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Anthologie permanente : Paul Valet

Par Florence Trocmé

En complément de la note de lecture donnée par Pierre Kobel sur le livre de Jacques Lacarrière consacré à Paul Valet, un nouvel extrait de son œuvre et la publication de sa fiche bio-bibliographique complète

Je marche sur les pavés, sur le macadam, sur la terre battue sur l’asphalte, dans les rues sans fin et sans but. Pierres, cailloux, bitume, goudron, goudron solide, goudron liquide, blocaille, et encore et toujours pierres de toutes tailles. Et je marche dessus comme un automate hébété, un guignol difforme, sur le cimetière de la terre, étranger à la terre, où des millions de morts sous mes pieds sont couchés, squelettes depuis des millions de siècles. Des guerriers, des paysans, des chasseurs, des marchands, des vaillants, des puissants et des lâches. Tout un monde dissimulé par les morts, allongés en toute quiétude apparente. Et je marche dessus, avec mon arrogance qui me serre la gorge et qui m’empêche de connaître l’inconnu. Il faut expier l’impalpable, partout présent, partout vivant. Et je marche sur le cimetière de la terre, je marche sur la route et je marche par-delà et je marche par-dessus, en avant, en arrière, à travers. Et je marche quand je dors, et je marche quand je parle. Et je marche sur la route – macadam, bitume, goudron, cailloux, cailloutis, pierres et blocaille. Tout un monde abîmé, embourbé, encrassé, barbouillé, souillé, profané, dans une ville – squelette mouvant – dans ma ville squelette vibrant – où je marche écrasé, mort – béant.

Paul Valet, Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre, 1983, in Jacques Lacarrière, Paul Valet, « Soleils d’insoumission », JM Place, 2001, p. 78

•••

envers

J’attends que cela arrive             des jours               des
semaines               ou des mois          qu’un mot bouché
ouvre tout doucement son ventre             il y va de tout
ce qui doit arriver et s’accomplir         Déjà des épiciers
entr’ouvrent leurs portes grosses de légumes          Déjà
des autobus   commencent   à mastiquer    de gros pavés
criards            Déjà passent des passants passibles d’im-
passes                    Tout s’accomplit selon le rituel pio-
ché                    Dans mon jardin trois pies se mettent à
circuler                  Dans la cuisine des pots et bols sont
impérieux              Déjà la chatte              dans sa petite
caisse                ouvre large ses grands yeux bleus          
Tout s’éclaircit               Le téléphone jaillit           Déjà
ma tête s'effondre                 Déjà l’envers me happe         
         

Paul Valet, Vertiges, 1987, in Jacques Lacarrière, Paul Valet, « Soleils d’insoumission », JM Place, 2001, p.81

bio-bibliographie de Paul Valet

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