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La réforme “Sauvé” de la justice administrative ne se fera pas par ordonnance (rejet par la CMP 2 juillet)

Publié le 09 juillet 2009 par Combatsdh

Alors que l’urgence avait été déclarée et que l’amendement n’avait pas été soumis au Sénat en première lecture (avril 2008), l’Assemblée nationale avait adopté un amendement au projet de loi sur le parcours professionnel et la mobilité dans la fonction publique, visant à autoriser le gouvernement à adopter par ordonnance la réforme de la justice administrative et ce directement devant la commission des lois de l’Assemblée nationale en première lecture.

Mais, à l’initiative de sénateurs et de députés de l’opposition, notamment Bernard Derosier, la commission mixte paritaire a rejeté cette habilitation le 2 juillet (v. infra).

Dans un précédent billet un magistrat administratif Combats pour les droits de l’homme avait expliqué l’opposition à ce que la réforme de la justice administrative soit faite par ordonnance de l’article 38 de la Constitution de certains magistrats (principalement de l’USMA mais aussi d’une partie du SJA - 7 membres du conseil syndical ont démissionné notamment parce que leur président, Robert le Goff, a approuvé le principe de réforme par ordonnance).

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Un contre-temps fâcheux pour le Vice-Président du Conseil d’Etat

Dans une lettre du 8 juillet aux présidents de la juridiction administrative, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat ministre de la justice administrative explique que:

“Cette issue de la CMP, dont l’éventualité n’a nullement été sous-estimée et que le Gouvernement, comme le Conseil d’Etat, se sont attachés sans succès à éviter, tient à l’opposition d’une partie des sénateurs à la méthode d’adoption de la réforme de la juridiction administrative et non pas à son contenu: le recours à une habilitation du Gouvernement a en effet été regardé comme inapproprié dans cette matière et il a été d’autant plus critiqué que le Sénat n’avait pu délibérer à aucun moment du texte en cause: ni en avril 2008 lors de la première lecture, ni ultérieurement, puisque l’urgence avait été déclarée et que, par conséquent, une seconde lecture ne pouvait intervenir avant la CMP.

La voie qui avait été empruntée avait été décidée par le Gouvernement après concertation avec les présidents des commissions des lois des deux assemblées. Je vais examiner avec celui-ci selon quelle méthode et dans quel délai pourront être adoptées les réformes envisagées de la juridiction administrative qui ont été approuvées par le Gouvernementet qui demeurent particulièrement nécessaires et urgentes”.

Le Conseil d’Etat souhaitait ce recours à l’ordonnance car manifestement il craint que son projet de réforme soit détricoté par  les parlementaires voire même que certains d’entre eux en profitent pour remettre en cause certaines spécificités de la juridiction administrative comme lors de la discussion de l’amendement Warsmann sur le projet de loi constitutionnelle réformant les institutions (voir notamment les interventions mémorables minables de MM Moutebourg et Mamère sur ce billet d’Eolas: “Juges administratifs, le législateur vous aime !“, Journal d’un avocat, 17 mai 2008).

Rappelons que les syndicats de magistrats et certaines associations (voir motion de la Cimade) ont critiqué fortement certains aspects de la réforme notamment s’agissant de l’éviction du rapporteur public dans certains contentieux (à discrétion du rapporteur public d’ailleurs) ou la possibilité d’ordonnances de “tri” en appel du contentieux des étrangers. Ces réformes vont supprimer des garanties importantes dans les contentieux dit “de masse”, particulièrement celui des étrangers.

L’USMA se félicite du rejet de l’amendement par la CMP et “restera concentrée et vigilante pour la suite des opérations” Pour ce syndicat, “les arguments invoqués par l’USMA depuis plusieurs semaines tout autant que les nombreuses démarches entreprises auprès, notamment, des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat ont donc, à ce stade, porté leurs fruits“  (communiqué 9 juillet). Sleon ce syndicat, le rejet concernerait aussi des désaccords de fond et pas que du mode d’adoption.

Le SJA, en pleine crise interne, semble plongé dans le mutisme.

On ne vivre donc pas un nouvel été des ordonnances, pour reprendre le titre d’un article du Pr Delvolvé.

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 Assemblée nationale
XIIIe législature
Session extraordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral
Deuxième séance du jeudi 2 juillet 2009


Article 27 (nouveau)Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, inscrit sur l’article 27.

M. René Dosière. Cet article 27 est quelque peu singulier. Il s’agit de donner au Gouvernement la possibilité de légiférer par ordonnance sur le fonctionnement et le statut de la justice administrative.

Traditionnellement, l’Assemblée n’aime pas beaucoup se dessaisir de ses pouvoirs. On pourra nous répondre que la réforme constitutionnelle accroît le pouvoir de contrôle de l’Assemblée sur la ratification des ordonnances…

M. Marc Dolez. Ce n’est pas très convaincant !

M. René Dosière. Mais venons-en au problème de fond. Cet article, introduit par un amendement du Gouvernement après l’examen du texte par le Sénat, autorise le Gouvernement à procéder par ordonnance pour « adapter les règles d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’État ainsi que celles relatives aux attributions, à l’organisation et au fonctionnement des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. »

Le Gouvernement aura également la possibilité de « compléter la liste des membres du Conseil d’État habilités à régler certains litiges par ordonnance », disposition qui peut notamment concerner les présidents de cours d’appel qui sont membres du Conseil d’État et qui pourraient être autorisés à rejeter par ordonnance les requêtes relatives aux refus de séjour assortis d’une obligation de quitter le territoire.

J’ajoute enfin que le Gouvernement pourra, par ordonnance, revoir les règles permettant de statuer sur des litiges sans conclusions du rapporteur public et élargir les pouvoirs d’instruction du juge administratif pour faciliter la mise en état des affaires et modifier la procédure applicable au référé fiscal.

En d’autres termes, le Gouvernement entend, avec cet article, réformer très sensiblement le fonctionnement de la justice administrative.

Avec Bernard Derosier, nous avons défendu le texte sur les magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, et nous avons pu discuter, à l’Assemblée, de la juridiction financière. Au contraire, pour ce qui concerne la justice administrative, le Gouvernement veut tout régler par ordonnance. C’est une procédure exorbitante !

M. Bernard Derosier. Chasse gardée !

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 28 et 50, tendant à supprimer l’article 27.

La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Il est extraordinaire qu’on nous propose en fin de texte un tel article qui – je le dis comme je le pense – est scandaleux.

Comme vient de le dire René Dosière, on nous propose par ces ordonnances de nous dessaisir de nos prérogatives. À l’heure où l’on parle de la revalorisation du Parlement, aucun parlementaire sur ces bancs ne devrait accepter une telle procédure. Il s’agit ensuite d’un cavalier, sans rapport avec la mobilité dans la fonction publique, et qui porte de surcroît sur un domaine aussi important que le fonctionnement de la justice administrative.

Mais pour qui nous prend-on ! Cela en dit long sur la considération que le Gouvernement porte aujourd’hui au Parlement et à l’Assemblée nationale. Je me permets de vous renvoyer aux propos d’un ancien président du Conseil constitutionnel, parlementaire chevronné et unanimement apprécié sur ces bancs, ancien président de la commission des lois, Pierre Mazeaud pour ne pas le nommer, qui déclarait en 2005 que le recours immodéré aux ordonnances était le symptôme d’un dérèglement juridique et politique.

C’est d’autant plus vrai sur un sujet aussi important, puisqu’il s’agit de modifications gravissimes apportées aux procédures de droit administratif, la suppression notamment de l’automaticité de l’intervention du rapporteur public dans certains contentieux, ce qui porte atteinte à la notion de procès équitable, telle que l’interprète la Cour européenne des droits de l’homme.

Inutile de vous dire, monsieur le ministre, que ces dispositions suscitent la très vive inquiétude de l’ensemble des magistrats de l’ordre administratif. Et il est bien évident que sur des questions aussi importantes, c’est au Parlement et nulle part ailleurs que les débats doivent avoir lieu. Je demande donc que l’Assemblée adopte cet amendement de suppression : il en va, mes chers collègues, de l’honneur du Parlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Je serais tenté, à propos de cet article 27, que je vous propose à mon tour de supprimer, de me livrer à un exposé dont le titre pourrait être : « Du bon usage du temps perdu ». J’ai eu l’occasion de souligner la caricature d’urgence à laquelle vous nous avez fait participer avec ce projet de loi, sur lequel l’urgence a été déclarée il y a plus d’un an. Ce temps n’a toutefois pas été complètement perdu par le Gouvernement, puisqu’il nous a apporté, le 17 juin dernier, en commission des lois – M. Santini était présent tout au long des travaux de la commission – une série de nouveaux articles introduits par amendements, dont celui-ci, que nous voudrions voir supprimé.

Il y a là manifestement de la part du Gouvernement une mauvaise intention, même si l’un de nos collègues prétendait tout à l’heure que nos préventions vis-à-vis des intentions du Gouvernement n’étaient nullement fondées. Mais, monsieur le ministre, pourquoi ce dispositif ? Pourquoi n’avez-vous pas réservé aux magistrats administratifs le même sort qu’aux magistrats financiers – René Dosière rappelait que nous avons débattu d’un texte législatif concernant ces derniers ? Pourquoi semblez-vous faire des magistrats administratifs une chasse gardée du Gouvernement ? N’avez-vous donc pas assez confiance dans le Parlement pour le laisser régler des problèmes qui relèvent de sa compétence ?

Monsieur le ministre, vous avez le droit de ne pas répondre aux questions que René Dosière, Marc Dolez et moi-même vous posons. Nous en prendrons acte. En revanche, nous apprécierons votre réponse, tout comme l’apprécieront les magistrats administratifs, très inquiets. Je vous invite donc à vous exprimer avec toute la précision nécessaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur. J’ai du mal à comprendre ces réactions, car le fait d’habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances n’a jamais constitué une dépossession du Parlement. Le Parlement a l’habitude de ratifier les ordonnances.

M. Bernard Derosier. Ça n’a pas toujours été le cas !

M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur. À cette occasion, il les discute et les amende. Bon nombre d’ordonnances ont ainsi été amendées par le Parlement, et je ne vois pas pourquoi on ne le ferait plus aujourd’hui.

M. René Dosière. Ce n’était pas vrai dans le passé ! Pour ce qui est de l’avenir…

M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur. Ce dispositif ne me choque pas, dès lors qu’on laisse la possibilité au Parlement de discuter et d’amender les ordonnances.

M. René Dosière. Un parlementaire ne peut qu’être choqué par une telle dépossession !

M. Jacques Alain Bénisti, rapporteur. J’émets donc un avis défavorable !

M. Bernard Derosier. Le chef a parlé, les troupes se taisent !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du budget. L’article autorise le Gouvernement a poursuivre les travaux engagés sur la rénovation de la justice administrative. Ce n’est pas un cavalier législatif dans la mesure où l’habilitation porte expressément sur l’ouverture du recrutement des membres du Conseil d’État, des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, lorsqu’il intervient dans le cadre du service extraordinaire ou par la voie du tour extérieur.

Soulignons, d’autre part, le développement des mobilités au sein de la justice administrative, notamment au moyen de l’intensification de la procédure d’intégration des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel au sein du Conseil d’État.

Je vous rappelle qu’une ordonnance a vocation à être ratifiée par le Parlement sous peine de voir sa légalité contestée devant le juge administratif – c’est l’article 38 de notre Constitution.

C’est un débat sans fin, mais le Parlement n’est pas dépossédé de la fonction législative par les ordonnances.

Pour toutes ces raisons, je ne peux qu’être défavorable à votre amendement.

M. Bernard Derosier. Vous ne répondez pas sur le fond.

M. Marc Dolez. Ce n’est pas très convaincant !

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Je ne vais pas insister sur la question de la forme, celle des ordonnances ; c’est un débat que nous avons régulièrement. Il y en a eu, il y en aura ! J’ai même consenti à dire que la ratification des ordonnances sera peut-être améliorée à l’avenir, mais je ne veux pas anticiper.

Cela dit, le sujet que vous voulez traiter ici par ordonnance n’est pas mineur ! Ce que nous voulons savoir, c’est pourquoi un sujet aussi important ne peut pas faire l’objet d’un débat préalable devant le Parlement. Pourquoi régler par ordonnance pour la juridiction administrative ce qui a été réglé par la loi pour la juridiction financière, pourquoi cette différence de traitement ? Quelles sont les raisons de délai, d’urgence ou autres, qui font que le Parlement ne peut pas débattre de cette question ? Voilà la question de fond.

Vous n’êtes évidemment pas obligé de répondre, monsieur le ministre ; mais sur un sujet aussi important, il serait peut-être utile de nous préciser pourquoi vous avez retenu cette procédure et non pas la procédure législative habituelle.

M. Eric Woerth, ministre du budget. C’est un choix !

M. Bernard Derosier. Les magistrats administratifs apprécieront !

(Les amendements identiques nos 28 et 50 ne sont pas adoptés.)

(L’article 27 est adopté.)

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  • “Le cavalier est tombé de son cheval. L’article 27 du projet de loi sur la mobilité a été écarté par la commission mixte paritaire”, USMA, par Axel Barlerin, 9 juillet 2009.
  • A. Barlerin, “tensions juridictionnelles, édito AJDA, 6 juillet 2009.
  • Voir sur la réforme: “Grève de la juridiction administrative du 4 juin : le SJA la suspend, pas l’USMA “, CPDH, 4 juin 2009.

Par François Koch, publié le 03/07/2009 15:37 - mis à jour le 03/07/2009 16:02

“Sept membres du Conseil syndical du syndicat de la juridiction administrative ont présenté leur démission. Effet direct de la réforme du contentieux administratif.

Effet direct de l’adoption du projet de loi sur la mobilité dans la Fonction publique le 2 juillet par l’Assemblée nationale avec un amendement réformant la procédure des juridictions administratives, la crise et les tensions qui existent depuis plusieurs mois au sein du Syndicat de la juridiction administrative (SJA), organisation majoritaire du corps, éclatent au grand jour.

Lire la lettre de démission
Sept des quinze membres du Conseil syndical du SJA ont présenté leur démission à leur président dans un courrier sévère, largement diffusé hier soir dans le corps des juges administratifs par le président du SJA, Robert Le Goff, et que L’Express a pu se procurer. Ces “mutins” reprochent au président Le Goff d’avoir approuvé publiquement l’adoption de l’amendement controversé, plongeant bien des juges dans un profond désarroi. Ils critiquent également les conditions du débat sur le retrait du SJA du mouvement de grève du 4 juin 2009, qui avait été décidé en commun avec l’USMA (Union syndicale des magistrats administratifs). Ils demandent enfin la convocation d’un congrès extraordinaire du SJA.”


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