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Validation de la “préférence communautaire”, invalidation de la circulaire du 7 janvier 2008 et exclusion des Algériens et Tunisiens (CE 23 octobre 2009 Gisti)

Publié le 27 octobre 2009 par Combatsdh

Le Conseil d’Etat vient de rendre publique une décision “Gisti” du 23 octobre 2009 sur la légalité du dispositif organisant “l’immigration choisie” du ministère de l’Immigration et du président Sarkozy.

Il reposait sur une circulaire du 20 décembre 2007, sur la circulaire de “régularisation” du 7 janvier 2008 dite “article 40 de la loi Hortefeux” et enfin sur un arrêté du 18 janvier 2008 dressant des listes de métiers ouverts, sans opposabilité de la situation de l’emploi, aux ressortissants des pays tiers à l’Union européenne.

Le Gisti contestait ces trois textes principalement en tant qu’ils organisent une ouverture différenciée du marché du travail selon la nationalité de l’étranger:

- d’un pays tiers à l’Union européenne (liste réduite à une quarantaine de métiers par régions - voir annexe de l’arrêté du 18 janvier 2008);

- bénéficiant d’un accord bilatéral (les Algériens et, jusqu’à une date récente, les Tunisiens exclus de ce système de listes de métiers; les Etats bénéficiaires d’accords de gestion concertée comme le Sénégal ou très récemment la Tunisie , etc. qui bénéficient de listes préférentielles);

- ou ressortissants communautaires relevant d’un nouvel Etat membre de l’Union européenne et à ce titre soumis à une période transitoire - c’est-à-dire la Roumanie et Bulgaire car pour les autres PECO la période transitoire a pris fin (liste de 150 métiers).

Saisie par la Cimade (voir ici), la Halde avait estimé dans une recommandation du 15 septembre 2008 que cette ouverture différenciée développait un risque de sélection des travailleurs sur “une base ethnique”.

L’ancien ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, avait justifié cette différence de traitement en invoquant la “préférence communautaire“.

1°) validation de la portée juridique de la préférence communautaire: obligation d’instaurer un régime préférentiel pour les nouveaux entrants

Alors que cette notion n’avait, selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, jusque là aucune portée juridique les traités d’adhésion à l’Union européenne et les nouveaux entrants (du 16 avril 2003 pour les 8 PECO et du 25 avril 2005 pour la Bulgarie et de la Roumanie) ont ouvert la possibilité d’aménager, pendant une période transitoire de sept ans au plus, le principe de libre circulation des travailleurs prévu à l’article 39 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’ils prévoient au point 14 des annexes relatives à la période transitoire que:

« les Etats membres actuels donnent la préférence aux travailleurs qui sont ressortissants des Etats membres plutôt qu’aux travailleurs qui sont ressortissants de pays tiers en ce qui concerne l’accès à leur marché du travail durant les périodes d’application de mesures nationales ou de mesures résultant d’accords bilatéraux… »

pour la Bulgarie voir ici en PDF et la Roumanie ici en PDF point 14 sur la liberté de circulation des personnes

Or, dans sa décision, en référence aux accords d’adhésion des nouveaux entrants, le Conseil d’Etat valide ce motif:

“Considérant que l’arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’espace économique européen ou de la Confédération suisse, reprend presqu’à l’identique les listes de métiers fixées, pour ces étrangers, aux annexes 3 et 4 de la circulaire du 20 décembre 2007, qui s’était bornée à organiser une entrée en vigueur anticipée de l’arrêté et revêtait un caractère impératif ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort de l’ensemble des dispositions conventionnelles, législatives et réglementaires précitées que les ressortissants des Etats de l’Union européenne soumis à des dispositions transitoires relèvent d’un régime juridique spécifique et se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des autres étrangers en ce qui concerne l’accès au travail salarié, dès lors notamment que les traités d’adhésion de ces pays prévoient que, pour l’accès à leur marché du travail, les Etats membres doivent instaurer un régime préférentiel pour les travailleurs issus de ces pays par rapport aux ressortissants issus de pays tiers ; que, par suite, les actes attaqués pouvaient légalement établir des listes de métiers pour l’exercice desquels la situation de l’emploi n’est pas opposable qui soient différentes dans leur contenu selon que le demandeur d’emploi est un ressortissant d’un Etat de l’Union européenne soumis à des dispositions transitoires ou un ressortissant d’un Etat tiers ; qu’en effet, cette différence de traitement résulte d’une différence de situation qui est la conséquence nécessaire des traités d’adhésion et des dispositions de droit interne prises pour leur application ; qu’il suit de là que ces actes ne méconnaissent ni les articles L. 121 2 et L. 313 10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni le principe d’égalité”.

Pourtant cette notion de préférence communautaire est ouvertement contraire au principe constitutionnel d’égalité et aurait dû être écarté par le Conseil d’Etat.

2°) Mise à l’écart des Algériens et des Tunisiens de ce dispositif

Le Conseil d’Etat écarte l’application de ce dispositif aux Algériens et aux Tunisiens (rappelons que le régime d’opposabilité de la situation de l’emploi leur est pourtant applicable selon la jurisprudence du Conseil d’Etat. Ils ont donc les inconvénients de l’opposabilité sans avoir les avantages de l’ouverture par liste de métiers).

Au demeurant pour les Tunisiens un récent accord de gestion concertée vient d’entrer en vigueur et il contient une liste de métiers spécifiques.

“Sur les conclusions de la requête n° 314853 dirigées contre le point 1.3 de la circulaire du 20 décembre 2007 relatif à l’inapplicabilité de la liste de métiers aux ressortissants algériens et tunisiens :

Considérant que l’article L. 111 2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que ce code s’applique « sous réserve des conventions internationales » ; que l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans sa version en vigueur à la date de la circulaire attaquée, stipule que :

« Les ressortissants algériens désireux d’exercer une activité professionnelle salariée reçoivent après le contrôle médical d’usage et sur présentation d’un contrat de travail visé par les services du ministre chargé de l’emploi, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention ‘‘salarié'’, cette mention constitue l’autorisation de travail exigée par la législation française » ;

qu’aux termes de l’article 3 de l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : « Les ressortissants tunisiens désireux d’exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d’un an minimum, (…) reçoivent après contrôle médical et sur présentation du contrat de travail visé par les autorités
compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ‘‘salarié'’ (…). Ces titres de séjour confèrent à leurs titulaires le droit d’exercer en France la profession de leur choix… » ;

Considérant que ces stipulations s’opposent à ce que l’autorisation de travail soit limitée, d’une part, à une profession et à une région déterminées pour les Algériens et, d’autre part, à une profession déterminée pour les Tunisiens ;
qu’elles font par conséquent obstacle à l’application aux ressortissants de ces deux pays des dispositions de l’article L. 313 10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précité, qui est le fondement de la circulaire attaquée et qui prévoit que la liste fixant les conditions dans lesquelles la situation de l’emploi ne peut pas être opposée à un étranger est établie par métier et par zone géographique “

3°) Validation des distinctions des listes de métier par pays, en vertu des accords de gestion concertée

Le Conseil d’Etat valide aussi les différentes listes de métiers par pays selon chaque accord de gestion concertée:

“Sur les conclusions de la requête n° 314853 dirigées contre le point 1.4 de la circulaire du 20 décembre 2007 relatif aux ressortissants de pays tiers avec lesquels la France a signé un accord bilatéral de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement :

Considérant que la situation au regard du séjour en France et de l’exercice d’une activité professionnelle des ressortissants de pays tiers avec lesquels la France a signé un accord bilatéral de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement est régie par ces accords ou le sera lorsque leur approbation aura été autorisée par une loi ; que ces ressortissants relèvent ainsi d’un régime juridique spécifique ; que la circulaire, qui se borne à rappeler l’existence de ces accords, n’est entachée d’aucune illégalité sur ce point ;
que le moyen tiré d’une violation, par ces accords, du principe d’égalité devant la loi est, en tout état de cause, inopérant”

On se rappelle que la commission Mazeaud constatant l’impossibilité constitutionnelle et conventionnelle de faire légalement des quotas d’immigration du travail et familiale, avait suggéré le recours aux listes de métiers.

Pourtant le principe constitutionnel d’égalité devrait s’opposer à cette distinction selon l’origine nationale.

4°) Modalités de définition des listes de métiers

Le Conseil d’Etat rejette les autres moyens développés par le Gisti - notamment sur le mode d’élaboration des listes de métiers (en fonction d’un taux de tension déterminé par l’ANPE et le centre d’analyse stratégique - alors même que l’ANPE a perdu son monopole).

Considérant, en second lieu, qu’il ne ressort des pièces du dossier ni que les listes de métiers seraient fondées sur des faits matériellement inexacts, ni qu’une erreur manifeste d’appréciation aurait été commise dans leur élaboration, la circonstance que l’Agence nationale pour l’emploi n’a plus le monopole de l’emploi étant sans incidence sur la fiabilité des indicateurs qu’elle élabore, ces indicateurs n’ayant par ailleurs pas été les seuls pris en compte par le pouvoir réglementaire pour l’élaboration de ces listes “

5°) Annulation intégrale de la circulaire de régularisation du 7 janvier 2008

En revanche, s’agissant de la circulaire de régularisation du 7 janvier 2008, le Conseil d’Etat l’annule entièrement en estimant que le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement limiter ces régularisations aux seules listes de métiers.

C’est une grande première à double titre:

- d’une part parce que le Conseil d’Etat n’avait jusque là jamais admis la recevabilité d’une requête contre une circulaire de régularisation (mais celle-ci a ceci de spécifique qu’elle découle directement d’une disposition légale et ne caractérise donc pas le seul exercice du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif)

- et d’autre part parce que la circulaire est entièrement annulée car le ministre a limité irrégulièrement la portée de la disposition législative (article 40 de la loi “Hortefeux” du 20 novembre 2007 dit amendement Lefebvre) en exerçant un pouvoir réglementaire qu’il ne détient pas.

On sait que cette circulaire pose de nombreux problèmes de mise en oeuvre notamment en raison de liste spécifiques pour les travailleurs “sans-papiers” présentés par la CGT (qui n’a pas souhaité s’associer au recours du Gisti) et de fortes disparités au niveau local dans leur application.

Pour mettre en oeuvre cette disposition légale les ministères devront adopter d’autres instructions ne limitant pas la régularisation à des listes de métiers (on peut penser aussi, comme le relevait le rapporteur public, que l’exclusion des CDD de moins d’un an de la régularisation est également illégale).
6°) La validation d’une circulaire du 20 décembre 2007 abrogée depuis le 1er mai 2009

On relèvera enfin que le Conseil d’Etat a validé la circulaire du 20 décembre 2007 alors même qu’elle est aujourd’hui abrogée.

En effet en l’absence de publication sur site circulaire.gouv.fr, elle a été abrogée par application du décret du 8 décembre 2008 le 1er mai 2009 (c’est-à-dire postérieurement à l’introduction de la requête du Gisti).

Cette circulaire ne fait donc plus partie de l’ordonnancement juridique. Mais il est vrai qu’elle a produit des effets du jour de son édiction au 1er mai 2009 - ce qui explique que le Conseil d’Etat n’ait pas prononcé de non-lieu à statuer.

On peut regretter aussi que le Conseil d’Etat se prononce aussi longtemps après sa saisine par le Gisti - compte tenu de enjeux autour de ces listes de métiers et ce alors même qu’il avait été saisi d’un référé-suspension par le Gisti qui avait été rejeté au “tri” pour… défaut d’urgence. C’est d’ailleurs la seule ordonnance de “tri” essuyée par le Gisti au Conseil d’Etat.

Enfin le Gisti obtient 1500 € au titre des frais irrépétibles alors que la demande du ministère en ce sens est rejetée.

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CE, 23 octobre 2009, Gisti,314397, 314853, 314854


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