"Le mot pour dire rouge" de Jon McGregor (Lean Fall Stand)

Par Cassiopea

Le mot pour dire rouge (Lean Fall Stand)
Auteur : Jon McGregor
Traduit de l’anglais par Christine Laferrière
Éditions : Christian Bourgois éditeur (2 Mars 2023)
ISBN : 978-2267051711
354 pages

Quatrième de couverture

Lorsque Robert Wright est séparé de ses coéquipiers en Antarctique par une violente tempête, il sait que la situation est périlleuse, mais il ignore encore que son existence en sera changée à jamais. Il s’en sort vivant – contrairement à un de ses collègues – mais frappé d’aphasie. Rapatrié en Angleterre et désormais sous la garde de son épouse Anna, il doit réapprendre à parler. Pour raconter ce qui s’est passé lors de cette expédition, et pour dire qui il est, peut-être…

Mon avis

/_I

Ce roman décliné en trois parties est subtil et délicat.

La première partie ressemble à un récit d’aventure. On fait connaissance avec trois hommes qui vont s’installer dans une station de recherches en Antarctique. Robert Wright « Doc » est le plus expérimenté, il est déjà venu de nombreuses fois et il n’est pas impressionné. Les deux coéquipiers Luke et Thomas découvrent le lieu, le fonctionnement, les conditions de vie rudes dans le froid polaire. Tout est blanc dehors et ils n’ont même pas les mots pour décrire le paysage uniforme. Participer à cette expédition est une expérience unique et tous entendent bien en profiter. Tout va bien et ils organisent une sortie sur la banquise et là, stupeur, c’est la tempête alors qu’ils sont séparés. Quand une situation comme celle-là arrive il est bien entendu nécessaire de ne pas paniquer et d’appliquer les consignes de survie maintes fois répétées mais quand on est sur le terrain, c’est autre chose. Difficultés de communication, problèmes de concentration…on sent bien l’angoisse qui s’installe et c’est compliqué….

La suite sera terrible, Doc est frappé d’aphasie, son corps ne suit plus et il est rapatrié. Luke revient aussi. Mais que s’est-il réellement passé là-bas ? Doc lutte pour retrouver ses acquis physiques mais surtout le langage. Les mots lui échappent, se bousculent, sont faussés, les syllabes et les phrases arrivent en désordre. Son épouse, Anna, se retrouve avec un rôle d’aidant alors qu’elle vivait sa vie pendant ses nombreuses absences…. Est-elle prête à assumer cette tâche ? Robert va-t-il récupérer suffisamment pour être comme avant ? Ou faudra-t-il se faire à l’idée et s’habituer à un compagnon « différent » ? Du fait de ses missions, Doc avait tissé peu de liens avec sa progéniture… Les repères du couple et de leurs enfants adultes sont bousculés.

Que va faire Robert ? Lutter, s’exercer, s’entraîner pour retrouver ses facultés ou, désespéré, se laissera-t-il aller ? Y-aura-t-il des hauts et des bas ? C’est le cheminement de la reconstruction du langage, si indispensable à l’homme et si lié à son intelligence, à ses raisonnements, que nous allons suivre. C’est un défi à relever seul ou accompagné…

Avec un stylé dépouillé mais très fort émotionnellement, l’auteur nous plonge dans ce drame qui déstabilise les protagonistes. Anna ne sait pas forcément quelle attitude adopter, il y a un équilibre à mettre en place, ne pas trop en faire mais être présente pour l’autre s’il en a besoin. C’est lourd pour elle, elle est obligée de mettre sa vie professionnelle entre parenthèses. Jusqu’où est-elle prête à se sacrifier ? Agit-on par obligation ou par amour lorsque l’être aimé, diminué, doit être accompagné chaque jour ? Qu’en est-il de nos capacités de résilience ?

J’ai été bouleversée par ce récit.Jon McGregor a su me toucher au plus profond, chaque mot résonnait, même ceux qui étaient bancals car ils échappaient à Doc. Les mots ont un tel pouvoir sur moi. Je me suis demandée ce que je ferais si un jour, ils disparaissaient de mon esprit, si je ne pouvais plus utiliser toutes les richesses, les modulations du langage. C’est tellement beau un mot !

Dans ce livre, plusieurs thèmes sont évoqués, la communication, la maladie, la loyauté, l’amitié, l’amour, l’empathie etc. Tous le sont avec tact, il n’y a pas de voyeurisme, de pathos, simplement des faits avec lesquels il faut composer. L’auteur s’est documenté avant d’écrire et ce qu’il présente nous rappelle la fragilité mais également la beauté de la vie.