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Montluçon : la mue des murs

Publié le 02 janvier 2009 par Gérard Charbonnel @gcharbonnel
Métamorphoses d'une cité

Montluçon change d'image. Depuis près d'un demi siècle, les cheminées des usines et des hauts fourneaux ne sont plus les éléments de décor de la vallée du Cher et la cité a entamé une nouvelle ère : celle de la mise en valeur du patrimoine. Mais la cité montluçonnaise a de tous temps, connu bien des métamorphoses, depuis l'époque romaine aux projets de développement actuels.

Le château des ducs de Bourbon

Le promeneur ou le touriste découvrant Montluçon peut avoir une idée du panorama qu'offre la ville s'il gravit la côte de Châtelard ou celle des Guineberts. Il pourra alors jouir, sous deux aspects différents, d'une vue imprenable sur la ville qui s'étend, à vol d'oiseau entre ces deux collines, en ligne directe, sur une largeur approximative de trois kilomètres et du faubourg Saint-Jean jusqu'à la Côte Rouge sur une longueur d'environ quatre kilomètres.

Entouré de verdoyants coteaux, Montluçon s'étale tout au long de la vallée du Cher qui partage la ville en deux parties presque égales.

Dans le champ de vision et suivant l'emplacement de l'observateur, émergent çà et là, au dessus des habitations, l'ancien couvent Saint-Maur, le château des Ducs de Bourbons placé sur sa butte, le clocheton de l'Hôtel de Ville, le clocher carré de l'église Notre-Dame, celui à dôme et à auvents de l'église Saint-Pierre, la flèche élancée de celui de Saint-Paul et enfin, les ensembles de la Verrerie et plus loin, à la périphérie de la ville, les tours et les barres des cités de Fontbouillant et de Bien-Assis.

Il y a quelques décennies encore, le même observateur aurait pu compter les cheminées des usines Saint-Jacques ou des Hauts fourneaux qui parsemaient à foison le ciel montluçonnais au dessus des quartiers de la ville.

Montluçon au temps des hauts fourneaux et des cheminées d'usines

Aux siècles passés, la configuration du terrain était la même mais le panorama qui s'offrait au regard de nos aïeux était tout autre.

Essayons alors de nous représenter l'aspect que pouvait avoir la cité bourbonnaise tel que l'a décrit M.H. de Laguèrenne dans sa plaquette " Simple croquis de Montluçon au bon vieux temps " :

" La plate-forme du château, plus abaissée que celle qui existe aujourd'hui, ne dépasse guère le niveau de terrain appelé de nos jours le Petit Château. Deux ceintures de murailles protègent cette plate-forme : c'est le breve cingulum, qui enserre les locaux et la demeure du maître, donjon carré dominant tout l'ensemble et au sommet duquel, jour et nuit, veille le guetteur, l'oreille tendue au moindre bruit, donnant le signal d'alarme dès qu'il flaire quelque surprise. Puis le cingulum majus, servant de rempart aux citadins, car il faut nous souvenir que nous sommes à l'époque des Normands, que les habitants viennent d'éprouver tous les malheurs qui furent l'une des causes du système féodal, portant les peuples accablés à se grouper auprès des hommes forts et puissants afin d'en obtenir protection et secours.

Aussi, entre le breve cingulum et le cingulum majus - actuellement les rues de la Fontaine, des Serruriers et la Grand'rue représentent l'emplacement de ces dernières fortifications - s'amasse une population peu nombreuse de tous les corps d'état, se bâtissent des demeures à sa guise et sur l'emplacement qui lui convient. Ici, la terre est au premier occupant. Au dehors des remparts, c'est la solitude de la campagne.


Mais le temps a marché. Après de nombreuses alternatives d'heurs et de malheurs durant les guerres de Moyen-âge, Montluçon s'est accru assez considérablement et de nombreuses habitations débordent de son enceinte. Les barons qui gouvernent cette seigneurie ont-ils d'eux-mêmes démoli leurs vieux remparts ou ceux-ci sont-ils tombés sous les coups de quelques puissants ennemis ? Nous ne saurions le dire mais il est bon de remarquer qu'en 1171, sous Guillaume III, seigneur de Montluçon, les Anglais s'emparent de la ville que Philippe-Auguste reprit en 1188.


Toujours est-il que dans le courant du XIIe siècle, on construisit ces murailles dont on peut voir plusieurs tronçons le long des boulevards actuels, fortifications formidables avec leurs vingt-quatre tours, leurs larges fossés toujours pleins d'eau et les portes de ville protégées par des herses massives et des ponts-levis. C'est aussi à cette époque qu'il faut faire remonter une première église Notre-Dame et l'église de Saint-Pierre. Quant au Château, c'est au XIIIe siècle qu'il prendra les dimensions que nous lui connaissons aujourd'hui. La plate-forme dont nous avons parlé au début a été élevée jusqu'au sommet des tours et sert maintenant d'esplanade au château.

L'Avenue Marx-Dormoy dite " Avenue de la Gare "

Du XIIIe jusqu'au commencement du XIXe siècle, la superficie de Montluçon ne comprenait guère, comme surface agglomérée, que l'espace compris entre le boulevard Carnot ou ancien " fossé de la Cave ", le boulevard de Courtais et la montée des Cordeliers. Les villages de Châteauvieux, des Isles et de Blanzat faisaient bien partie de la Châtellenie mais ne formaient pas, comme aujourd'hui, le prolongement direct de la commune. Au cours du temps, se créèrent plusieurs faubourgs tels celui des Cordeliers probablement à l'époque où fut bâti le couvent du même nom ( aujourd'hui le quartier de l'hôpital ), les faubours de la Gironde et de la Presle; celui des Forges et de Bretonnie, quelques maisons éparses dans le quartier du Châtelet et enfin, le florissant faubourg Saint-Pierre, centre des hôtelleries, du commerce et des artisans.


Au XVIIe siècle, existaient encore quatre portes ; celles des Cordeliers ou Porte Marchio, la porte des Forges, à proximité de l'Amaron où les bouchers nettoyaient leurs tripailles et les tanneurs leurs cuirs ( actuelle rue des Anciennes Boucheries ); la porte Bretonnie où s'amorçait la route conduisant en Combraille; enfin, la porte Saint-Pierre, entre laquelle et le pont du Cher, alors moitié en pierre et moitié en bois, s'étendait le faubourg de ce nom.


Trois au moins de ces portes furent démolies dans le courant du XVIIIe siècle. Celle de Saint-Pierre aurait été détruite la dernière.


Montluçon, à cette époque déjà lointaine, ne possédait certes pas les grandes industries métallurgiques et autres qui ont fait sa renommée et sa prospérité mais le commerce y était assez florissant. En plus des bouchers, meuniers, boulangers, pâtissiers, nécessaires à la vie de la cité, il y avait de nombreux marchands, des tisserands - une fabrique de draps où se tissait apparemment le droguet de nos grands-pères - des chapeliers, orfèvres, potiers d'étain et pintiers, tanneurs, selliers, mégissiers, menuisiers, charpentiers, tailleurs de pierre, peintres, tuiliers, cordiers, serruriers, ferronniers, arquebusiers... On y fabriquait du reste des armes blanches dont la renommée dépassait largement les limites du département. Outre marchands et artisans, un terrier de 1679 cite également de nombreux bourgeois, avocats, notaires, médecins, chirurgiens, apothicaires sans compter les magistrats de justice ou municipaux.


Sans parler du développement rapide du populeux et contemporain quartier d'Outre-Cher ( la ville Gozet ), quels souvenirs conservons-nous des changements successifs survenus au cours du XIXe siècle ? Le boulevard de Courtais n'était alors qu'une route bordée d'arbres. Au milieu du XXe siècle, le quartier des Grands-Prés n'était constitué en grande partie que de prairies marécageuses; que sur l'avenue de la Gare, établie de 1860 à 1864, avec des terres en remblai, ne s'élevaient que quelques maisons, le reste n'étant occupé que par des champs en contrebas; que dans le quartier du Châtelet, à part un domaine et quelques chaumières, s'étendaient les aubéries des Thibaudes, plantées d'oseraies que, dans ses crues, submergeait le Cher. Les hauts quais empierrés n'étaient pas encore construits et les eaux du Cher, nullement endiguées, venaient effleurer les premières maisons du faubourg Saint-Pierre ".

➥ Et qu'en est-il de Montluçon aujourd'hui ?

Le Cher, rivière frontière matérialise la séparation de deux villes qui se côtoient depuis près de deux siècles. La rive gauche, laborieuse et ouvrière, est née de l'industrialisation du XIXe siècle; la rive droite, plus conservatrice, s'orne des maisons à colombages qui ceignent le château des Ducs de Bourbons. A l'est et au nord de la ville, les grands ensembles et les supermarchés forment un paysage urbain sans charme, utilitaire tout au plus où l'on passe sans véritablement s'arrêter. Au sud et à l'ouest, les boutiques du boulevard, le théâtre municipal, l'espace Boris Vian, le tribunal, la sous-préfecture, les plus beaux parcs de la ville attirent le chaland du samedi après-midi ou le promeneur du dimanche et s'octroient l'attention des touristes de passage.

Maison à pans de bois - Rue Grande

A Montluçon les fonderies et la sidérurgie de la Ville-Gozet ont fermées leurs portes et les cheminées sont tombées. Ne subsiste aujourd'hui que l'une des cheminées de l'ancienne usine des Fers Creux, près du pont des Isles, en guise de mémoire.

De son riche passé industriel, Montluçon a fait table rase. 

Cette politique a débuté en 1955 avec le déclassement du canal de Berry, devenu inutile mais surtout symbolique d'une croissance disparue. Seuls les noms des rues ( quai Forey, quai de Normandie... ) rappellent l'existence de ce canal enfoui sous le bitume. Un centre commercial et administratif, un ensemble HLM, des hôtels ainsi que le centre Athanor se sont installés en lieu et place des usines Saint-Jacques. Les hauts fourneaux n'entachent plus le paysage. Ils sont tombés sous les coups de la modernisation et de la productivité qui rendent obsolètes les industries lourdes. Aujourd'hui, le visiteur a bien du mal a déceler les traces de ce passé.

La friche industrielle qui gangrène des villes en quête de reconversion est ici relativement bien maîtrisée. Les grands ensembles de Fontbouillant et de Bien-Assis, devenus trop grands et trop inhumains ont connu ( et connaissent encore ) des toilettages. Des tours et des barres ont été rasées, des pelouses ont été semées et un IUT est sorti de terre. Avec le concours de la CCI, une pépinière d'entreprise s'est installée sur la rive gauche du Cher et, de part et d'autres de la Loue, les aménagements se poursuivent.

Aujourd'hui, la ville ne compte guère plus de 40.000 habitants ce qui ne l'empêche pas toutefois, sur le plan économique, de se hisser juste derrière Clermont-Ferrand, la capitale auvergnate.

Montluçon est à un tournant de son histoire et de sa métamorphose, nouvelle et ancienne ville retrouvant davantage de cohérence.

➥ Galerie photos " Montluçon "


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