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Que faites-vous de vos peurs ?

Par Jean-Louis Richard

Blog_peur Voyons la réalité : les dirigeants et leurs cadres sont remplis de peurs aussi profondes que niées.

A première vue, rien de nouveau : les hommes et les femmes ont toujours bâti leurs libertés en affrontant ces peurs, intimes et mystérieuses. Ce que j'observe depuis plusieurs années, c'est la prolifération de ces peurs sur un terrain de plus en plus fertile, et leur déni de plus en plus massif, qui contribue à leur renforcement.

Il est temps que nous donnions sa place au travail sur ces peurs. De quoi s'agit-il ?

Martin a 38 ans. Après dix ans d'une brillante carrière dans un grand cabinet de conseil, il a créé sa propre entreprise et s'est imposé sur un domaine où de grands clients lui font confiance. Conscient des enjeux de son métier, il a affirmé son style pragmatique et s'est entouré d'une équipe qui reconnait son leadership. A première vue, Martin est au sommet de son art, tout va bien... Sa compagne et lui viennent d'accueillir leur premier enfant, un garçon, qui bouleverse la vie de famille que le couple avait établie.

C'est face à son fils que Martin, sans en prendre conscience, a réactivé ses anciennes peurs. De nouvelles tensions sont apparues, son sommeil s'est agité, et le délicat équilibre patiemment élaboré pour ignorer ces blessures s'est lentement désagrégé. Un souci de santé l'a enfin obligé à prendre tout cela en considération. Quelques mois de travail vont permettre de laisser remonter ces traces douloureuses qui pèsent depuis toujours sur Martin, et autour desquelles il tournait sans les affronter. Au bout de ce chemin, le Martin de 39 ans n'aura plus grand-chose à voir avec l'ancien, et ses marges de manoeuvre professionnelles s'en trouveront bouleversées.

Cette histoire pourrait être intemporelle. De tous temps, des hommes et des femmes ont connu des situations similaires à celle de Martin. En fait, pas tant que ça. Qu'est-ce qui a changé depuis quelques années ?

Deux évolutions lourdes de notre société se conjuguent pour conférer à l'histoire de Martin une encombrante banalité.

D'abord, les hommes et les femmes arrivent de plus en plus tardivement à leur maturité. Est-ce l'allongement de notre espérance de vie qui nous permet de rester adolescents jusque 30, 40, voire 50 ans ?

Bien des facteurs se conjuguent. Le confort de vie n'a jamais été aussi élevé. Beaucoup, dans nos pays développés, ne connaissent jamais la faim, les souffrances physiques, et jouissent du luxe de pouvoir "s'occuper d'eux" en toute quiétude. Notre sécurité et notre confort nous sont donnés sans contrepartie. L'éducation évite la plupart des frustrations qui construisent une personnalité. Nous perdons nos parents, nos proches, nos êtres chers, de plus en plus tard, et fuyons la compagnie de la mort, qui donne à l'être humain son épaisseur et ses forces de vie. Bien des couples préfèrent se séparer plutôt que mûrir ensemble. La répartition de nos activités traduit l'accroissement des distractions et des plaisirs passifs et confortables, au détriment du travail et des responsabilités actives et risquées. Le temps "pour soi" est devenu un temps rempli d'autre chose que de soi-même.

Tout cela suggère quelques clés : les hommes et les femmes de nos sociétés actuelles sont moins que jamais exposés à tout ce qui, de tous temps, forge des personnalités autonomes : efforts, souffrances, travaux, frustrations, deuils, remises en cause, risques et moments de solitude. Pas étonnant dans ces conditions qu'ils mettent deux ou trois fois plus de temps à se construire en hommes et femmes libres et individué(e)s.

Est-ce à dire que nos contemporains sont immatures ? Ce serait nier la complexité du psychisme humain. Autant de personnalités, autant de réponses et de positions d'équilibre. Ce que j'observe, ce n'est pas tant de l'immaturité que des équilibres sophistiqués et uniques, dans lesquels la personne danse au bord du volcan, en créant des solutions originales pour colmater des peurs toujours présentes.

Un homme ou une femme qui a grandi sans se construire, qui habite un corps adulte et déjà vieillissant sans s'appuyer sur une sagesse ancrée dans son histoire et ses défis, c'est quelqu'un qui va devoir faire face aux mêmes peurs que quiconque : la peur de l'autre, donc de soi-même, la peur de l'impuissance et de l'incapacité, la peur de la mort ou plutôt des morts... Et pour faire face à tous ces compagnons, il ou elle va développer de solides mécanismes de défense.

C'est là qu'intervient une seconde évolution de notre société. Notre système économique favorise depuis moins d'une génération un certain nombre de fonctions réputées productives qui procurent d'efficaces supports aux mécanismes dont ont besoin nos faux adolescents.

Rien de plus facile parfois pour un expert, un responsable fonctionnel ou un manager d'une vaste organisation, que de "produire" et d'être estimé, en surfant sur la vague de ses propres névroses. C'est bien le piège de la performance : à quel prix est-elle obtenue ? Jamais il n'a été aussi aisé de s'insérer dans des systèmes économiques jugés productifs en restant privé de l'essentiel de sa liberté psychique. Les bonnes âmes qui regrettent la montée du stress au travail devraient examiner le prix que payent leurs salariés performants.

Et alors, me direz-vous, où est le problème ?

Le problème est simple : le psychisme humain, lui, n'a pas varié entre temps. Forclore ses peurs ne les a jamais dissoutes. Elles n'attendent qu'une occasion pour défaire le marché de dupes qui les a mises en quarantaine. La réussite ne fait qu'aggraver, en retardant la réponse appropriée, l'impact sur l'équilibre personnel, comme sur la vie professionnelle.

Heureusement pour vous, pour moi, pour nous tous, nos peurs laissent des traces. Ce sont nos empreintes uniques. Pour autant que nous osions les examiner, nous tenons un fil d'Ariane capable de guider notre travail vers une psyché mûre et libre. Si nos peurs ne laissaient aucune trace, nous serions bien démunis face à ce piège qui nous concerne tous.

Qu'attendez-vous pour inviter vos peurs à nourrir votre travail sur vous ?


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