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Yves Charnet/Difficile séjour

Par Angèle Paoli
« Poésie d'un jour
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DIFFICILE SÉJOUR pour Jacques Garelli I


   La parole répond à l’absurde buée d’une douleur viscérale. Entre souffle et peau. Angoisse d’un spasme sans mémoire. Les hantises défilent. Carnet raturé. Fiction sabrée. Page gardée. ― Les trous dont se pare ma peau ouvriront ma parole aux morsures du vide.

II


   Les choses (me) pénètrent. Je suis la chaise. La vitre (me) coupe le souffle. Ô fines roues dentelées, vous moudrez le grain des angoisses ! Le poisson rouge est de la fête. Bruit d’eau dans le bocal du crâne. Odeur de Loire. Gratter jusqu’au vif. Ô fibules du froid agrafées dans la gorge ! Racler. Creuser la toux. Ce qui grognait avant les syllabes. L’autre maçonnerie de la langue. 18h40. Tic-tac immémorial, la glotte. 18h50.

III


   Jet sauvage-la lumière ! Soleil, rage du cœur. Ô parole débordée ! Tu ne distingues plus l’ombre qui transporte ton corps. Souffle coupé. Pupilles criblées. Parole dérobée. Jusqu’au malaise de la couleur. Cailloux contre nuages. Du verre brisé exorcise tes vives anxiétés.

IV


   Le silex tutoyé des étoiles, la barque pulvérisée des rumeurs, l’énigme bariolée des rêves dans l’insomnie féroce de la nuit. Tensions extrêmes d’un cri qui rudoie la conscience. Maux de ventre dans la genèse glacée du matin encore gardé de brouillards. Ces loques de patience, que couve la cendre, sont la tunique de mes déraisons. J’y nidifie jusqu’à midi. Pétrifié par le trafic nocturne de l’infini. L’ongle rongé du mur me défie avec la douceur féline d’une jeune fille. Le silence respire bruyamment. Ô souffle bref ! Feu court, mon supplice et ma furie ! Un rythme de hantise commémore l’angoisse immaculée des confins. J’y surgis sur du givre.

V


   L’aube prend. Dans un nid de bulles. La terre s’éclaircit. Jusqu’au bleu. Le bulbe des choses tremble. Les yeux du givre me foudroient. L’énigme de naître commence dans ce chant du monde. La clôture comme un pèlerinage du silence. L’oiseau-vitre traverse le paysage. D’un son de neige. La touffe du froid frémit. L’horizon communie avec ma solitude. Le monde s’épelle dans mon écoute. Je suis disponible au bleu. L’écuelle de chaque chose recueille ma soif. Racines, la lumière ! Les mots comme des mottes de terre. Souffle, les branches ! Les rythmes comme des éclats d’énergie. ―La fugue du matin incarne une prière nue.

Yves Charnet, in Nu(e), Numéro 40, Numéro Yves Charnet coordonné par Philippe Met, 2009, pp. 188-189.


Note de l’éditeur : Yves Charnet emprunte ici à Jacques Garelli, dédicataire du texte, le titre d’un de ses recueils, paru avec L’Ubiquité d’être chez Corti en 1986. Le second texte de cette suite a été repris dans Proses du fils, en tête d’une séquence intitulée « Versions du cerveau » (p. 77).



Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Jacques Garelli/Démesure de la poésie ;
- Trois poèmes critiques. En hommage à Jacques Garelli, poète, par Serge Meitinger.



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