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L'Alliance de la poésie et de la musique, de Yves Bonnefoy

Par Florence Trocmé

La poésie est une offre, elle se donne pour tâche de préserver dans les mots l’intuition qu’elle a vécue dans leur son[1]

Bonnefoy_lalliance_de Le livre d’Yves Bonnefoy, L’Alliance de la poésie et de la musique, récemment paru chez Galilée[2] regroupe en fait deux courts essais. Si le premier est bien consacré aux rapports de la poésie et de la musique, le second « Le carrefour de l’image » est dominé par une analyse de l’image surréaliste et des raisons qui firent adhérer le jeune Bonnefoy, un temps, à l’esthétique surréaliste : son chemin à travers et sa sortie du surréalisme.

Je dois avouer une brève inquiétude à l’orée de la lecture en ce qui concerne cette fameuse histoire des rapports – Yves Bonnefoy dit de "l’alliance"– entre la poésie et la musique. Le poète dit d’emblée qu’il ne « répond à l’appel des musiciens qu’en sachant mal les entendre. Et même les comprendre[3] ». Histoire d’éducation d’abord, puisque, enfant, il ne fut pas mis en contact avec la musique et qu’alors même qu’il avait choisi dans un bazar comme cadeau un violon-jouet, il se vit prier de lui substituer une toupie [4] ! Et cela alors que « dans les livres et sur les parois du lieu d’existence, [se trouvaient] quelques images énigmatiques qui [l’]initiaient à des rêveries[5] ».Mais ensuite musique et histoire de la musique lui furent « entrouvertes » de telle sorte que le poète put « rêver d’elles d’une façon qui a quelque sens, au moins comme témoignage sur ce qu’on peut en imaginer à partir d’un souci de la poésie[6] ». Et très vite Yves Bonnefoy d’en venir à ce qui est sons dans la poésie, allitérations, assonances et surtout rythmes qui « conféraient à l’écoute une importance aussi spécifique que primordiale[7] ».
Mais ce qui retient le plus dans cet essai, non sans rapport avec ce qu’il écrit dans Ce qui alarma Paul Celan[8], ce sont les propos sur poésie et réalité, la poésie comme « façon d’intensifier le rapport à [cette] réalité, superficielle ou profonde, par un emploi de la parole lui-même réinventé[9] », rencontre « née du désir de rendre plus immédiate la relation de l’esprit au monde, plus intime son accession à l’unité qu’il pressent en celui-ci[10] ». Yves Bonnefoy insiste, à plusieurs reprises, sur l’écran presque impénétrable que tend la « pensée conceptuelle » entre l’être humain et cette réalité. En reprise et continuation de ce qui est esquissé dans Ce qui alarma Paul Celan. Il en revient à la musique car « pour se retrouver "en présence" il faut bien en passer par le langage[11]. Or c’est exactement là que se tient pour lui le « projet de la poésie » puisque « le mot dont un signifié a pris possession est aussi un son [et il arrive] qu’il se retire du champ de la signification, se faisant lui aussi un en-soi, un gouffre, lequel prend dans sa profondeur de son pur, tout ce qui existe et nous-même[12] »
Il me faut citer encore car cela me paraît central [et pas sans rapport avec le projet de Poezibao] : « La poésie ? Nullement la fascination du mystique pour le gouffre de la non-signification, mais le désir de rapatrier le bien de l’outre-conceptuel dans le lien social, où l’intimité retrouvée de l’être parlant à sa finitude pourrait régénérer les rapports interhumains appauvris par la pensée qui abstrait, qui généralise[13] », proposition que je ressens comme littéralement programmatique et d’une richesse inépuisable car tout y est autour des mots "rapatrier", "finitude" et "lien social". La poésie comme moyen d’accès à soi mais aussi à l’autre. Comme le dit Bonnefoy dans l’autre livre La poésie, cet accès à soi qui se fait accès aux autres
Une fois creusées ces intuitions fondamentales, Yves Bonnefoy peut revenir à la musique, explorer la relation sons/sens (Valéry) d’une façon très convaincante, en s’interrogeant sur la question de la forme, des formes. Je me suis demandée par ailleurs si sa sensibilité musicale ne l’entraînait pas vers la musique spectrale, ou vers un Morton Feldman, voire un Giacinto Scelsi, autour d’un « surcroit de sonorité qui enveloppe la note, trouble la forme[14] »
Impossible de rendre compte de la richesse foisonnante de cette cinquantaine de pages sur lesquelles on peut revenir indéfiniment, sûr d’y trouver matière à de nouvelles méditations.
Je ne dirai qu’un mot de l’autre essai, pourtant tout aussi intéressant dans une triple perspective : histoire littéraire (le surréalisme et en particulier le désintérêt de Breton pour la prosodie[15]), histoire personnelle d’Yves Bonnefoy (le tout jeune poète fasciné un temps par l’image surréaliste puis sa prise de conscience de ses limites et de la nécessité, pour lui, de ne pas s’y engluer, de ne pas de laisser « obnubiler par la fantasmagorie du surréel[16]) et sur le plan, de nouveau, de la réflexion de fond (et fondamentale !) sur la poésie et en particulier sur la prosodie et le rythme.

©florence trocmé, Poezibao


[1] L’alliance de la poésie et de la musique, p. 28
[2] L’alliance de la poésie et de la musique, Galilée, 2007, isbn, 978-2-7186-0744-3, 16, 50 €
[3] p. 13
[4] p. 12
[5] p. 12
[6] p. 14
[7] p. 15
[8] Ce qui alarma Paul Celan, Galilée, 2007
[9] p. 18
[10] p. 18
[11] p. 20
[12] pp. 20 et 22
[13] p. 27
[14] p. 51
[15] p. 90
[16] p. 95


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