Un Chemin pas à pas

Publié le 20 juillet 2023 par Eric Acouphene

 « La réalité dans laquelle nous vivons est une réalité de la rencontre » K.G Durckheim


Lorsque j’ai pris cette photo, je m’apprêtais à passer mon chemin rapidement en me disant :

« Tiens, étonnant cette fleur sortant du béton ».

Et puis, je me suis arrêté, touché par la puissance de vie qui se dégage de cette fleur jaillissant d’une terrasse en pierre. Ce geste, si simple, si fragile, éclatant de vie, comme si de rien n’était, m’a arrêté dans mon « plein de choses à faire ».

Jacques raconte souvent cette promenade en forêt avec Durckheim, presque aveugle à la fin de sa vie, lors de laquelle il lui demande :

« - Que voyez-vous là, Jacques ?

- Là, je vois un arbre magnifique !

- C’est curieux, là où vous voyez un arbre, je vois un geste de la vie ».

« La réalité de la rencontre » dont parle K.G. Durckheim est cette vision, ce contact avec le geste vital qu’est tout être vivant, rencontre qui se produit avant de nommer ce que l’on voit, ou avant d’émettre des idées, des jugements sur ce que l’on rencontre.

Réalité bien plus vaste, bien plus sacrée que des pensées du type : « cette fleur est bien jolie … quel est donc son nom ? … Comment peut-elle pousser là ?... »

Si je rencontre cette fleur avec le mental, j’en reste à : « c’est joli … C’est étrange … », et je retourne à mes activités bien plus importantes.

Mais si le geste de vie qu’est la fleur me touche, je suis obligé de m’arrêter, ne serait-ce que quelques instants. Être touché, cela veut dire que je sors autrement de cette rencontre, qu’il y a forcément un changement dans ma manière d’être : plus calme … plus ouvert … moins précipité ?

En prenant le temps de la rencontre avec cette fleur, je suis touché par la force de vie, la beauté d’un tel contraste ; touché par l’ordre naturel des choses qui fait que tout ce qui vit est appelé à se développer selon sa forme propre, voulue par la vie, avec les conditions existentielles du moment.

Je suis touché par le lien qui unit la fleur et la pierre : ce geste n’existerait pas sans la dalle de pierre ; la fleur s’appuie sur ces conditions particulières, que l’on peut qualifier de très difficiles, pour néanmoins se révéler dans un geste pleinement épanoui.

Cette rencontre me recentre, fait passer le mental au second plan, et, pour un moment au moins, je me sens plus vivant, en contact avec un aspect de moi que je mets souvent en veilleuse : « être complètement, essentiellement là », ouvert à une rencontre sensible, sensorielle avec ce qui est, sans « le miroir du mental ».

Je suis touché, parce qu’en rencontrant cette fleur, je comprends certains aspects de la pratique du zen ; de même que la particularité de cette fleur nait de la dalle fissurée, l’Être que je suis peut se révéler sur les rudesses, les fissures, les failles du « mur de l’égo ».

L’Être s’appuie sur les craquelures de l’ego pour grandir, s’épanouir, en tant que forme, geste, et cela d’une manière unique : c’est la forme individuelle propre à chacun de nous, voulue par la vie, que l’on appelle dans notre enseignement « Être Essentiel ».

Cela me rappelle une expérience faite lors d’un zazen particulièrement éprouvant : je suis un bloc de béton, tout en résistance et lutte intérieure ; je brûle intérieurement de colère et d’impuissance à ne pas pouvoir lâcher prise : quelques centimètres carrés de douleur entre les omoplates prennent tout l’espace. Et puis, tout d’un coup, je sens un filet d’air qui se faufile à travers ce bloc de tension : tiens, je respire encore … « Cela respire »

Le souffle se fait plus présent, plus ample ; je réentends les oiseaux à l’extérieur ; je redeviens plus souple, plus ouvert ; des larmes coulent … Le « mur de l’égo » semble avoir été transpercé par l’élan vital que je suis, toujours présent, quelles que soient les circonstances existentielles.

La « réalité de la rencontre » avec ma vraie nature n’oppose pas moi existentiel et être essentiel, mais remet les choses à leur place : « Je suis un être vivant » met au second plan « je suis un être pensant ».

Pour revenir à la photo de ce geste-fleur, il s’agit d’une rencontre que j’ai faite un matin sur le palier de ma maison, et sans doute suis-je passé devant de nombreuses fois sans y prêter attention. En sortant de chez moi, lorsque je les Vois, je ne manque donc pas de m’incliner devant ces quelques fleurs, et ainsi changer ma manière de marcher pour aller vers « plein de choses à faire ».

Joël PAUL

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