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13 novembre 1850/Naissance de Robert Louis Stevenson

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 13 novembre 1850 naît à Édimbourg Robert Louis Balfour Stevenson.

  En 1887, Robert Louis Stevenson, qui a déjà publié L’Île au trésor (1883), Silverado Squatters (1884), L’Étrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde (1886), s’installe au nord de l’État de New York, dans les monts Adirondack. C’est là, dans cette retraite hivernale, que Stevenson rédige Le Maître de Ballantrae. Œuvre sombre et complexe, « qui oscille entre le roman d’aventures et le conte fantastique », Le Maître de Ballantrae est un « roman écossais, inspiré par l’histoire nationale ». Mais aussi une « histoire de dédoublement » ― « deux frères rivaux se haïssent, s’entretuent et peut-être s’aiment, étrangement, à travers cette lutte à mort »*―, dominée par la figure inquiétante de son héros, James Durrisdeer, le maître de Ballantrae.


* Claude Pujade Renaud, Chers disparus, Actes Sud, 2004, p. 79.



EXTRAIT DU MAÎTRE DE BALLANTRAE

  La Sans Pareille sortit de la Clyde par bon vent, et pendant près d’une semaine, nous avons profité du beau temps, en ayant le sentiment d’avancer. Je découvris (à ma grande surprise) que j’avais le pied marin, en ce sens, du moins, que je n’avais pas le mal de mer ; pourtant, j’étais loin de jouir de ma bonne santé habituelle. Était-ce le tangage du bateau sur les vagues, le confinement, la nourriture salée, ou tout cela à la fois ― je souffrais d’une humeur noire et d’une tension pénible qui m’irritait le caractère. La nature de ma mission, qui m’avait conduit à bord de ce bateau, y contribuait peut-être, mais sans plus ; car mon mal (quelle qu’en fût la nature) provenait du milieu dans lequel je vivais ; si le bateau n’en était pas la cause, alors c’était le Maître. La haine et la peur ne constituent pas une bonne compagnie ; mais (soit dit à ma grande honte), je les ai goûtées en d’autres lieux, je me suis couché et levé en même temps qu’elles, j’ai mangé et bu avec elles, mais jamais, ni auparavant, ni ensuite, je n’ai été empoisonné aussi complètement, corps et âme, que je le fus à bord de la Sans Pareille. J’avoue sans détour que mon ennemi me donna un exemple de longanimité ; au cours de nos pires journées, il fit preuve de la cordialité la plus patiente : il entretenait la conversation avec moi aussi longtemps que je le supportais, et quand je repoussais ses marques d’attention polie, il s’allongeait sur le pont pour lire. Le livre qu’il avait emporté à bord était le célèbre roman de Mr Richardson, Clarissa, et, entre autres petites marques d’amabilité, il m’en lisait des passages à haute voix ; aucun récitant n’aurait su interpréter avec plus de force les passages pathétiques de cette œuvre. Je lui donnais la réplique avec des extraits de la Bible, qui constituait toute ma bibliothèque ― j’avais encore beaucoup à y découvrir, car (j’ai peine à le dire) j’ai toujours beaucoup négligé mes devoirs religieux, et aujourd’hui encore. Il goûtait les mérites de ce livre en connaisseur ; parfois, il me le prenait des mains, le feuilletait comme quelqu’un qui est familiarisé avec le texte et, lisant de sa voix magnifique, il me donnait un Roland pour mon Olivier. Mais, curieusement, il n’appliquait guère les textes à son propre cas ; la parole lui passait bien au-dessus de la tête, comme le tonnerre d’été ; Lovelace et Clarissa, les récits de la générosité de David, les psaumes de sa pénitence, les questions solennelles du Livre de Job, la poésie émouvante d’Isaïe… tout cela n’était pour lui qu’une source de divertissement, comme le son d’un violon que l’on racle dans un estaminet. Cette sensibilité extérieure unie à son insensibilité intérieure m’indisposait contre lui ; cela allait de pair avec la grossièreté impudente qui, je le savais, se cachait sous le vernis de ses belles manières ; parfois, il me dégoûtait comme s’il eût été difforme-et parfois, je m’éloignais de lui comme s’il eût été une créature à moitié spectrale. À certains moments, je l’imaginais comme une marionnette en carton- comme si, en frappant un bon coup, dans l’étoffe de l’apparence, on n’eût rencontré que le vide en-dessous. L’horreur que cela m’inspirait (et qui n’était pas seulement imaginaire, je crois) me fit détester encore plus sa proximité ; je me mis à sentir quelque chose trembler en moi dès qu’il s’approchait ; j’avais parfois envie de hurler ; certains jours, je me disais que j’aurais pu lui taper dessus. Sans aucun doute cette disposition d’esprit devait quelque chose à la honte que j’éprouvais de m’être laissé aller, pendant nos dernières journées à Durrisdeer, à le tolérer en quelque sorte ; et si quelqu’un m’avait dit alors que je m’y laisserais aller encore, je lui aurais sûrement ri au nez. Il est possible qu’il n’eût pas de connaissance de l’ardeur extrême de mon ressentiment ; mais je pense qu’il le comprenait trop bien ; je dirais plutôt, qu’il en était arrivé, par une longue vie d’oisiveté, à éprouver un réel besoin de compagnie, ce qui l’obligeait à affronter et à tolérer mon aversion non dissimulée. Il est sûr et certain, du moins, qu’il aimait s’entendre parler, tout comme, en fait, il aimait ses propres facultés et qualités ― sorte de faiblesse qui accompagne presque nécessairement la méchanceté. Je l’ai vu réduit, quand je me montrais récalcitrant , à tenir de longs discours au capitaine ; et ce, malgré les signes d’ennui que cet homme manifestait clairement en gigotant des pieds et des mains et en ne répondant que par des grognements.

Robert Louis Stevenson, Le Maître de Ballantrae, Éditions Gallimard, Collection folio classique, 2005, pp. 234-235-236. Édition d’Alain Jumeau, postface de Jean Echenoz.


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