Perdus pour l’olympisme

Publié le 17 août 2008 par Oz

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(Article publié dans Le Monde du 23 aout 2004)

De nombreuses disciplines ont dû s’adapter pour ne pas disparaître du programme olympique

La chronique a retenu leurs noms, malheureusement pas leurs prénoms. Deux sportifs grecs, Xenakis et Andriakopoulos, ont pourtant offert à leur pays un bien joli doublé olympique. C’était il y a cent huit ans, à Athènes, déjà. L’exploit est relaté par le très officiel rapport des Jeux de la Ire Olympiade, conservé au Musée olympique de Lausanne. « A ce concours plus attrayant et plus difficile, peut- on y lire, prennent part cinq champions. M. Andriakopoulos, de Patras, membre de l’Association panachéenne de gymnastique, se hisse le premier avec une agilité inconcevable. M. Xenakis, membre de l’Association nationale de gymnastique, fait aussi preuve de beaucoup d’art et de souplesse. Après eux, essayent vainement de se hisser l’Allemand M. Hoffmann, le Danois M. Jensen, et l’Anglais M. Elliot ; les autres champions inscrits se désistent. M. Andriakopoulos est donc déclaré vainqueur et M. Xenakis second. L’apparition des couleurs nationales au sommet du mât soulève des applaudissements unanimes et prolongés. »En 1896, à Athènes, MM. Andriakopoulos et Xenakis, par leur agilité, leur art et leur souplesse, ont donc dominé sans partage l’épreuve olympique de traction à bras sur corde lisse. Tout ce qu’il y a de plus sérieux : l’épreuve sera quand même inscrite quatre fois au programme olympique entre 1896 et 1932.

Toutes n’auront pas eu cette longévité : le 5 000 m par équipes, le 3 000 m marche, le 200 m haies, pas plus que les sauts en hauteur, longueur et triple sans élan, n’ont survécu plus d’une olympiade au programme de l’athlétisme ; en natation, le 100 m nage libre pour matelots (en 1896), la nage sous l’eau ou encore le 200 m avec obstacles (1900) n’ont été inscrits qu’à un seul menu olympique. Même chose avec le fleuret pour maîtres d’armes (1896) ou l’escrime au bâton (1904).

Beaucoup plus farfelu : entre les Jeux et l’Exposition universelle, Paris est en 1900 le théâtre de singulières joutes. Le public s’y perd parfois. Jeux ou manifestation de l’Exposition ? Le concours de manoeuvre de pompes à incendie est en tout cas l’occasion d’un grand moment de fierté nationale qui aboutira à la publication d’un rapport du comité d’organisation, intitulé « De l’utilité des concours de pompes ». Sur les programmes de l’époque, disciplines réellement olympiques côtoient en tout cas les démonstrations festives. Il y a du golf, de la natation, de l’escrime, de la gymnastique et de l’aviron. Il y a aussi de la colombophilie, du sauvetage sur eau et sur terre, des jeux scolaires et des exercices militaires.

Depuis, heureusement, le périmètre de l’olympisme est plus strictement délimité, mais, au fil des ans, le programme n’a cessé d’être remanié, à petites ou plus grosses touches. Neuf sports et 43 épreuves étaient inscrits au menu des Jeux de 1896, ils sont 28 sports pour 301 épreuves à l’occasion du retour aux sources grecques. Quatre disciplines n’ont manqué aucun des vingt-cinq rendez-vous depuis la rénovation : l’athlétisme, l’escrime, la gymnastique et la natation. Trois autres - l’aviron, le cyclisme et la lutte - ne se sont absentées qu’à une seule reprise. L’haltérophilie n’a pas répondu présente en 1900, 1908 et 1912.

Pour leur part, le golf, le rugby, le polo, le cricket, le croquet, la pelote basque, le ski nautique, le jeu de paume, le lacrosse, entre autres, ont eu droit à une part, plus ou moins éphémère, de la gloire olympique. Certains - comme le golf ou le rugby - ont su prospérer sans elle mais ils n’en frappent pas moins de nouveau à la porte des JO. D’autres ne se sont jamais véritablement remis de leur départ. Etre ou ne pas être olympique ? La question n’a cessé d’agiter le monde des Jeux. Jusqu’en 1957, le programme reste partagé en deux grands groupes. Il y a d’un côté les sports dits « obligatoires », systématiquement inscrits au programme ; et de l’autre ceux dits « facultatifs », laissés à la libre appréciation des organisateurs.

La 54e session du Comité international olympique (CIO), à Sofia, en 1957, abolit cette frontière artificielle entre l’obligatoire et le facultatif, et admet que « seuls les sports largement pratiqués dans 25 pays (au lieu de 20) au moins peuvent être inscrits au programme des Jeux. »

En 1994, la barre a été placée encore plus haut : pour obtenir un label olympique, un sport doit être pratiqué dans au moins 75 pays sur 4 continents pour les hommes ; 40 pays sur 3 continents pour les femmes. Etre ou ne pas être olympique. Au CIO, une commission, dite « du programme olympique », est chargée depuis 2002 de revoir et d’analyser le programme des sports. La disparition ou l’admission d’un sport doit être entérinée par les deux tiers au moins des membres du CIO.

Il y a quelques années déjà que le programme subit un régulier lifting. Le phénomène devrait se poursuivre.

L’idée est de « définir une procédure de révision systématique du programme », selon le CIO. La commission exécutive, réunie à Athènes juste avant l’ouverture des JO, a ainsi validé le 11 août une liste de 33 critères qui seront utilisés pour évaluer les programmes des Jeux à venir. Ils tiennent compte de l’histoire du sport, de son histoire, du nombre de pays affiliés à la fédération internationale, de son impact sur l’environnement, de sa conformité avec les règles antidopage, notamment. Ils visent également à évaluer le potentiel médiatique, les revenus de droits télé qu’il peut générer, sa capacité à trouver des financements privés extérieurs au CIO, le coût de la technologie nécessaire, ou encore le « coût et de la complexité de la sécurité sur les sites de compétition », selon le critère 31.

Le CIO entend ainsi lutter contre les dérives des Jeux, leur gigantisme, leur coût devenu exorbitant. Il entend aussi ouvrir éventuellement la porte à d’autres disciplines, plus dans l’air du temps, quitte à le faire au détriment d’autres, traditionnelles. Les « petits sports », confidentiels, générant peu d’audience et peu de revenus, sont donc dans le collimateur.

« Nous garderons 28 sports, 300 épreuves, et 10 500 athlètes. Ce que nous voulions faire, en revanche, c’était gérer d’autres aspects, comme le nombre total d’accréditations, la logistique, etc. », veut pourtant rassurer Jacques Rogge, le président du CIO. Inscrites de facto sur la liste - virtuelle et officieuse - des menacées, certaines disciplines ont donc été amenées à modifier profondément leurs habitudes afin de conserver le si précieux label olympique.

La compétition d’escrime a, par exemple, été rabotée, le nombre de participants dans les épreuves individuelles et par équipes a très nettement réduit. La Fédération internationale d’escrime (FIE) a par ailleurs été conduite à investir dans des améliorations technologiques - sabre électrique, escrime sans fil, masque transparent -, qui seront sans doute obligatoires à Pékin. Pour accueillir le sabre féminin, la FIE a dû sacrifier le fleuret dames par équipes. « L’escrime n’est plus sur la liste des disciplines menacées », assure désormais René Roch, le président de la FIE.

En dépit de nombreux efforts, le pentathlon moderne reste, lui, sur la sellette. Discipline purement olympique, il combine la course à pied, la natation, le tir, l’escrime et l’équitation. Il a été voulu et imaginé par Pierre de Coubertin, afin de perpétuer l’esprit de l’épreuve reine des Jeux de l’Antiquité, qui couronnaient le sportif le plus complet après le disque, le javelot, la course, le saut en longueur et la lutte, ou parfois le pancrace ou la boxe.

« Ce n’est certes pas un sport d’argent, mais un sport de valeurs. Un patrimoine symbolique de l’olympisme », témoigne Joël Bouzou, premier champion du monde français de la discipline et aujourd’hui secrétaire général de l’Union internationale. En quelques années, le pen- tathlon a complètement bouleversé ses us et coutumes. Il se disputait sur cinq jours, un par épreuve. Il est aujourd’hui organisé sur une seule et même journée. La durée des combats, les distances de la natation et de la course ont été rognées. Le tir se fait avec des armes à air comprimé, sur cibles fixes. Une épreuve féminine est désormais inscrite au programme olympique, tandis que la compétition par équipes a été supprimée. Et tout à l’avenant.

« Bien sûr, note Alain Geles, le président de la Fédération française, notre sport reste malgré cela à l’écart de l’argent et des succès d’audience TV. Mais l’olympisme, qui est parfois malmené, a plus que jamais besoin d’îlots de pureté, de supports symboliques. Supprimer le pentathlon du programme olympique, ce ne serait pas très difficile. Mais ce ne serait surtout pas très glorieux. » Le pentathlon sera à Pékin en 2008. Mais après ?

Olivier Zilbertin