Magazine Culture

24 septembre 1943/Naissance d’Antonio Tabucchi

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 24 septembre 1943 naît à Pise Antonio Tabucchi. Passionné par le Portugal, Tabucchi navigue entre Lisbonne et l’Italie où il enseigne (depuis 1973) la langue et la littérature portugaise (Université de Gênes, puis de Sienne). Récompensé par de nombreux prix, Antonio Tabucchi, traducteur de l’œuvre intégrale de Fernando Pessoa, a connu un très vif succès avec Pereira prétend. Le héros du roman, inspiré par l’auteur aux multiples visages, a été incarné à l’écran par Marcello Mastroianni, dans un film de Roberto Faenza (1995).


EXTRAIT de PEREIRA PRÉTEND

  Pereira sortit de sa rêverie quand il passa devant Santo Amaro. C’était une belle plage incurvée et on voyait les cabines de toile à bandes blanches et azur. Le train s’arrêta et Pereira eut l’idée de descendre et d’aller se baigner, de toute façon il pouvait prendre le train suivant. Ce fut plus fort que lui. Pereira ne saurait dire pourquoi il ressentit cet élan, peut-être parce qu’il avait pensé à l’époque de Coimbra et aux bains à la Granja. Il descendit avec sa petite valise et traversa le passage souterrain qui conduisait à la plage. Quand il arriva sur le sable, il enleva ses souliers et ses chaussettes et avança ainsi, tenant d’une main la valise et de l’autre les chaussures. Il vit tout de suite le maître-nageur, un jeune homme bronzé qui surveillait les baigneurs, étendu sur un transat. Pereira s’approcha et lui dit qu’il voulait louer un costume de bain et un vestiaire. Le maître-nageur le détailla de la tête aux pieds, d’un air narquois, et murmura : je ne sais pas si nous avons un costume à votre taille, quoi qu’il en soit je vous donne la clé du magasin, vous verrez, c’est la cabine la plus grande, le numéro un. Puis il demanda d’un air qui sembla ironique à Pereira : vous avez aussi besoin d’une bouée ? Je sais très bien nager, répondit Pereira, peut-être beaucoup mieux que vous, ne vous en faites pas. Il prit la clé du magasin et celle du vestiaire et s’en alla. Dans le magasin, il y avait un peu de tout: des bouées, des brassières gonflables, un filet de pêche couvert de flotteurs, des costumes de bain. Il fouilla dans les costumes de bain pour voir s’il en trouvait un à l’ancienne, ceux entiers, de façon à couvrir aussi le ventre. Il réussit à en trouver un et le passa. Il lui était un peu serré et c’était de la laine, mais il ne trouva pas mieux. Il déposa sa valise et ses habits dans le vestiaire, puis traversa la plage. Au bord de l’eau se trouvait un groupe de jeunes gens qui jouaient au ballon et Pereira les évita. Il entra calmement dans la mer, tout doucement, laissant le froid l’envelopper petit à petit. Puis, quand l’eau lui arriva au nombril, il plongea et se mit à nager un crawl lent et cadencé. Il nagea longuement, jusqu’aux bouées. Quand il s’accrocha à la bouée de sauvetage, il sentit qu’il était à bout de souffle et que son cœur battait beaucoup trop fort. Je suis fou, pensa-t-il, cela fait une éternité que je ne nage plus, et je me jette ainsi à l’eau, comme un sportif. Il se reposa, accroché à la bouée, puis il fit la planche. Le ciel au-dessus de lui était d’un azur féroce. Pereira reprit son souffle et rentra calmement, à brassées lentes. Il passa devant le maître-nageur et voulut se donner satisfaction. Comme vous l’avez constaté, je n’ai pas eu besoin de bouée, dit-il, quand passe le prochain train pour Estoril ? Le maître-nageur consulta l’horloge. Dans un quart d’heure, répondit-il. Très bien, dit Pereira, alors rejoignez-moi, je vais me rhabiller et je voudrais vous payer, car je n’ai pas beaucoup de temps. Il se rhabilla dans le vestiaire, sortit, paya le maître-nageur, donna un coup de peigne au peu de cheveux qui lui restaient avec un petit peigne qu’il avait dans son portefeuille et il salua. Au revoir, dit-il, et surveillez ces jeunes gens qui jouent au ballon, d’après moi ils ne savent pas nager, et ils dérangent les baigneurs.

  Il traversa le passage souterrain et s’assit sur un banc de pierre, sous la marquise. Il entendit arriver le train et regarda l’horloge. Il était tard, pensa-t-il, sans doute l’attendait-on pour le déjeuner à la clinique de thalassothérapie, parce que dans les cliniques on mange tôt. Il pensa : tant pis. Mais il se sentait bien, il se sentit détendu et frais, tandis que le train arrivait en gare, et puis, pour la clinique de thalassothérapie, il avait tout le temps, il allait y rester au moins une semaine, prétend Pereira…

Antonio Tabucchi, Pereira prétend, Christian Bourgois éditeur, 1995, pp. 108-109-110.


Retour au répertoire de septembre 2008
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Angèle Paoli 39970 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines