Magazine Culture

Retour définitif et durable de l'être aimé, d'Olivier Cadiot (une lecture de Daniel Pozner)

Par Florence Trocmé

Lorsque Daniel Pozner a proposé à Poezibao cette note de lecture concernant l’édition en poche du livre d’Oliver Cadiot, Retour définitif et durable de l’être aimé, question lui a été posée de la place de cette note dans un site dédié à la poésie. Réponse de Daniel Pozner : « Cadiot, oui, j'ai tendance à le considérer du côté de la poésie, bien qu'il soit un peu entre deux. Mais c'est du côté de la poésie que son travail me semble le plus intéressant. Retour définitif et durable de l'être aimé, je le lis presque comme un long poème en prose. Une forme assez originale, un long paragraphe suivi d'une ligne brève, et ainsi de suite ; je n'ai pas parlé de cet aspect, du rythme dans ma note, mais c'est intéressant. Presque des versets, par moment.
L'autre chose, c'est l'influence de la poésie sur son écriture et réciproquement, celle de son travail sur beaucoup de poètes. »

Les spécialistes le soupçonnaient depuis longtemps, sans pouvoir en apporter la preuve : Marcel Proust a bel et bien rencontré Alice, au pays des merveilles. Olivier Cadiot publie aujourd’hui un riche ensemble de documents qui devraient convaincre les historiens comme ils fascineront le grand public.
Le voyage commence, bien sûr, à la poursuite d’un lapin, qui toujours fuit, dans le temps, en retard, en avance. Mais il n’est pas blanc : c’est un lapin vert fluo – car Marcel, Alice et Cadiot sont bien d’aujourd’hui. (Aurait-il gagné à rester blanc ?) Et puis l’on erre, d’aventure en aventure, dans le temps, dans les mots. Dans le temps à travers les mots. Cherche impalpable passé – mais jamais n’y arrive, jamais tout à fait. Dans un tourbillon embroussaillé, prenant, rythmé, parodique d’images, de sons, de scènes, de livres découpés, de bouts de pellicule, de paroles, surtout de paroles. Des bribes mouvantes, changeantes, très quotidiennes et guère saisissables. Cadiot décrit son (?) milieu – tout au moins son époque – comme Proust le gratin du faubourg Saint-Germain. Les fêtards de l’an 2000 s’éclatent chez la princesse de Guermantes. La campagne est un lieu mental. La guerre est proche et lointaine. Les cris de la ville résonnent. (« Viiitrier », entend Cadiot. Et Proust insiste : « en attendant le vitrier comme moi l’imprimeur ».)
Et ces fragments, comment ils sont organisés ? Ramassés, découverts, revenus (du passé), assemblés. Ce serait trop facile de parler de kaléidoscope. Cherche au fond de la tête, ou de la casserole, ça attache. Le brûlé, ça donne du goût. Qui a jamais prétendu que Françoise, dans sa cuisine de Combray, ne faisait pas légèrement brûler le bœuf mode ?
D’un passage à l’autre du livre, nombreux échos internes, répétitions, transformations, qui sont autant de plis dans le temps. Souvenirs, reprises, réminiscences. J’ai déjà lu ça quelque part...

Retour définitif et durable de l’être aimé – il est aussi question de la recherche de l’âme sœur. (Mais l’âme, aujourd’hui : âme ?) Chercher l’âme sœur : recherche du temps perdu (« tu es prise dans les images d’avant »). Et Proust le montre bien : la recherche du temps perdu, c’est celle du temps présent.
Aujourd’hui. Choses vues. Sans doute aussi tues. Et montrées, avec leurs faces, leurs paradoxes. Expliquées incompréhensibles. Dites sans être comprises. Comprises et mangées par l’ellipse.
On se demande un instant si ce n’est pas vrai, tout, scrupuleusement vrai, une sorte de reportage. Suivant une ligne obscure, alors. La ligne claire, dit-on, c’est Tintin, etc. Mais Tintin-reporter, on ne le voit jamais écrire ; Cadiot-reporter, on ne le voit qu’écrire. Écrire, transcrire, prélever, recopier.
Évidemment, on n’y comprend rien. Cadiot non plus. Il le dit : « Je fais un effort fou de compréhension. (...) Je ne comprends pas tout, je devine, j’essaie. » Et nous de même.
Dans la littérature comme dans la vie, on ne saisit pas précisément ce qu’il dit, l’effet est le même : on vit, on lit, le temps passe, on y passe.
« – Foutaises et non-sens !" dit Alice d’une voix forte. (...)
– Voulez-vous tenir votre langue !" dit la reine, toute rouge.
– Pas question !" dit Alice. »
Il ne faut pas avoir peur de la littérature, le monde est déjà bien assez effrayant comme ça : absurde, cruel, imbécile, bavard, semble nous dire Cadiot.

Contribution de Daniel Pozner

Cadiot

Olivier Cadiot    
Retour définitif et durable de l'être aimé
Collection : Folio - N° 4729
Prix éditeur ttc : 6.30 € - Sur le site Place des Libraires

Première édition chez P.O.L. en 2002 – Sur le site Place des Libraires


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines