Pynch me

Par Thomz
Je m’attelle à ce papier pour la deuxième fois en une semaine à peine après être rentré d’une escapade estivale qui bien que courte fut rafraichissante. Une deuxième fois parce qu’en rentrant et rebranchant mon ordinateur portable, je ne pus que constater son décès irrémédiable, et ma stupidité à n’avoir pas fait de sauvegarde, sur un support externe, de mes projets en cours, qui bien que n’étant pas nombreux, étaient pour certains en bonne voie d’avancement, ne serait-e que pour leur direction et certaines formules dont j’étais heureux. L’ironie du sort est que le papier avec lequel je voulais reprendre mes activités était consacré à mon incapacité à écrire et encore plus à me résoudre à me lancer dans Pynchon, alors que son dernier roman, dont la publication en français est imminente, m’avait jusque là échappé.
Ce n’est qu’en commençant ce blog et en découvrant des lecteurs qui allaient devenir mes camarades du Fric Frac Club que j’ai commencé à prendre la mesure de Thomas Pynchon, dont je n’avais auparavant qu’une image floue, distante, flottante, une idée peu assurée de ce qu’il aurait à m’offrir en tant que lecteur. Les choses commençaient à devenir plus précises à mesure que je lisais les papiers consacrés à Against the Day (futur Face au jour puis Contre-Jour) que de très bons lecteurs mettaient à disposition sur la toile. La parution de l’opuscule de Claro aux éditions Miniatures (Vers la grâce) consacré à la traduction de ce dernier ouvrage fut une sorte de déclic et lors d’une soirée du mois d’octobre dernier, l’idée de prendre à rebours l’idée de Claro, c'est-à-dire de relater mon incapacité à lire ce Pynchon, alors même que quelques mois auparavant je me l’étais procuré lors d’une expédition en librairie et qu’il était soigneusement disposé sur la pile de lecture et qu’il n’a pas bougé. Ou presque. Je fis part de ce projet à Antonio W. saint patron des miniatures, mais je dus me résoudre quelques semaines plus tard, alors que seulement quelques phrases poussives s’étaient accumulées de manière bien maladroite sur un fichier Word maintenant perdu, à laisser dans les limbes informatiques un projet qui décidément devait me résister jusqu’à maintenant. Je commençais entre temps, et j’achevai la lecture de Crying of the Lot 49, roman le plus court de Thomas Pynchon, dont l’écriture autant que le sujet m’avait profondément déconcerté à tel point que je serais bien en peine même d’en esquisser quelques lignes ici même sans en avoir repris la lecture, qui gageons-le ne tardera pas. Mais ce que m’a appris ce blog c’est qu’en aucun cas je ne sais me tenir à un programme de lecture, étant trop paresseux pour cela, et aussi surement pas assez bon pour parler de tout ce que je lis ; l’envie de le faire entrant certainement en compte.
Une centaine de pages d’Against the Day en décembre 2007 si je me souviens bien, entreprises un samedi après midi pluvieux, alors que je cherchais à échapper à un stage qui me rongeait corps et âme, à Nimier aussi dont la présence se faisait insistante au moment où je devais commencer à réfléchir à quelles directions allaient pouvoir prendre mon maigre travail universitaire, aujourd’hui achevé, mais qui mérite de nombreuses corrections, dont je ne suis pas entièrement fier, mais qui émergera un jour ou l’autre, si tant est que je me donne la peine de le faire vivre. Mais revenons à notre sujet avant d’entrer dans un éparpillement qui lui serait fatal, une fois de plus.
La lecture du dixième du roman ne devait pas se poursuivre plus longuement que ce samedi pluvieux, les contingences quotidiennes m’empêchant bien malgré moi de me consacrer à une tâche de cette ampleur.
Ce n’est qu’en avril de cette année que les choses évoluèrent quelque peu, dans la bonne direction. Lors d’un voyage à New York, j’achetai Gravity’s Rainbow en édition Penguin Deluxe, et je le commençai un après midi ensoleillé cette fois-ci, allongé sur une des grandes pelouses de Central Park. Quel snob je fais. Peut être que finalement l’aura de la grande Pomme, ville de résidence, jusqu’à preuve du contraire (et qui pourrait amener cette preuve ?), du Pynch a été décisive à bien des égards à ma conversion. Allongé sur le gazon, je découvris, cigarette au bec, un Londres ravagé par le Blitz, une assemblée de soldats iconoclastes, dont un aimait les bananes, une organisation secrètes, l’équation de poisson, des érections qui étaient peut-être plus qu’un afflux sanguin….Le volume a fini par rendre l’âme quand je suis rentré à Paris, les deux-cent dernières pages s’étant détachées, et cela a eu raison de mon endurance de lecteur. Ces pages détachées traînent depuis sur ma table de nuit, à l’abandon, recouvertes de poussière, symbole de mon incapacité à faire face, une fois de plus, à Pynchon. J’entrepris pour autant la lecture entre temps de Slow Learner, et fut plus touché par la préface de Pynchon, touchante de sincérité et de facétie, nous enjoignant, nous lecteurs, à ne pas prêter attention aux nouvelles qui suivent tant elles n’en valent pas la peine.
Cette lecture inachevée de GR entraîna aussi quelques dommages collatéraux, notamment l’arrêt brutal de ma lecture de l’Ulysse de Joyce, que j’avais bien entamé en arrivant à New York et que je n’ai pas repris depuis. Il faudra recommencer à zéro, mais le plaisir que j’avais éprouvé à cette première esquisse de lecture m’indique que cela ne sera en aucun cas une épreuve de reprendre à zéro le chemin de Léopold Bloom.
De Pynchon, je n’ai à présent qu’une image parcellaire, inculte presque, où se mélangent français et anglais, une incapacité presque totale à décrire cette prose si étrange, alchimie transgressive qui eut le grand mérite de tester mes limites de lecteur en anglais, les repoussant un peu plus loin, découvrant de nouveaux horizons impalpables certes.
Mais je savais que Contre-Jour allait paraître en français et que la traduction serait à la hauteur. Je savais qu’il ne fallait pas se presser, mais Pynchon cristallisait, et cristallise une envie de lecture qui ne trouve pas l’assouvissement, l’envie de lire tout, tout de suite, de laisser tout le reste de côté. L’envie d’en savoir autant que les autres, de découvrir par soi-même ce qui est déjà connu par certains depuis de nombreuses années. Ces lectures furent l’image d’une temporalité qui échappe irrémédiablement, peu importe les efforts fournis, la paresse remise de côté. L’acharnement de la vitesse saborde toute expérience de lecture. Je ne parle pas ici de la vitesse à lire un livre, mais celle qui fait que nous ne voyons pas, ou plus, ce qui fait de la lecture un plaisir, quand celle-ci devient un perpétuel regard dans le rétroviseur, vers des poursuivants invisibles.
Je n’aurais surement pas le courage de lire ce que j’avais prévu de lire cette année, ce que j’avais envie de lire cette année, Pynchon et les autres. Mais je sais qu’ils seront toujours dans un coin de ma bibliothèque, ou qu’ils sont quelques lettres gribouillées dans un carnet, attendant d’être déchiffrées. Je ne commence qu’à réaliser que j’ai tout mon temps.
On reprend les activités livresques très bientôt au même endroit.