s’en régala. Le triomphe de l’empereur fut de courte durée. C’est du moins cette morale que le Talmud raconte et c’est une petite consolation.
Bérénice de Jean RacineMise en scène : Muriel Mayette-HoltzAvec Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt et Ève Pereur Décor et costumes : Rudy Sabounghi Musique originale : Cyril GirouxLumière : François ThouretA la Scala 13 boulevard de Strasbourg 75010 Paris 01 40 03 44 30