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Paris : en partant du XIIIe

Publié le 22 janvier 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Promenade dans le froid de l’hiver. En quelques jours de vacances parisiennes, j’ai repris un vrai rythme de citadin, comme je ne croyais plus jamais le retrouver. Et pour commencer, vers dix heures…allons soyons honnête, vers onze heures, un crème et deux croissants. Etant donné que Paris se prélasse dans un long pont un peu endormi, les serveurs ou serveuses sont détendu(e)s et prêt(e)s à la conversation. Ce sont pourtant des touristes qui, majoritairement, ont remplacé au comptoir les travailleurs infatigables et ils tentent de se faire à l’exotisme parisien que leurs livres sur la France ont vanté.

Je me suis doté du carnet moleskine…vous savez, celui d’Hemingway, dont Marie, toujours optimiste m’a offert deux exemplaires en vue de mon prochain roman. Alors je l’utilise, un peu pour la frime, un peu pour satisfaire le cliché recherché par les touristes. D’Hemingway, j’ai déjà la barbe et l’habitude des dépressions. Et « Paris est une fête » ! Je suis bien d’accord avec lui.

« Comment une chanson de Souchon (le père) peut-elle changer ainsi la face du monde ? Tout le monde est gentil et le soleil brille sur un froid qui n’ose pas dire son nom. La caissière – serveuse – femme de ménage règne sans partage sur une population clairsemée. Elle commente à haute voix les nouvelles du jour. L’année commence dans quelques jours, mais c’est comme si elle avait déjà prononcé ses vœux. Un client parle d’un pique nique d’été le long de la Seine, dans le jardin de sculptures à côté de Jussieu ou plutôt du Quai saint Bernard. Une école de danse a débarqué, dit-il, elle s’est installée là sans façon et tout le monde a dansé. « Moi, mon mari ne danse pas » observe la serveuse. C’est la seule fausse note qui grince un peu tandis que je savoure – oui, je savoure vraiment, le second croissant qui beurre un peu mes doigts. Paris n’a rien trouvé de mieux qu’en perpétuant les endroits où l’opinion courante peut se mettre en scène, dans un cadre ni trop public, ni trop intime. Il n’en reste pas moins que d’un quartier à l’autre les acteurs changent, tout comme le répertoire. » 

Bon, c’est vrai, ce n’est pas Hemingway, mais c’est moi. Et j’ai commencé ainsi à élaborer la trame d’une histoire. J’imaginais un personnage à la recherche de la femme qu’il a aimée et qui, sachant qu’elle avait l’habitude de commencer sa journée dans un café du treizième arrondissement, commence une exploration systématique et la poursuit jour après jour sur les tables de bistrots et les comptoirs de zinc. 

« Alors il se disait que les visiter, un à un, un à la fois, chaque jour, mais à fond, devenait une évidence. Même si le périmètre à explorer n’était pas si étendu, il devait rendre un hommage à l’esprit systématique de la femme qu’il aimait toujours. La méthode de l’escargot s’était alors imposée. Escargot pour la lenteur. Mais aussi escargot pour la forme du parcours. Des spirales qui diminueraient lentement de diamètres (le petit et le grand, puisqu’il s’agissait d’une spirale) et tenteraient de s’adapter à la configuration d’un quartier heureusement labyrinthique, comme tous ces territoires parisiens où l’âge classique a su résister courageusement à la trame d’Haussmann et encore plus récemment, dans cette morphologie de « montagne », aux entreprises des maires d’arrondissement et au clinquant du nouveau quartier Italie, puis à la rectitude du front de Seine entre Austerlitz et Bibliothèque de France. Kenzo Tange et Dominique Perrault s’étant relayés dans cette vilenie emblématique d’une modernité sans échelle humaine. Un escargot. Peut-être était-ce encore la meilleure façon d’entrer dans la forme de son cerveau. Il n’imaginait pas pourtant un seul instant qu’elle fut devenue lente. Elle ne l’avait jamais été. Mais il pouvait par contre se figurer qu’elle avait un esprit composé d’enfilades tortueuses, une suite de tunnels traversant des carrières souterraines, qu’il fallait parcourir entièrement pour revoir le jour, faute de quoi on restait enfermé pour un bon moment. »

Dans un arrondissement comme celui-ci, les souterrains sont certainement légions. Pas autant que sous la montagne Sainte Geneviève, il est vrai, mais j’aime à imaginer le parcours devenu souterrain de la Bièvre où se lavaient autrefois les laines des Gobelins, en plein air. Je me voyais déjà épouser le sort un peu incertain de ce personnage, hésitant entre la précision géométrique et l’errance. Je me voyais certes très bien flâner du jardin des Plantes au stade Charléty, du Val de Grâce à la Gare d’Austerlitz, frontières tentantes, pour me replier ensuite vers la rue Croulebarbe et toutes ces rues de peintres, voisines ou séquantes, liées ou non à la tapisserie : Véronèse, Rubens, Le Brun, Oudry, et me perdre dans les lacis de la Butte aux Cailles. Plusieurs années remises aux mains du hasard.

« Una bella giornata di sole ». Une giornata senza morti…Non, ce n’est pas Antonello Venditti. Des touristes italiens ? Non, mieux, une famille dispersée en Europe qui se retrouve autour d’un Italien de Paris qui semble jouir ici de sa retraite. La piccola colazione  est un peu tardive, mais chaleureuse, une pause indispensable, plus étalée que dans les cafés de Milan. Mon café s’est ainsi un peu animé. Les accents vietnamiens s’hybrident tout à coup avec ceux de la plaine du Pô.

La merveille des cafés parisiens est qu’on participe à la vie des autres ; très loin du chacun pour soi luxembourgeois. La merveille des cafés parisiens est qu’on s’y met en vitrine, observateurs et observés. Exactement dans la position de l’écrivain. 

Je vais toutefois quitter cet épicentre des conversations et continuer ma journée par le Jardin des Plantes, mon épicentre à moi.

Mais dans l’heure prochaine commencera un autre roman…Quelqu’un va s’asseoir à la table que je viens de quitter.  

Photographie: Métro Chevaleret, boulevard Vincent Auriol 


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