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Anthologie permanente : Santiago Montobbio

Par Florence Trocmé

Hôpital des innocents

La page blanche n’est jamais seulement la page blanche :
en parler c’est facile, mais pas dire – et c’est certain –
que la page consommée dans la plus profonde solitude
c’est la vie sans poèmes ou plein de vers que personne,
parmi les tiens, ne pourra jamais écrire.
Parce qu’il peut me rester un amour, une ombre et un oubli,
et plus encore parce qu’il doit me rester une manière
de me faire du mal, jusqu’à la fin et dans la nuit,
une manière de viser au plus juste
la ruine et la poursuite de moi
à travers l’épuisante et très étrange partie de chasse
où je suis l’arme et aussi la proie.

Monument à mon unique peine

Avoir perdu bien vite la vie
dans un coin ou un autre ; avoir senti
comment l'eau s'échappe
peu à peu des yeux,
avoir tant senti la peur et tant senti le froid
comme pour n'être finalement rien d'autre
que la peur et le froid. Avoir eu
de l'ombre et la gorge sèche, avoir
eu ou ne pas avoir eu
et n'avoir jamais été rien d'autre que des doigts,
n'avoir, non, n'avoir jamais réussi à sortir
de cette sombre ville et n'être que
l'héritier de la déroute
me repentir seulement de n'avoir pas composé,
quand il restait du temps, un poème qui n'aurait pas souffert
d'un excès de verre, un poème simple et sans motif
mais dans lequel l'eau aurait versé tout son sens
pour que, après l'avoir reçu par le courrier invisible des os,
tu puisses le garder pour toujours comme un ami oublié
ou un chien bleuâtre qui te dirait bonne nuit
avec la ponctualité
irréprochable de l'absence.

La seule époque

Parce que quelqu’un a été beau quelques temps
et que de livres anciens jamais écrits il a conservé
des mots qui ressemblent à ceux de la piété – ou d’une nature presque aussi étrange –
devant la stérile impassibilité des murs
comme pour un quelconque finale nous comprenons
que la seule époque de l’homme est celle qu’il passe sous silence

Santagio Montobbio, Le Théologien dissident, traduit de l’espagnol (Espagne) par Jean-Luc Breton, Atelier la Feugraie, 2008, pp. 11, 25 et 38

bio-bibliographie de Santagio Montobbio

Note de lecture de ce livre

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