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Sociologie du Pacs

Publié le 27 octobre 2008 par Anonymeses

Wilfried Rault, "Entre droit et symbole. Les usages sociaux du pacte civil de solidarité", Revue française de sociologie, 2007

En l'espace d'une trentaine d'années, les cadres institutionnels de la vie de couple ont considérablement évolué. Le modèle du mariage-institution, rite de passage naturalisé et incontournable signifiant à la fois accès à la conjugalité, à la famille et entrée dans l'âge adulte, a progressivement cédé sa place à une diversité de formes de vie commune.

« Contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune » (Art. 515-1 du Code civil), le pacte civil de solidarité fait partie du mouvement de diversification des formes et des usages des cadres de la vie privée. Institué par la loi du 15 novembre 1999, le Pacs a inscrit la France dans la dynamique européenne de reconnaissance légale du couple de même sexe amorcée par le Danemark (1989), la Norvège (1993), la Suède (1994) et l'Islande (1996). Comparé à la plupart de ces législations européennes qui lui sont antérieures, il présente la spécificité de s'adresser également aux couples de sexe différent désireux d'encadrer juridiquement leur union sans pour autant avoir recours au mariage. Wilfried Rault défend l'hyôthèse suivante : empruntant à la fois aux fondements du mariage et à l'esprit de certaines dispositions caractéristiques de l'union libre, le Pacs s'apparente à un objet intermédiaire, renfermant potentiellement plusieurs significations. Voué à se différencier du mariage, il n'offre cependant pas une forme totale de reconnaissance aux couples de même sexe. L'auteur démontre que le Pacs est caractérisé par un paradoxe : censé reconnaître le couple de même sexe, les modalités de sa reconnaissance institutionnelle relèvent d'une logique de faible visibilité sociale.

L'élaboration du pacte civil de solidarité répond à deux objectifs politiques distincts. Il a été motivé à la fois, par la volonté de reconnaître le couple de même sexe, mais plus largement de promouvoir une nouvelle forme de vie commune aux côtés du mariage.

C'est un principe « différentialiste », visant à distinguer très nettement le nouveau texte du mariage, qui a inspiré la rédaction de la loi 99-944 : le pacs constitue une nouvelle possibilité offerte aux couples pour encadrer leur union. Sa spécificité est incarnée par le fait que le Pacs ne modifie pas l'état civil des personnes. Cette disposition inscrit le pacte civil de solidarité dans le mouvement d'autonomisation des individus vis-à-vis du couple (Singly, 1993), dans la mesure où il représente une forme d'alliance dans laquelle l'identité officielle des personnes n'est pas une identité conjugale. Le Pacs est donc une forme de reconnaissance du couple qui ne met pas l'entité conjugale au-dessus de l'individu. Par ailleurs, à l'inverse du mariage, les articles instituant le PACS ne font aucune allusion à la fidélité. De plus, les modalités de rupture sont emblématiques du principe différentialiste ayant imprimé la rédaction du texte, le pacs pouvant être rompu par commun accord, par contraste avec les modalités du divorce pour requête conjointe qui impliquent une procédure judiciaire.

La logique différentialiste est également à l'œuvre dans toutes les dimensions institutionnalisées du pacs. La distinction apparaît d'abord dans le choix d'une institution différente de celle qui accueille les candidats au mariage puisqu'il s'agit du tribunal d'instance et non de la mairie. L'interlocuteur des pacsés est un greffier du tribunal. Dans ces conditions, le Pacs peut se prêter à une privatisation maximale, au sens où un « resserrement » exclusif du dispositif sur le couple est possible, tandis que tout mariage sans témoin est nul. Tous ces facteurs de différentiation traduisent clairement la volonté du législateur de créer une autre forme d'union.
En tant que reconnaissance d'une nouvelle forme de vie commune, le Pacs n'est cependant pas dépourvu d'ambiguïtés. L'absence d'inscription du statut conjugal sur l'état civil rapproche le Pacs d'un concubinage amélioré,l'enregistrement au tribunal d'instance tend à atténuer la visibilité sociale de cette alternative.
une reconnaissance partielle puisque sa dimension officielle est limitée. De la même manière,

Les ambiguïtés du Pacs comme forme de reconnaissance du couple de même sexe

Le Pacs constitue une reconnaissance du couple de même sexe, mais celle-ci est atténuée par plusieurs de ses dispositions. La loi relative au pacte civil de solidarité reconnaît officiellement le couple homosexuel du fait de son inscription explicite dans le Code civil. Cette reconnaissance s'incarne ensuite dans le fait que le Pacs est pourvoyeur de droits d'ordres divers et impose des obligations aux parties et aux tiers auxquelles les couples de même sexe ne pouvaient avoir accès auparavant. Ces effets sont à la fois patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Le Pacs marque le passage d'une logique de tolérance de l'homosexualité à une logique de reconnaissance. En ce sens, il peut apparaître comme le signe d'une institutionnalisation et d'une déstigmatisation de l'homosexualité, et d'un mouvement d'égalisation par rapport au couple hétérosexuel.

Cependant des éléments témoignent d'une reconnaissance partielle du couple de même sexe. Si les individus en couple de même sexe voient certes leur union juridiquement reconnue, pour autant, ils conservent nécessairement un statut de célibataire. Le lien homosexuel demeure, de ce point de vue, inscrit dans la sphère privée et fait ainsi l'objet d'une moindre légitimité que l'union hétérosexuelle.

De la même manière, si le Pacs est pourvoyeur de droits (et d'obligations), ces droits sont minorés comparés à ceux dont peuvent bénéficier les couples hétérosexuels dans le cadre du mariage. Enfin, strictement circonscrit au couple, le Pacs ne reconnaît pas les situations d'homoparentalité. Ainsi, le Pacs est caractérisé par un paradoxe : censé reconnaître le couple de même sexe, les modalités de sa reconnaissance institutionnelle relèvent d'une logique de faible visibilité sociale.

La deuxième partie de l'article est très intéressante : Wilfried Rault s'intéresse aux usages du pacs : quels sens y mettent les acteurs ? Il distingue quatre figures idéal-typiques du pacs selon que les contractants y mettent plus ou moins de sens.

Souvent, le Pacs permet de répondre à un problème d'ordre strictement juridique ou pratique. Il s'agit de résoudre ce problème (celui du rapprochement géographique par exemple, sous peine de séparation), tout en préservant, pour les couples de sexe différent, l'idéal de mariage pour une date ultérieure. Dans cette optique, pacser permet de ne pas porter atteinte à la symbolique matrimoniale qui serait amoindrie si elle était envisagée pour des raisons matérielles et dans une certaine précipitation liée aux échéances qui accompagnent la question pratique à résoudre. Les modalités concrètes de l'enregistrement sont, dans cette perspective, appropriées à la signification exclusivement juridique qu'endosse le Pacs du point de vue des contractants. Le Pacs peut répondre au même type d'aspiration pour les couples de même sexe : on peut le choisir pour répondre à un tel problème ponctuel et ne pas déployer de pratiques de symbolisation pour préserver un mariage que l'on espère à venir. Dans tous ces cas, le Pacs est mobilisé parce qu'il n'est pas porteur de véritable signification extra-juridique pour ceux qui le choisissent et qu'il ne fait ainsi pas d'ombre à un mariage envisagé ou souhaité à plus long terme. Les contractants ne construisent pas le pacte civil de solidarité comme un dispositif instituant leur union. Il peut être qualifié de asymbolique matrimonial de ce double fait.

A l'inverse, le Pacs peut être fortement investi. Dans sa version la plus typique, en réalité rarement rencontrée, il est un véritable mariage de substitution pour les couples de même sexe. Le Pacs n'est donc pas réduit à sa dimension pratique et juridique, mais investi symboliquement. À l'inverse du type précédent, le pacte civil de solidarité revêt une dimension instituante. Elle trouve sa traduction dans une ritualisation entendue comme la mobilisation de séquences symboliques qui visent à donner sens au Pacs.

Symétriquement, on peut distinguer deux autres pôles qui se fondent sur une distance vis-à-vis du mariage. Le Pacs est alors valorisé pour ses caractéristiques qui en font un dispositif largement privé et alternatif. Les Pacs asymboliques antimatrimoniaux signifien que cet usage renvoie, dans sa figure typique, exclusivement à un fondement juridique et est dépourvu de tout surplus de sens. Celui-ci prend sens dans une défiance vis-à-vis du mariage mais aussi de toute forme d'institutionnalisation du lien conjugal qui passerait par sa célébration ritualisée. C'est pourquoi les contractants se gardent de toute mise en scène qui modifierait la tonalité du Pacs :

Enfin, le Pacs peut être choisi parce qu'il symbolise l'affirmation d'un autre mode de vie commune. Dans cette optique, les éléments qui font du Pacs une alternative au mariage (le maintien d'une identité statutaire individuelle, les modalités de rupture, l'absence de dénotation religieuse) sont valorisés. Dans sa version la plus différenciatrice, le Pacs peut constituer pour les contractants un véritable anti-mariage. Les tiers familiaux sont exclus de toute célébration voire de toute annonce, les obligations rituelles auxquelles le mariage renvoie sont tournées en dérision. Le mariage et sa mise en scène traditionnelle sont ainsi les figures contre lesquelles est construit le sens du Pacs.

par Frédérique


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