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Parmesanschnitzel, où est mon identité ?

Par Memoiredeurope @echternach

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J’ouvre ma boîte à lettres. En général il n’y a pas beaucoup de courrier. Une lettre de la banque ou une facture de la poste…et les journaux gratuits qui parlent des activités sociales de mon village ou de ceux des environs. Je recueille les nouvelles en allemand ou en luxembourgeois de cette lointaine province que les Français ignorent, où la Sûre conforte un trait d’union entre les activités rurales et joue à rappeler une frontière dont les plus âgés connaissent encore la signification.

Un dépliant A4 de couleur amande me vante les mérites du restaurant Pizzeria « San Marco » situé Bitburger Strasse à Echternacherbrück, de l’autre côté de la Sûre. Si cette Pizzeria sert des plats de l’Eifel dont la base est constituée de gibier, ce qui est normal à cette saison, les Rahmschnitzel et Jägerschnitzel, ainsi que les Schnitzel nach Wienart, s’accompagnent de manière a priori étonnante de “Parmesanschnitzel mit Bolognesesosse und Parmesankäse, Pommes und Salat”.

Je ne relève l’incongruité que pour m’interroger avec humeur sur le mot identité accolé à « nationale » ou « française » que je ne cesse d’entendre prononcé depuis des semaines dans la dispersion la plus totale de ceux qui tentent de nous faire participer aux controverses sur un débat dont je ne peux percevoir que la grande confusion.

De quoi parle-t-on en effet ? J’avoue que j’essaie vainement de comprendre. Les discussions ne me paraissent pas aller au-delà d’une astuce politique pour canaliser les énergies mauvaises vers une cible facile et les réflexions intellectuelles vers l’enlisement des interviews de dix secondes.

Examiné depuis le site du ministère concerné, celui de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, je retiens qu’il s’agit d’un « grand débat » qui doit, écrit le ministre « grâce aux contributions apportées sur ce site internet, et dans les réunions organisées sur l’ensemble de notre territoire, aboutir à des propositions concrètes, permettant de renforcer notre cohésion nationale et de réaffirmer notre fierté d’être Français ».

Y a t il une clef quelque part dans ces quelques lignes qui me guiderait au-delà du renforcement d’une cohésion qui serait menacée et d’une fierté qui serait sur le point de disparaître ? Je la trouve en fait quelques lignes plus haut dans le texte : « Mais les dérives du nationalisme, le développement de nouvelles formes de communautarisme et de régionalisme, la construction progressive d’une identité européenne, et la mondialisation accélérée des échanges, apparaissent à certains comme susceptibles de remettre en cause l’idée même de Nation ».

La menace vient - ou viendrait - donc de la mondialisation des échanges. Qui l’eut cru ? Mais surtout d’une identité européenne en train de se forger. Pour le reste la menace résiderait donc dans le renforcement des communautés qui en France, comme en Suisse récemment, ne sont plus désignées du côté des juifs, mais des immigrés dont la religiosité islamique exubérante menacerait une laïcité qui ne ferait bon ménage qu’avec l’église catholique.

La mondialisation des échanges…si l’on parle des échanges culturels, artistiques, musicaux, culinaires, de la confrontation des modes de vie et des visions du monde, est-elle dangereuse en soi ? Je ne le crois pas ! Ce qui est dangereux c’est la concentration des moyens mis à la disposition de ces échanges !

La recherche des fondements d’une identité européenne commune, dans ce cadre mondialisé par les médias, est-elle une menace aux particularismes nationaux ? Une menace plus forte encore que les particularismes territoriaux quand il s’agissait de fonder une nation contre les langues et les cultures régionales ? Que savons-nous concrètement de l’apport de la culture d’autres pays européens limités par des frontières, ceux de l’Union Européenne ou du Conseil de l’Europe ? Quels moyens avons-nous pour que ces apports nous apparaissent plus évidents au sein de nos propres cultures, de nos habitudes ? Quels outils nous donnent-on pour les lire ?

Cela fait plus de vingt ans que je travaille à l’intérieur même de ces outils là. Que me disaient mes amis corses il y a quinze jours de la lecture génoise ou toscane de leur territoire quand ils m’aidaient à la percevoir et qu’ils échangeaient entre eux en langue corse ? Une leçon d’identité affirmée sur les bases des patrimoines oraux et musicaux anciens d’un territoire maintes fois plié et replié…et en même temps une magnifique leçon d’Europe ?

Pourquoi lors des Fêtes de saint Nicolas hier, deux Roumains émigrés discutaient-ils avec autant de vigueur des élections présidentielles de ce dimanche en Roumanie et des leçons que l’on pouvait tirer de vingt années de confiscation d’une « Révolution » que l’on célèbrera certainement fin décembre dans une grande confusion post-électorale ?

Parce que saint Nicolas que je ne fête que depuis mon implantation en Alsace et au Luxembourg, rassemble des pays de tradition germanique ou austro-hongroise - et concerne ces deux personnes nées l’une en Olténie et l’autre en Transylvanie - où beaucoup de jeunes seraient bien en peine, faute des outils nécessaires, de lire la route de l’évêque de Myre ou de Bari, né en Turquie, un pays devant lequel la France fait barrage pour qu’il ne se fonde pas dans l’Europe politique et économique nouvelle.

Il y a quinze jour j’étais un Corse, comme j’étais hier un Français de Luxembourg, citoyen de Bucarest me préoccupant de mieux comprendre, en buvant du vin d’Aquitaine et en goûtant du foie gras du Limousin, comment un de mes pays d’adoption, à deux mille kilomètres, fête ce personnage immigré. Un Turc à qui Constantin a accordé la liberté religieuse et dont les ossements volés par des marchands des Pouilles aboutirent dans la Lorraine voisine où une basilique fut élevée en son honneur !

Une vraie réussite pour un tel immigré cosmopolite !

Le Premier Ministre français à qui on a demandé de limiter le feu comme doit le faire un pompier incendiaire, osait demander en clôture d’une réunion organisée par l’Institut Montaigne cette semaine si on devait rougir de se poser en héritier d’une « Histoire exceptionnelle », en raison d’une « Europe encore, malgré les efforts qui sont faits, souvent plus technocratique que politique ? »

Monsieur le Premier Ministre, je n’aime pas ce débat et je n’en vois que le but déstabilisant, je n’en perçois que le mauvais argument électoral et je déteste que l’Europe soit instrumentalisée négativement pour valoriser l’identité dans des termes justement nationalistes.

Les dégâts seront bien plus durables que la fidélité des quelques voix qui seront ralliées pour de mauvaises raisons.

Et pendant ce temps là, l’autre débat essentiel, dans une union de vingt-sept pays qui se sont déjà ouverts au dialogue interculturel dans un cadre européen plus large où le mythe de Jason ressort lentement de la Géorgie et où celui d’Ulysse prend la Méditerranée pour une géographie maritime commune, où Alexandre le Grand nous apprend autant de nous-mêmes que Marco Polo ou Christophe Colomb, n’a pas lieu.

Et celui là, il est urgent. Bien plus urgent :« Les compétences interculturelles devraient faire partie de l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme » affirme le Conseil de l’Europe. Et encore : les pays devraient s’assurer que «…l’enseignement de l’histoire ne porte pas uniquement sur l’histoire du pays, mais également sur l’histoire d’autres pays et d’autres cultures, qu’ils prennent en compte la manière dont notre société a été perçue par d’autres (multiperspectivité) ».

Est-ce que les responsables politiques qui sont à l’origine du débat ont lu ces textes là que les responsables des affaires européennes ont adopté, ou bien est-ce qu’ils souhaitent simplement qu’on les ignore en les refoulant ou en aidant à ce que les complexités restent dans le refoulé, couvertes par les certitudes commodes ?


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