La guerre aussi bien demain que dans cinq ans, de Marianne Laufer

Publié le 02 avril 2023 par Francisrichard @francisrichard

Dans ce volume sont réunis deux manuscrits de Marianne Laufer: son Tagebuch, qu'elle a tenu, gymnasienne vaudoise, à l'été 1936, en Allemagne, et ses Souvenirs familiaux qu'elle a rédigés en 1999 et qui couvrent la période qui va de sa naissance, le 25 juillet 1919, jusqu'au mois d'août 1939.

Le titre que l'éditeur a donné à l'ensemble de ces deux documents, révélateurs d'une époque, est extrait, et c'est prémonitoire, de ce qu'elle écrit dans son journal à la date du 26 août 1936: La guerre, j'ai l'impression, peut aussi bien venir demain que dans cinq ans, mais je suis sûr qu'elle viendra. 

Marianne Laufer est allée en Allemagne du 23 juillet 1936 jusqu'au 18 septembre 1936, à Francfort-sur-le-Main. Le but de ce voyage est de parfaire ses connaissances dans la langue allemande en séjournant dans la famille Holz et de visiter la ville et ses environs au sens très large avec leur fille Mariele.

C'est l'été de ses dix-sept ans et des Jeux olympiques de Berlin. Dans ce contexte, les visites faites à pied, à vélo ou en auto sont un témoignage historique où se juxtaposent occupations ordinaires de jeunes filles, tricotage ou jeux de carte, à des événements extraordinaires, lourds de conséquences.

Dans ses souvenirs, elle revient sur ce séjour marquant, qu'elle situe dans un contexte plus large: il y a eu un avant et un après son été 1936. Elle y reprend un passage de son journal, qui a revêtu une grande importance pour elle et qui ne l'est pas moins pour le lecteur d'aujourd'hui en quête de réponses.

Le 10 août elle a une conversation avec Mme Holz sur le régime allemand. Si celle-ci ne veut pas discréditer son pays, elle ne cache pas son désaccord avec ce mouvement antisémite et antichrétien. Les Allemands ayant, par le Traité de Versailles, été traités indignement, ils ont accueilli l'homme

qui offre de redonner à l'Allemagne sa place légitime parmi les nations en se servant de la jeunesse. 

Puis elle évoque trois souvenirs qui manquent dans son Tagebuch:

- Dans un tram, elle doit, sans explication, se lever de sa place assise: En fait je n'avais pas encore réalisé qu'avec mes cheveux noirs et mon nez arqué je n'avais pas l'air particulièrement aryen!

- Dans un bureau de poste, où Mariele l'accompagne, elle doit tout de suite sortir: La raison était la même. On ne m'a pas brutalisée, mais il fallait obtempérer.

- À la maison, une fine amie des Holz a fait en vain le tour des consulats pour obtenir un visa d'émigration: En partant, Mme Holz lui donne un panier de denrées alimentaires. Comme Juive1, elle est sans ressources. Et tout cela se passait en 1936 déjà!

Elle conclut:

Pourquoi n'en ai-je pas parlé dans mon Tagebuch ? Je ne sais plus. Sans doute avais-je déjà déjà appris la prudence.

Francis Richard

1 - Dans son manuscrit, Marianne Laufer n'a pas mis de majuscule.

La guerre aussi bien demain que dans cinq ans,  Marianne Laufer, 112 pages, Éditions d'en bas

NB

Ce document, qui fait partie de la collection Ethno-Doc des Éditions d'en bas, comprend des illustrations: aquarelles, reproduction du Tagebuch, photographies des Holz, cartes postales et photographies des Laufer.