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Eloi du plus fort: invalidation très partielle du fichier des étrangers en instance d’éloignement (CE, 30 décembre 2009, SOS Racisme, Gisti et a.)

Publié le 11 janvier 2010 par Combatsdh

Saisi de la légalité d’une seconde mouture du fichier « Eloi » (éloignement des irréguliers) par des associations, le Conseil d’État annule deux dispositions du décret n°2007-1890 du 26 décembre 2007 en tant qu’elles prévoyaient l’enregistrement dans le traitement ELOI du numéro « AGDREF » (Application générale des ressortissants étrangers en France - c’est-à-dire le fichier des titres de séjour des préfectures - qui devrait être prochainement remplacé par l’AGDREF II qui a perdu son nom de GREGOIRE -à cause d’EDVIGE- mais qui sera secondé par… OSCAR pour les retours volontaires. L’AGDREF II devrait intégrer en son sein ELOI) et la conservation pendant trois ans de certaines des données collectées. La légalité des autres dispositions est confirmée.

Rappelons que le fichier « Eloi » avait été créé une première fois par un simple arrêté du ministre de l’Intérieur du 30 juillet 2006 pris sur le fondement de l’article L.611-3 du CESEDA (issu de la loi Sarkozy de 2003). Il prévoyait - entre autres - le fichage des visiteurs des étrangers retenus, de leurs enfants, des hébergeants dans le cadre d’une assignation à résidence et une conservation des données jusqu’à 5 ans.

Compte tenu du fait que le fichier contenait une photographie d’identité pouvant faire l’objet d’une exploitation biométrique, de l’objet du fichier et de la nature des informations collectées, le Conseil d’Etat avait annulé l’arrêté pour incompétence : seul un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pouvait fixer les modalités de mise en oeuvre d’un tel fichier (CE, 12 mars 2007, Gisti et autres, n°297888).

Après avis de la CNIL du 24 mai 2007 et du Conseil d’État (section de l’Intérieur, 30 octobre 2007), le gouvernement  adopta une nouvelle version du fichier par le décret du 26 décembre 2007.

Il fut lui aussi contesté par les associations (SOS Racisme d’une part ; Gisti, LDH, Iris, Cimade d’autre part).

Au titre de la légalité externe, il apparaissait de la communication d’un extrait du registre des délibérations de la section de l’Intérieur, prononcée par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une mesure d’instruction (v. pour un précédent récent de communication de la minute de la section à propos du fichier CRISTINA : CE, 31 juillet 2009, Aides et a., n°320196, au Rec. CE, S. Slama, “Le Conseil d’Etat veut voir les dessous de CRISTINA (CE, 31 juillet 2009, Aides et a., N° 320196)”, CPDH, 14 août 2009; AJDA, 2009, p.2358, note T. Gründler), que le décret publié différait en deux points du projet soumis au Conseil d’Etat : le Gouvernement a renoncé dans la version publiée à l’enregistrement des données sur les personnes rendant visites aux étrangers placés en rétention.

Rappelant le principe selon lequel lorsque un décret doit être pris en Conseil d’Etat, « le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu’il avait soumis au Conseil d’Etat et du texte adopté par ce dernier » (CE, 2 mai 1990, Joannides et a., Rec. CE, p.107), le Conseil d’Etat estime  néanmoins « que le respect de cette exigence doit être apprécié par ensemble de dispositions ayant un rapport entre elles » (v. CE 3 juin 2009, Cimade et a., n°321841, au Rec. CE). Or, en l’espèce, à l’exception de la suppression des données sur les visiteurs, le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient du texte adopté par la section de l’intérieur. Le Conseil d’Etat estime, par suite, que « la suppression, dans le décret publié, de ces seules dispositions, qui sont divisibles des autres dispositions du décret, ne modifie ni la portée, ni l’économie générale du texte adopté par le Conseil d’Etat » et que il peut être regardé comme ayant été « pris en Conseil d’Etat » ainsi que le prescrit l’article L. 611-5 du CESEDA.

Sur la consultation du Conseil national de l’information statistique, le Conseil d’Etat estime que « la simple mise en œuvre (…) d’une fonction statistique d’un traitement automatisé de données par l’administration concernée ne relève pas du champ des avis » de cette instance qui ne doit être saisie lorsque la réalisation du fichier entraîne soit l’exploitation à des fins d’intérêt général, de données issues d’une administration, soit la création d’un traitement à cette fin, soumis en tant que tel à avis de la C.N.I.L pour les données statistiques en application de la loi du 7 juin 1951 et du décret du 7 avril 2005.

Au titre de la légalité interne, le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte des normes internationales relatives à la protection des données à caractère personnel (article 8 de la CEDH, convention n°108 du 28 janvier 1981 du Conseil de l’Europe directive 95/46/CE) et de la loi du 6 janvier 1978 différentes règles relatives aux données personnelles collectées sur les personnes physiques :

- elles ne peuvent faire l’objet d’un traitement automatisé que pour des finalités déterminées, explicites et légitimes.

- les données doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard de ces finalités ;

- la durée de conservation des données permettant l’identification des personnes concernées doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à ces finalités.

- le responsable du traitement doit prendre les mesures permettant d’assurer la sécurité des données et notamment d’empêcher que des personnes non autorisées y aient accès.

  • En l’espèce, s’agissant de la finalité statistique, accessoire à la finalité principale de gestion des procédures d’éloignement, le Conseil d’Etat écarte, dans un raisonnement pour le moins circulaire, le moyen du risque de détournement en relevant que les données statistiques enregistrées dans Eloi « ne peuvent être utilisées que de manière loyale et licite » - « en l’absence de toute allégation précise permettant de révéler qu’une utilisation méconnaissant [c]es principes ». Il considère aussi que ce traitement ne pourrait avoir légalement « ni pour objet, ni pour effet, d’être utilisé pour prendre des décisions à l’égard des personnes concernées » en l’absence de d’identification nominative à partir des résultats statistiques et ce quand bien même la gestion du traitement est confiée au ministre en charge des procédures d’éloignement.

On rappellera que le rapporteur public Julie Burguburu avait conclu à l’annulation de cette disposition car le disposittif statistique était insuffisamment encadré (v. M. Merzouki, “Recours ELOI II : audience publique du Conseil d’État le 4 décembre 2009″, CPDH, 08 décembre 2009).

  • S’agissant des données enregistrées, le Conseil d’Etat considère :

- que les données d’identification des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement sont nécessaires « au regard de l’objet même du traitement automatisé en question » et « ne peuvent être regardées comme inadéquates » au regard de sa finalité statistique, dès lors que le traitement ne permet pas de procéder à une identification nominative des intéressés à partir des résultats statistiques ;

- eu égard à l’objet du traitement constitue des données pertinentes:

_ l’indication par un pictogramme de couleur de la nécessité d’une surveillance particulière, au regard de l’ordre public, de l’étranger faisant l’objet d’une procédure d’éloignement « sans précision quant à la nature des faits pouvant être reprochés » ;

_ la collecte d’informations relatives au nom, prénom, et à l’âge des enfants mineurs de l’intéressé, « compte tenu, notamment, de la nécessité de permettre le cas échéant à l’ensemble de la famille de la personne faisant l’objet d’une telle mesure de l’accompagner et d’assurer dans l’attente de l’éloignement un hébergement adapté » (v. sur la rétention des enfants avec les parents : CE, 12 juin 2006, Gisti et a., n° 282275, 282982, 283157 ; Cass., Civ. 1ère, 10 déc. 2009, n° 08-14141 , Préfet de l’Ariège c/ X : lettre droits-libertés du 14 décembre 2009);

_ la collecte des données « relatives aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement alors qu’ils sont détenus » ainsi que celles relatives à « l’hospitalisation » et aux « expertises médicales », dès lors qu’Eloi « se borne à prévoir la collecte des seules informations pratiques qui doivent être prises en compte dans l’organisation de la procédure d’éloignement, qu’il s’agisse des informations relatives aux procédures judiciaires en cours pendant la procédure d’éloignement (…), ou au parcours médical de l’intéressé (…) » ;

_ la collecte des données relatives aux seuls nom, prénoms et adresse de la personne hébergeant l’étranger assigné à résidence et ce « pour permettre le suivi et la mise en œuvre des mesures d’éloignement.

En revanche, n’est ni pertinente ni adéquate eu égard aux finalités du traitement l’enregistrement, au sein d’Eloi du numéro national d’identification « AGDREF ». Le ministre de l’Immigration n’indique en aucune manière en quoi la facilitation de l’accès aux données relatives aux demandes de titre de séjour présenterait une utilité pour mettre en œuvre lesdites mesures d’éloignement.

  • S’agissant de la durée de conservation des données enregistrées, le Conseil d’État estime la durée de trois mois pour la majeure partie des données proportionnée au regard des nécessités de la gestion des différentes étapes des procédures d’éloignement. En revanche, il juge excessive la durée de conservation de trois ans. La circonstance que la conservation de certaines données essentielles pourrait permettre de faciliter une nouvelle mesure d’éloignement, qui s’avérerait nécessaire à l’encontre d’un étranger ayant déjà fait l’objet d’une telle mesure dans l’hypothèse où il viendrait à nouveau à séjourner irrégulièrement sur le territoire national, ne suffit pas à justifier d’une telle durée après la date de l’éloignement effectif. L’élaboration de statistiques relatives à l’ensemble des mesures d’éloignement et à leur taux d’exécution n’est pas rendue impossible en l’absence d’une conservation des données pendant une durée de trois ans.

  • S’agissant des destinataires des données, le Conseil d’Etat estime que le système d’habilitations individuelles organisé par le décret pour l’accès à Eloi est de nature à préserver la confidentialité des données enregistrées. Il ne peut être faire usage de ces habilitations que pour les besoins des missions relatives aux procédures d’éloignement dont les fonctionnaires ont la responsabilité.

Dans un communiqué du 30 décembre 2009, le ministre de l’Immigration « se félicite de la validation de la plus grand partie du texte » et annonce la préparation d’un texte complémentaire afin notamment de fixer une nouvelle durée de conservation des données inférieure à 3 ans.

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CE, 30 décembre 2009, nos 312051 et 313760, SOS Racisme, Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et autres

Actualités droits-libertés du 4 janvier 2010 par Serge SLAMA

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  • Communiqué de presse du Conseil d’Etat du 30 décembre :

Qui ne sachant pas très bien de quel côté il a fait pencher la balance annonce sous l’intitulé “Immigration” dans le même temps que le fichier « ELOI » “est partiellement invalidé” et que “le Conseil d’État valide le décret portant création [du] fichier “ELOI”, à l’exception de deux de ses dispositions“.

  • Communiqué du ministre de l’Immigration du 30 décembre  (qui se félicite une nouvelle fois d’avoir commis 2 illégalités dans un texte qu’il avait annoncé “inattaquable”)


  • Le dossier sur Eloi le site IRIS:

http://www.iris.sgdg.org/actions/fichiers/index.html

  • Le résumé des conclusions : M. Merzouki, “Recours ELOI II : audience publique du Conseil d’État le 4 décembre 2009″, CPDH, 08 décembre 2009
  • G. Koubi, “Fichier Eloi validé…“, DroitcriTIC, 30 décembre 2009: qui annonçait avant la nouvelle année l’analyse… de CPDH :)
  • “Malgré la censure du Conseil d’État, l’esprit d’”Eloi” ne change pas”, France 24, 30 décembre 2009.
  • C. Coroller, “Le Conseil d’Etat (re)retoque Eloi”, Libération 31 décembre 2009.
  • Pascale JUILLIARD, “Le Conseil d’Etat annule partiellement le fichier Eloi sur les étrangers expulsables”, AFP, 30 décembre 2009.

“Celles-ci se sont néanmoins déclarées satisfaites. “C’est partiel mais c’est un très bon signe”, a déclaré à l’AFP Jean-Pierre Dubois, président de la LDH.

Il a vu dans cette décision “un réveil ou au moins une prise de conscience des juridictions sur cette multiplication de fichiers”, avec lesquels “la vie privée et les droits les plus élémentaires sont touchés”.

“C’est pour nous une satisfaction qu’une institution protège les droits de l’Homme malgré le gouvernement. Cela montre qu’il y a des voies de recours contre les abus des ministères de l’Intérieur ou de l’Immigration”, a renchéri le vice-président de SOS Racisme, Samuel Thomas. (…).

Le ministère de l’Immigration, auteur du décret publié fin 2007, avait estimé que sa nouvelle version était “inattaquable juridiquement”.


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