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Jeudi 13 novembre 2008 : Luxembourg : que feront mes enfants ?

Publié le 02 décembre 2008 par Memoiredeurope @echternach

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Beaucoup de romans mettent en scène une réussite personnelle, ou du moins explorent avec cynisme ou réalisme les méthodes qui permettent d’arriver aux plus hautes positions sociales et politiques. A Angoulême, Guez de Balzac, personnage réel  et écrivain précède Lucien de Rubempré, personnage de roman dû à son homonyme, qui lui-même engendre bizarrement François Mitterrand lycéen dans la ville, qui est pour le coup un vrai personnage de roman, tandis que Pierre Jean Rémy (Jean-Pierre Angrémy) romancier et serviteur de l’Etat perpétue une longue tradition en terminant à l’Académie un parcours sans faute dans la diplomatie et la séduction.

Mais ce qui nous intéresse plus, c’est de lire entre les lignes de ces romans et de ces vies la future réussite de nos enfants. Elle vaut aux mères des sacrifices et aux pères des angoisses, parfois des intimidations vis à vis de qui approche de trop près une destinée qui n’est pas encore accomplie.

Le roman de Catherine Cusset qui inscrit en son cœur cette interrogation inquiète sur la surveillance jalouse de la réussite porte donc très justement le titre de : « Un brillant avenir » (Gallimard 2008).Catherine Cusset  est New Yorkaise depuis suffisamment de temps pour que l’on ne puisse contester sa connaissance des Etats-Unis et de la France, je veux dire par-là, de deux cultures que tout oppose, la puritaine et la libertine, la cosmopolite et celle qui n’a aucun doute sur sa suprématie passée…mais sa liaison avec la Roumanie est plutôt époustouflante. Le premier roman dans la liste de ses œuvres s’intitule « La blouse roumaine », c’est un indice de plus ! Mais on ne sait si ses remerciements à « Carmen Firan et Adrian San Georgean qui m’ont donné sur la Roumanie de très utiles documents ; merci à Luciana Floris et à son œil avisé… » témoignent de la coquetterie d’une auteure qui connaît parfaitement les lieux qu’elle évoque ou sont le fruit d’un vrai parcours documentaire. A mon avis, elle en sait trop pour ne pas avoir puisé à la source. 

Que j’ai éprouvé la nécessité d’acheter à Paris dimanche dernier chez le Virgin du Carrousel du Louvre ce livre qui a obtenu aujourd’hui le Goncourt des lycéens est du plus pur hasard, ou alors il y avait un effet de publicité sub-liminal dont je ne suis bien entendu pas conscient. Implicite aussi, dans mon choix, le fait que l’héroïne principale Elena soit née en Bessarabie ? Sans doute beaucoup moins ! 

Voilà une roumaine dont les parents progressent contraints et forcés vers Bucarest et qui tombe amoureuse d’un juif, alors que cet amour du temps du régime de Ceauşescu compromet sa réussite de chercheur nucléaire. Voilà une jeune femme déterminée qui donne priorité à son amour sur sa réussite et qui finit par émigrer en Israël, puis qui quitte la Terre promise pour venir de nouveau réussir aux Etats-Unis en devenant Helen l’informaticienne et en reprenant l’ascendant dans son couple.

Cette trame là donne de la matière au romanesque. 

Mais la véritable réussite dont il est question, c’est celle de son fils, Alexandru. C’est un désir d’ascension qu’elle a chevillé au corps, ou plutôt même à l’âme. Et que vient donc faire alors cette jeune Française, Marie, qui va troubler un jeu construit sur tant de sacrifices et d’errances, cette française têtue et un peu sourde aux exotismes de l’Est, comme toutes les Françaises, et qui finit par lui ravir son fils ?

En peu de mots, les quelques fils de l’intrigue.

En quelque trois cent soixante-dix pages, une histoire familiale, sur trois, voire quatre générations, dans un rapport triangulaire entre l’Europe, l’Amérique et le Moyen-Orient, dans un huit clos familial frappant. Un peu comme on parlait du temps des esclaves, du commerce triangulaire.

Mais la construction est chahutée. Tout le contraire d’une histoire. Une fille, amante, épouse et mère, puis veuve. Rien que de très ordinaire. Un destin pourtant, mais dans ce destin se croisent ou se superposent les années, c’est selon.

On pourrait commencer par la fin du livre. Et pourtant le livre débute en 2003, quand tout semble déjà joué, mais sans l’espérance.

Dès le second chapitre, la seconde guerre mondiale et ses charcutages géographiques va livrer les héros à l’abandon de l’Ouest. Nous sommes en 1941, en Bessarabie.

Chanson connue. Connue, aujourd’hui que les romans et les films parlent et montrent le temps de la séparation des Européens, en nous donnant, sans efforts, dans la simultanéité recrée de nos vie et des leurs, les clefs qui nous ont manquées, tout en réveillant certainement notre indifférence trop longue !

Mais cette chanson est pourtant chaque fois à redécouvrir, dans le sang chaud de ceux qui refusent ou de ceux qui pactisent. Juste parce que la vie est comme cela.

Tout finit enfin en 2006 dans l’espoir d’un sourire, celui de la fille de la fille.

« Elle court vers la sortie. Les larmes ruissellent sur ses joues. Elle a besoin d’une cigarette. Tandis que ses semelles de crêpe résonnent sur la dalle du couloir, elle entend une petite voix claire : « Tu as promis de ne plus fumer, Nounoush. – C’est vrai, ma chérie, mais tu sais je suis vieille, pour moi ça n’a plus d’importance. – Non. Si tu ne fumes plus, tu pourras vivre un peu plus longtemps. »

Si ce sont finalement des lycéens français qui ont distingué ce très beau livre, cela veut dire alors que les murs de l’Est sont définitivement tombés.

Photographie : les amants se sont-ils retrouvés chez Capsa ?


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