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Une adaptation laborieuse du droit international privé au commerce électronique

Publié le 24 août 2009 par Gerardhaas

71264530La jurisprudence reste  indécise quant à l’appréciation de la compétence des juridictions françaises lorsque des  actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale sont reprochés à des intermédiaires du commerce électronique. Explications.

Une ancienne jurisprudence de la Cour d’appel de Paris considérait que les tribunaux français étaient compétents dès lors que les liens sponsorisés étaient accessibles depuis la France. Il importait peu que la langue dans laquelle les sites sont rédigés soit étrangère si les produits argués de contrefaçon étaient reproduits et qu’il était mis à la disposition de l’internaute des fonctionnalités de traduction (CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier)

Cette appréciation a eu l’occasion de se complexifier lors des affaires Google au sujet de leurs liens sponsorisés. La jurisprudence a admis la compétence du juge français si les liens litigieux conduisaient à des sites offrant à la clientèle française des produits ou services identiques ou similaires à ceux du demandeur. (CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 déc. 2007, TWD Industrie c/ Google France, Google Inc )

Le groupe LVMH, voyant le préjudice que pouvait lui causer les intermédiaires au commerce électronique, a décidé d’y mettre en terme notamment en attaquant le groupe eBay. LVMH lui reproche d’utiliser certaines de ses marques comme mots-clés renvoyant aux sites www.ebay.fr et fr.ebay.com et cela en dépit du fait qu’eBay est un service de courtage en ligne et ne vend aucun produit directement (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., ord. mise en état, 14 déc. 2007, Kenzo et al. c/ eBay Inc, eBay International AG)

Afin de caractériser l’« impact économique sur le public français », le juge détermine si le site vise le public des internautes français et non pas si des produits contrefaisants qui seraient offerts à la vente sur ledit site sont effectivement livrables en France. En d’autres termes, les liens sponsorisés créés par eBay doivent conduire à un site indiscutablement tourné vers les internautes de France et doivent permettre d’engendrer un flux d’affaires sur la plateforme de courtage, ce qui, pour eBay, se traduira par l’encaissement de commissions.

En conséquence, le « lien suffisant, substantiel ou significatif » était caractérisé au regard du modèle économique de l’activité d’eBay.

Le second reproche que LVMH formule est le fait pour eBay d’accueillir sur ses sites des annonces « manifestement illicites » (violation de ses réseaux de distribution sélective et commercialisation de contrefaçons). La jurisprudence a fait droit à LVMH sur ce point, assortie de lourdes condamnations (TT. com. Paris, 1re ch., sect. B, 30 juin 2008, Louis Vuitton Malletier c/ eBay Inc., eBay International AG ; Christian Dior Couture c/ eBay Inc., eBay International AG ; Parfums Christian Dior et al. c/ eBay Inc, eBay International AG : JurisData, n° 2008-364501) .

En ce qui concerne la compétence internationale, le tribunal adopte la solution de l’arrêt Cristal : ainsi, l’accessibilité des sites eBay, français mais aussi étrangers, à partir de France suffit à ce que les juridictions françaises soient compétentes (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., ord. mise en état, 16 mai 2008, L’Oréal et al. c/ eBay France et al.).

Les juges ont également une autre occasion de préciser le critère de « lien substantiel, suffisant ou significatif » grâce a contentieux des atteintes à l’image, à la réputation et aux droits de la personnalité. Il en a été ainsi pour les sites de paris en ligne où ces derniers se sont déclarés incompétents en raison que les sites litigieux étaient hébergés à l’étranger, qu’ils n’étaient pas rédigés en français, que les paris ne concernaient pas ou très peu les matchs se déroulant en France et qu’enfin le nombre de paris provenant de la France était infinitésimal.

Les juridictions françaises apprécient encore une fois le modèle économique employé pour établir le « lien substantiel, suffisant ou significatif (CA Paris, 11e ch., sect. B, 14 févr. 2008, Unibet Ltd et al. c/ Assoc. Real Madrid, Z. Zidane et al).

Dans l’appréciation du « lien substantiel, suffisant ou significatif », il est essentiel d’identifier le « public » pertinent, c’est à dire celui aux yeux de qui la réputation du demandeur serait prétendument entachée (CA Versailles, 26 juin 2008, RG n° 08-00041). La cour en l’espèce se déclare incompétente au motif que l’annonce comparative de deux sociétés figurant en anglais sur le site de l’une d’elle était destinée aux autorités boursières et aux investisseurs notamment danois et américains et non pas aux médecins français pratiquant l’anglais en tant que langue de la communauté scientifique. La demanderesse aurait eu plus de succès en arguant du préjudice d’image que lui causait le communiqué financier de sa rivale, auprès de ses propres investisseurs en France (rappr. CA Paris, 15e ch., sect. B, 30 juin 2006, Morgan Stanley & C° International Ltd et al. c/ LVMH ).

S’agissant du contentieux de contrefaçon en droits d’auteur par le biais d’un site à l’étranger, la seule accessibilité du site à partir du territoire français ne suffit pas à fonder la compétence française.

Pourtant une décision doit attirer notre attention. En effet, dans cette dernière le juge à renverse la perspective pour se déclarer compétent. Le juge établira un « lien substantiel, suffisant ou significatif » pour l’exposition sur un site chilien d’œuvres d’un peinte chilien, dans un but purement culturel et non commercial, même si celui-ci ne s’adresse pas en France et n’est pas rédigé en français. Dans la mesure où le site s’adresse de tout évidence aux amateurs d’art, ces derniers seront naturellement portés à rechercher les sites reproduisant les tableaux de l’artiste qui sont appréhendables par l’internaute indépendamment de la langue des commentaires d’accompagnement (TGI Paris, ord. mise en état, 3 sept. 2008, Florence G.-G., Clara G.-C. c/ Musée d’art contemporain et al.).

Références :

- CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 juin 2006, Google France c/ Louis Vuitton Malletier : JurisData n° 2006-315042 – voir le document

- CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 déc. 2007, TWD Industrie c/ Google France, Google Inc : RDLI 2008/34, n° 1137 – voir le document

- TGI Paris, 3e ch., 2e sect., ord. mise en état, 14 déc. 2007, Kenzo et al. c/ eBay Inc, eBay International AG  – voir le document

- TGI Paris, 3e ch., 2e sect., ord. mise en état, 16 mai 2008, L’Oréal et al. c/ eBay France et al.- voir le document

- TGI Paris, ord. mise en état, 3 sept. 2008, Florence G.-G., Clara G.-C. c/ Musée d’art contemporain et al. – voir le document

Source :

« Un an de droit international privé du commerce électronique » par Marie-Élodie Ancel


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