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Permis de construire illégal et responsabilité de la Commune

Publié le 29 octobre 2009 par Christophe Buffet
Dans ce cas cette responsabilité est retenue :
"Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE RAND KAR, dont le siège est Canal de la Martinière à Frossay (44320) et M. Eric A, demeurant ... ; la SOCIETE RAND KAR et M. A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 2 mars 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il rejette leurs conclusions d'appel tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 juin 2005 condamnant la commune de Frossay à payer à la SOCIETE RAND KAR la somme de 31 440 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un permis de construire délivré à M. A le 11 janvier 1992 ;
2°) de condamner la commune de Frossay à leur verser la somme de 2 634 803,52 euros, avec intérêts de droit et capitalisation à compter du 17 mars 2005 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Frossay la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la SOCIETE RAND KAR et M. A et de Me Odent, avocat de la commune de Frossay,
- les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A a obtenu le 11 janvier 1992 du maire de Frossay (Loire-Atlantique) un permis de construire en vue de l'édification de deux bâtiments à usage de hangar destinés à l'extension de la base d'ultra-légers motorisés (ULM) ; que ces bâtiments ont été apportés par la suite à la SOCIETE RAND KAR ; que, par jugement du 1er avril 1993 devenu définitif, le tribunal administratif de Nantes, saisi par des riverains et une association, a annulé la délibération du 21 mai 1991 par laquelle le conseil municipal de Frossay avait approuvé la modification du plan d'occupation des sols de la commune consistant à créer, au sein de la zone NDc, un secteur réservé aux installations et constructions liées à l'activité des ULM et autorisant, dans ce secteur, les équipements collectifs liés à l'hôtellerie et à la restauration ; que les mêmes demandeurs ont introduit devant le juge judiciaire un recours tendant, d'une part, à la destruction des deux bâtiments autorisés par le permis de construire et, d'autre part, à la condamnation de M. A à réparer le préjudice causé par leur édification ; que, saisi d'un recours en appréciation de légalité, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 12 novembre 1996, déclaré le permis illégal ; que, par une décision du 28 juillet 1999, le Conseil d'Etat a confirmé ce jugement ; que M. A a été condamné par le juge judiciaire à démolir les bâtiments et à indemniser les demandeurs ; qu'à la suite de ces condamnations, M. A et la SOCIETE RAND KAR ont présenté devant le tribunal administratif de Nantes, outre une demande de provision, un recours indemnitaire tendant à la condamnation de la commune de Frossay à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis ; que, par un jugement du 2 juin 2005, le tribunal a reconnu que la responsabilité de la commune était engagée du fait de l'illégalité fautive du permis de construire du 11 janvier 1992, l'a condamnée en conséquence à payer à la SOCIETE RAND KAR la somme de 31 440 euros en réparation des préjudices constitués par les frais de démolition des hangars ainsi que par le montant des dommages-intérêts fixé par le juge judiciaire et a rejeté le surplus des demandes ; que, par un arrêt du 2 mars 2006, la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé ce jugement ; que M. A et la SOCIETE RAND KAR se pourvoient en cassation contre cet arrêt, en tant que la cour administrative d'appel a ainsi écarté l'indemnisation de chefs de préjudices supplémentaires ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, s'agissant des frais engagés pour la construction et l'aménagement des deux bâtiments autorisés par le permis de construire du 11 janvier 1992 et dont la démolition a été ordonnée par le juge judiciaire, les requérants n'ont produit qu'une expertise relative au coût de reconstruction à l'identique de ces bâtiments et se sont prévalus du montant, actualisé, retenu par cette expertise ; que ce montant n'étant pas nécessairement égal à celui des dépenses engagées pour leur construction initiale, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'erreur matérielle et n'a pas dénaturé les faits de l'espèce en estimant que M. A et la SOCIETE RAND KAR n'avaient ni chiffré, ni justifié le montant des frais de construction des bâtiments qu'ils ont été condamnés à démolir ;
Considérant, en deuxième lieu, que les frais utilement exposés par le bénéficiaire d'une autorisation individuelle d'urbanisme à l'occasion d'une instance judiciaire engagée par des tiers et à l'issue de laquelle le juge judiciaire ordonne, à raison de l'illégalité de cette autorisation, la démolition d'une construction ainsi que l'indemnisation des préjudices causés aux tiers par celle-ci, sont suceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive de l'autorisation, mais à l'exclusion de ceux relatifs aux astreintes prononcées, le cas échéant, pour pallier une carence dans l'exécution de la décision juridictionnelle ; qu'il en va de même des frais afférents à une instance en appréciation de légalité introduite, au cours du procès judiciaire, devant la juridiction administrative, afin qu'il soit statué sur la légalité de l'autorisation ; qu'en revanche, les frais exposés lors de la présente procédure introduite par le bénéficiaire de l'autorisation et tendant à la réparation du préjudice subi par celui-ci relèvent du champ d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en excluant par principe la réparation du préjudice constitué par les frais exposés lors des instances engagées par des tiers devant la juridiction judiciaire ainsi que lors des instances en appréciation de légalité introduites devant la juridiction administrative ; que l'arrêt attaqué doit, dès lors, être annulé sur ce point ;
Considérant, en troisième lieu que si M. A et la SOCIETE RAND KAR ont demandé devant les juges du fond l'indemnisation des préjudices liés aux surcoûts et à la perte d'activité résultant du transfert d'une partie de l'activité de la base ULM sur un autre site, c'est sans commettre d'erreur de qualification juridique que la cour administrative d'appel a estimé que ce transfert n'était pas la conséquence directe de l'illégalité du permis de construire du 11 janvier 1992 mais résultait de l'impossibilité, eu égard aux règles d'urbanisme alors applicables dans ce secteur, de réaliser les constructions nécessaires au développement de l'activité de cette base ;
Considérant, enfin, que la cour administrative d'appel a estimé que les demandes d'indemnisation des frais de déménagement partiel de la SOCIETE RAND KAR sur un autre site ainsi que des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral invoqués par M. A n'étaient fondées que sur le comportement prétendument fautif de la commune devant les juridictions au cours des instances antérieures ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du mémoire en réplique enregistré le 30 janvier 2006, que les appelants invoquaient également comme fondement de ces préjudices, à titre subsidiaire, l'illégalité fautive du permis de construire ; que, par suite, la cour a dénaturé les écritures des requérants ; que l'arrêt attaqué doit ainsi être annulé en tant qu'il concerne ces chefs de préjudice ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la limite de la cassation prononcée ;
Sur la prescription quadriennale :
Considérant que le maire, ou l'adjoint qu'il délègue à cet effet, a seul qualité pour opposer, au nom de la commune, la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 ; que, par suite, la prescription invoquée à l'encontre de M. A par la commune de Frossay devant le tribunal administratif dans un mémoire en défense qui ne porte que la signature de son avocat n'a pas été, en tout état de cause, régulièrement opposée ; qu'il en va de même en ce qui concerne la prescription invoquée, dans un mémoire en défense produit devant la cour administrative d'appel, à l'encontre de la SOCIETE RAND KAR, la juridiction saisie au premier degré s'étant au surplus déjà prononcée sur le fond ;
Sur le montant du préjudice :
Considérant, en premier lieu, que le montant total des frais d'avocat et d'avoué supportés par la SOCIETE RAND KAR dans les instances tendant à la démolition des bâtiments et à l'indemnisation des préjudices résultant de l'édification de ceux-ci, ainsi que dans l'instance en appréciation de légalité introduite devant la juridiction administrative, s'élève à la somme, non sérieusement contestée par la commune de Frossay, de 16 712 euros ;
Considérant, en deuxième lieu, que la SOCIETE RAND KAR justifie également avoir exposé, lors de la démolition des bâtiments, des frais de déménagement du matériel qui y était installé, pour un montant total de 4 469 euros ;
Considérant, enfin, que M. A justifie suffisamment avoir subi, du fait de l'illégalité du permis qui lui a été délivré, des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en les évaluant à la somme de 10 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander, d'une part, que le montant de la condamnation prononcée par le tribunal administratif au bénéfice de la SOCIETE RAND KAR soit porté à la somme de 52 621 euros et, d'autre part, que la commune soit condamnée à payer une somme de 10 000 euros à M. A ; que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par la commune de Frossay des demandes préalables datées, respectivement, du 10 décembre 1999 et du 30 janvier 2001 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 17 mars 2005, date à laquelle, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Frossay ; qu'en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Frossay le versement à la SOCIETE RAND KAR et à M. A d'une somme globale de 4 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens en appel et en cassation ;
D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt du 2 mars 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la SOCIETE RAND KAR et de M. A tendant à l'indemnisation des frais d'instance, des frais de déménagement, ainsi que du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.
Article 2 : La commune de Frossay est condamnée à payer à la SOCIETE RAND KAR la somme de 52 621 euros et à M. A la somme de 10 000 euros. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par la commune de Frossay des demandes préalables formées, respectivement, le 10 décembre 1999 et le 30 janvier 2001. Les intérêts de ces sommes échus le 17 mars 2005 seront capitalisés à cette date, puis à chaque échéance annuelle, pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 2 juin 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : La commune de Frossay versera à la SOCIETE RAND KAR et à M. A une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE RAND KAR et de M. A devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Nantes, ainsi que les conclusions de la commune de Frossay présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE RAND KAR, à M. Eric A et à la commune de Frossay."

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