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La légende de nos mères

Publié le 01 novembre 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Je n’aime pas particulièrement écrire de mauvais jeux de mots. Je préfère les dire. Mais ici, le titre s’est imposé à moi par la quasi-simultanéité des parutions. D’un côté, l’ouvrage de Sorj Chalandon qui vient déstabiliser la lecture trop héroïque de la résistance et de l’autre cet hommage modeste à une mère, au moment de sa jeunesse, quand l’héroïsme consiste seulement à vouloir prendre un peu de champ avec sa famille et à rencontrer l’amour dans des conditions improbables.

Anne Wiazemsky a mon âge. Sans doute est-ce un peu idiot de commencer ainsi. Mais avant de la rencontrer quelques instants au salon de Nancy pour lui faire signer ce livre à l’attention de ma propre fille, je m’étais remémoré les moments où nos vies se sont croisées, virtuellement. 

La première fois était en 1966, au moment où on ne pouvait qu’aimer les films de Bresson. Où j’avais tellement aimé son “Procès de Jeanne d’Arc”. Il faisait avec Balthazar le procès d’un âne et d’une femme. Le procès au sens non de l’accusation, mais de l’état des choses, des vies placées dans la balance ; celle que tient Dieu, sous le regard de Satan. Anne a écrit à ce propos, sur ses relations avec le cinéaste, quarante années plus tard, en confirmant finalement que Satan était bien là !

Ensuite, elle apparaît comme un élément de collage dans l’oeuvre de Godard dont elle partage un moment la vie. Chinoise entourée de livres rouges. Et dans quelques autres films encore, dans la proximité des plus cruels, des plus troubles : Pasolini, Marco Ferreri ou Philippe Garrel, avant de se saisir elle-même de la caméra. 

Et puis tout bascule. Je la retrouve entre les pages d’un livre, puis d’un autre. 

Je lui ai demandé de me dédicacer « Je m’appelle Elisabeth », un roman où une autre petite fille croise le danger de l’homme, prend la mesure de la distance juste et entre dans l’âge adulte.

Au fond, c’est bien de cela dont il est question, année après année. Quand devenons-nous adultes ? Quand cessons-nous de jouer notre vie à l’épreuve des dangers inconnus ? Ou mieux encore, quand abandonnons-nous le sens du danger pour réfléchir, pour nous protéger et choisir la mort ordinaire ?

Anne aurait pu se nommer Mauriac du nom de son grand-père, mais sa mère, Claire Mauriac dont elle nous raconte la jeunesse, a fait une rencontre unique, fascinante, contradictoire, dont elle est issue. Elle n’en porte aucun stigmate de mésalliance. Juste un nom impossible à prononcer et un talent magnifique pour dire simplement les mots d’une vie sur le fil du rasoir entre la Croix-Rouge et les services de recherche des Français égarés dans les camps russes. Une image de Berlin déglingué et partagé se déploie devant nous à petites touches, dans l’aube d’un sort funeste dont on fête ces jours-ci la Fête et la Fin symbolique.

« Claire côtoie chaque jour le destin tragique de ces milliers d’êtres humains. Participer au sauvetage de quelques-unsest comme une réponse aux questions qu’elle se pose, comme la justification de son existence. Cela n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle a connu durant la guerre, à Béziers. Il ne s’agit plus pour elle de participer à des actions héroïques, de soutenir les mouvements de la Résistance. Il ne s’agit plus de suivre les armées de la libération mais de mener une autre lutte, plus obscure, plus ingrate, une lutte minuscule : chercher, trouver et sauver de la mort des personnes oubliées. Maintenant, elle sait qu’elle aime profondément la vie à Berlin. Elle la trouve à la fois cruelle, sordide et étrangement belle. Assez proche de l’image qu’offre la ville en ruine, et qui pourtant se reconstruit. Comme durant la guerre, elle s’étonne de mener une vie qu’elle croyait réservée aux héroïnes des romans, des romans qu’elle dévorait adolescente et qui lui faisaient paraître si terne son quotidien de jeune fille. »

Et c’est de cette beauté là, qui se sent modeste, dont « Wia » tombe éperdument amoureux. 

Je pense que c’est Robbe-Grillet qui prétendait que dans tous les romans, il existe un texte disparu, perdu, brûlé, égaré. Un texte manquant qui parfois se retrouve par quelques mots ; comme si toutes ces pages écrites dans la douleur n’avaient que peu d’intérêt. Seul le cœur, aux deux sens du mot, peut redire en creux ce qu’on avait voulu y cacher en les égarant. 

Anne apprendra, à quelques paragraphes de la fin du livre, d’un témoin de la jeunesse de sa mère, par qui elle a été accouchée et à qui elle doit la vie, au sens le plus fort du mot. Etre née dans la proximité du mal absolu. Il reste donc toujours quelque chose à apprendre pour se construire.

Je ne sais pas s’il s’agit là d’une clef sur la banalisation du mal qui nous entoure et nous fascine, parfois. Sans doute !

« Mais moi, je vis », redit souvent Claire.Comment peut-on le reprocher à une toute jeune fille ? Le reprocherait-on à un vieillard ?

Photographie : l’auteur dans « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson.


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