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Eva Almassy: des petites filles qui rient dans le soleil

Par Angèle Paoli

Eva Almassy: des petites filles qui rient dans le soleil
crédit illustration : Amazon

Eva Almassy, Petit éloge des petites filles,
Gallimard, Collection folio, 2009


DES PETITES FILLES QUI RIENT DANS LE SOLEIL
     Existe-t-il encore des petites filles ? Cette interrogation surgit à l'improviste parmi les publications de la rentrée, avec la découverte de ce Petit éloge des petites filles, signé Eva Almassy.


     À lire cet « inédit » d'Eva Almassy, bien des images oubliées refont surface qui renvoient la lectrice que je suis à un monde d'un autre temps. Que savons-nous encore des petites filles ? Qui sont-elles au juste ? Quel univers est le leur ? Ma curiosité est doublement attisée. Par l'illustration, d'abord : des petits pieds nus perdus dans des talons aiguilles trop grands. Les petites filles de jadis mettaient leurs pas dans ceux de leur mère. En est-il toujours ainsi ? Par le genre littéraire choisi qui est celui de l'éloge. Les petites filles sont-elles à ce point en voie de disparition qu'il faille les remettre sur le devant de la scène par le biais de l'éloge ?


     Faire l'éloge de ces petites personnes ? Comment s'y prendre pour ne pas « les enfermer dans la cage de la grâce, l'esthétisme, la seule perfection physique » ? Dès la première page de cet opus ― bref mais riche d'analyses inattendues et originales, de références littéraires, de contes et de comptines, de témoignages et de mots d'enfants, de dialogues et de mythes ―, Eva Almassy écrit : « Je me demande si en faisant leur éloge je ne les traite pas moi aussi comme une proie, à trop vouloir les défendre ». Mais la question qui domine, celle à laquelle sont annexées toutes les autres, est la suivante : ces petites filles, qui sont-elles ? Quelle est leur spécificité ? À partir de quand devient-on une petite fille ; et surtout, jusqu'à quel âge le demeure-t-on ? Où se situe le « seuil fatal », celui dont elles vont s'éloigner et d'où viendra l'oubli de ce qu'elles ont été ?

     Pour tenter d'approcher l'univers mystérieux de ces étranges petites personnes, c'est l'intime qu'il faut explorer. Car non seulement « l'intime est superlatif mais la petite fille est le superlatif de ce superlatif qu'est l'intime. » Du reste, aux yeux de l'auteur, « la petite fille incarne la plus grande intersubjectivité. » Qui fait d'elle un être qui « comprend les sentiments complexes, les formes presque grammairiennes de la vie quotidienne », et ce, dès son plus jeune âge. Un être à part, pourtant défini comme « à peine plus intelligent que les autres ». Mais aussi, selon l'analyste jungienne Clarissa Pinkola Estès, poète et cantadora, un être à qui l'on apprend, très tôt, « à se soumettre au prédateur. » « Purement et simplement » [souligné en gras par Eva Almassy]


     En cinq chapitres ― ÊTRE/ SAVOIR/VRAIES PRINCESSES/ FILLES D'ÈVE/ INVITÉS, eux-mêmes subdivisés en sous chapitres ― Eva Almassy se livre avec dextérité et humour à une exploration minutieuse et drôle des champs très divers où règnent ces magiciennes des « cinq continents qui peuplent la terre de rires d'oiseaux en tissant autour de leurs millions de doigts des berceaux de chat avec d'infinies ficelles. » Voilà, poétiquement, ce qu'elles sont. Au-delà, il y a ce qu'elles ont: « de l'être en quantité illimitée, une infinie multiplication » Car la petite fille détient en elle, dès sa naissance, « la puissance de donner un jour la vie. » « À des enfants des deux sexes. »


     Comment un esprit feu follet comme celui d'Eva, tout imprégné d'enfance et d'espièglerie, aurait-il pu résister longtemps encore au désir de se pencher sur ces « princesses » que sont les petites filles ? Éminente conteuse et passeuse de récits fondateurs, Eva Almassy traverse époques et espaces pour aller au-devant de toutes les petites filles de rêve qui continuent de l'habiter. Sans doute parce que le « manque » d'enfant se confond en elle avec « la nostalgie » qu'elle a de l'enfance. Mais elle le fait avec la grâce de l'enfance, avec cette légèreté touchante, cette souplesse qui caractérise les entrechats des petites filles qui rient dans le soleil.


Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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