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Interview : Jacques Dupont & le Champagne (2/2)

Par Marie Servagnat

Suite de l’entretien avec Jacques Dupont, à l’occasion de la sortie de son livre, Choses Bues, où il raconte les rencontres qu’il a fait tout au long de sa carrière, et de nombreuses anecdotes savoureuses. Pour le Blog à Bulles, il évoque le Champagne, ses pratiques, ses millésimes, ses vignerons et ses travers.

Interview : Jacques Dupont & le Champagne (2/2)
- Que pensez-vous de la pratique du Champagne sur latte ?
Vous voulez sans doute dire l’achat de champagne sur lattes… C’est-à-dire la possibilité pour une maison d’acheter un champagne réaliser par un autre (une coop, un vigneron ou un autre négociant) et de coller son étiquette dessus est sans doute une nécessité économique mais intellectuellement, vis à vis du consommateur c’est inacceptable. De même que je trouve inacceptable qu’un adhérent de coopérative qui vend chez lui le champagne de la coop, puisse coller sa propre étiquette et faire croire aux clients qu’il l’a lui-même élaboré et qu’il affiche sur son portail “propriétaire récoltant”. La plupart des coops en Champagne sont bien équipées et travaillent bien, mais là encore intellectuellement le procédé n’est pas glorieux.

- Quels sont les millésimes récents en Champagne qui sont, selon vous, remarquables ?
1914 est remarquable. Je plaisante mais en plus c’est vrai. Plus récemment, j’adore le 96, 2002 a l’air de pas mal évoluer. Je vais commencer de goûter les 2006 qui s’annoncent aussi de grande garde. Si on a la possibilité d’acheter chez les vignerons qui en ont conserver des 1990, 1995, 1988, ne pas hésiter.
Contrairement à la Bourgogne qui multiplie les appellations, le Champagne est une appellation simple à comprendre, ce qui a certainement participé à son succès, mais cette simplicité n’est-elle pas réductrice?
L’histoire des deux régions est parallèle jusqu’au XVII e siècle. La spécialisation champagne avec la mise en avant de grandes maisons qui ont ouvert les marchés a profondément marqué la structure viticole. Le village, le cru, même s’il est resté dans la mémoire collective, a disparu dans le discours grand public. On a continué à dire Mesnil, Avize ou même citer des parcelles entre professionnels, mais pour le grand public, ce sont les marques qui sont devenues déterminantes. La commercialisation du champagne, loin des océans, des ports qui étaient déterminants à l’époque, fut une grande aventure dont il faudrait écrire l’histoire un jour. Celle de Champagne Charlie, genre d’aventuriers de West Ern ou l’arrivée des premières bouteilles de la Veuve Clicquot dans la Russie des Tsars après la chute de Napoléon relèvent de l’épopée. Il n’y a rien a regretter car sans ces gens-là, la Champagne, celle du vin aurait sans doute disparue et aujourd’hui, à la place des coteaux de Bouzy, vous auriez de charmants lotissements. Surtout avec l’arrivée du TGV dans la région. On a vu ce que cela a donné dans la Loire. Depuis quelques années, la Champagne renoue avec ses terroirs. Grâce à des vignerons indépendants de talent qui à la mode bourguignonne récoltent, vinifient par cris et par parcelles (je pense notamment au travail méthodique de la famille Boulard, champagne Raymon Boulard, mais il y en a bien d’autres). Par nécessité aussi, les grandes maisons ne s’opposent plus à ce mouvement de revalorisation des lieux-dits, des “climats” comme on dit en Bourgogne. La concurrence des sparkling wines, des crémant en France a joué en faveur du terroir. La Champagne a du rappeler quels étaient ses fondamentaux : l’adaptation de cépages septentrionaux à des sols et un climat pauvre et septentrional… Pour dire vite.

- Il y a actuellement un important débat concernant l’application de la loi Evin à la fois dans la presse (cf. la condamnation du Parisien dans l’affaire Moët & Chandon) et sur Internet. Que pensez-vous de cette loi et de son application ?
je suis pour l’interdiction des fers à repasser car cela peut brûler, la fermeture des boîtes de nuit sauf pour elles installées dans les maisons de retraite. Je suis pour l’installation d’air-bag dans les poussettes d’enfants car on ne sait jamais, le report à 30 ans de l’âge minimum pour passer le permis de conduire, l’inscription des magnums de champagne dans la liste des armes de première catégorie. J’allais ajouter que j’étais favorable à ce que l’on confie le ministère de la santé aux lobbys médicaux et pharmaceutiques, mais c’est déjà fait…

- Le prix du Champagne a fortement augmenté ces dernières années, le Champagne offre-t-il toujours un rapport prix/plaisir intéressant ?
Le prix du champagne de marque a beaucoup augmenté. Chez les vignerons qui ne sont pas contraints d’acheter 6 euros le kilo de raisin, les prix sont encore acceptables. Je donne des adresses de bons champagnes chaque année dans Le Point à moins de 13 euros et j’espère encore cette année pouvoir le faire.

- Vous évoquez les Rosé des Riceys, dont vous dites beaucoup de bien, mais que pensez-vous des Coteaux champenois ?
Si les vignes sont travaillées pour faire du coteaux et non pas du Champagne, c’est-à-dire avec des rendements nettement inférieurs, on trouve de très belles choses. J’adore les vins rouges de Champagne. Ce sont des vins d’amateurs, de gens qui ne pensent pas que la couleur pâle peut être un défaut. Reste que le prix est élévé.

- Dans Choses Bues, vous brossez une galerie de portraits assez éclectiques, un vin est-il le reflet de la personnalité de son propriétaire ?
Dans la plupart des cas oui. J’ai rarement vu des abrutis mesquins faire des vins fins et généreux

- Qu’est-ce qui caractérise le plus le vigneron ou le propriétaire champenois ?
L’accueil. On imagine trop souvent le vigneron champenois un peu froid et calé contre son tas d’or. Les vignerons de Champagne adorent recevoir pour pu qu’on considère qu’ils font du vin et non pas une boisson pétillante. Si on s’intéresse et qu’on le montre, alors on n’est pas sorti. C’est une des régions où j’ai le plus de plaisir à visiter les vignerons. Surtout que beaucoup n’ignorent pas mon goût pour les vieux champagnes. C’est parfois un drame de ne pouvoir s’arrêter là, et de passer l’après-midi à boire un vieux flacon moussu. Le vigneron suivant nous attend, il faut cracher, dire au revoir et partir. Bon, il y a des destins plus tragiques…


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