Magazine Juridique

Communication, participation et négociation en urbanisme : apprentissages à Montréal, niveau 0 dans le Grand Nouméa

Publié le 14 janvier 2010 par Servefa

Ce n’était pas un de ces froids qui vous prend immédiatement à la gorge pour faire danser la samba à vos mâchoires. Non, celui-ci était discret, presque caressant qui s’insinue sous la peau puis à la surface des os. J’étais donc bien heureux d’entrer dans le luxueux immeuble du 1550 rue Metcalfe, en plein cœur de Montréal en cette soirée du 12 janvier 2010. Ce n’est pas le hasard qui me guidait au 14ème étage, mais une grande curiosité et un travail pour un de mes cours à l’Université de Montréal. En haut, tout s’agite, caméras, journalistes, hommes en costumes, femmes en tailleurs, citoyens tenants fermement quelques papiers dans leurs mains. L’ambiance souriante n’en demeure pas moins électrique. Car ce soir marque la première des auditions des mémoires de la population.
De quoi s’agit-il ? D’une consultation publique, l’équivalent des enquêtes publiques calédoniennes, mais vous allez voir qu’il est difficile de comparer les deux procédures, sauf à vouloir mettre en perspective Manhattan et Lascaux. Le projet ici est de taille et ne manquerait pas de faire verser quelques larmes aux élus de la ville de Nouméa : l’abaissement d’une autoroute surélevée et sa transformation en boulevard urbain. Imaginez la démolition d’une succession d’autoponts quand dans le Grand Nouméa certains en sont à vouloir les construire... Mais le projet a une bien autre envergure que la réhabilitation d’une infrastructure puisqu’il implique aussi un développement urbain avec création de logements, de commerces, d’emplois, et l’ajout d’un corridor réservé aux transports collectifs, avec le but d’offrir à la ville une entrée de ville digne d’une grande métropole nord américaine.

L'autoroute coupe ostensiblement la ville en deux laissant autour d'elle des terrains inoccupés, en friche, à l'abandon, pour une vie de quartier meurtrie (toute ressemblance avec les effets de la VDO est fortuite).

La procédure de consultation publique pour ce projet est menée par un organisme juridiquement indépendant: l’Office de Consultation Publique de Montréal (OCPM) qui s'inscrit dans la droite ligne d'une tradition montréalaise de participation publique. Sur leur site internet relatif au projet, il est possible de trouver une vaste documentation sur le projet , et même des éléments pour nourrir la réflexion. En parcourant toute cette littérature, je me suis même demandé s'il n'y en avait pas trop, si le citoyen n'était pas noyé par toute cette transparence. En tout cas, pour les techniciens qui travaillent sur le projet, cela invite à une vraie rigueur et une réelle qualité. On est bien loin ici des photos pirates des dossiers d'enquête publique de la Nouvelle-Calédonie, qui ne sont disponibles qu'à certaines heures de la journée, dans des lieux précis, et qu'il est impossible de photocopier ou photographier.

Le promoteur, une sorte de société mixte, la Sociéte du Havre de Montréal, a volontairement choisi un processus de consultationpublique quand bien même il n'y était pas obligé (les mauvaises langues disent toutefois que le projet, d'environ 990m, a été découpé (à 10m près) de sorte d'éviter les très exigeants mécanismes du Bureau d'Audiences Publiques pour l'Environnement qui officie à l'échelon provincial).

Fermons cette parenthèse et revenons à notre salle de consultation. A l'excitation qui agite l'air. Une première étape dans la consultation publique a consisté dans l'information du public, avec présentation du projet et réponses aux questions et aux questions seulement, les commentaires sont justement l'objet de cette second phase. Car les citoyens qui le souhaitaient, ou qui le pouvaient, ou qui en avaient le plus intérêt, avait quelques semaines pour déposer à l'office un mémoire portant leurs critiques sur le projet présenté. La salle est bondée, environ 200 personnes, il est 19h, la présidente ouvre l'audience. Elle présente les trois commissaires dont elle fait partie: un urbaniste, un architecte et un avocat immobilier. Tous ont signé une charte de déontologie. Face à elle, une table vide avec une chaise, et à côté de sa table, un écran géant. L'objet de l'audience est rapidement présenté et les règles de la consultation sont rappelées: chaque citoyen a 10 minutes pour présenter son mémoire, puis les commissaires posent quelques questions sur différents qui leur paraissent demander précision. A la fin de la séance, un représentant du promoteur aura le droit d'apporter un rectificatif (et non des commentaires) à différents éléments abordés dont il conteste l'exactitude. Pour ce projet, 60 mémoires ont été déposés et 43 seront présentés en audience (les citoyens des 17 autres n'ayant pas souhaité, ou pu, le présenter). Dans la soirée, 8 seront examinés, aussi, la présidente demande avec fermeté de la rigueur dans le respect de l'horaire. Elle a ainsi appelé le premier intervenant, qui s'est assis face à un ordinateur portable, tournant le dos au public mais regardant les commissaires et l'écran de présentation. Une véritable émotion était palpable dans la voix des citoyens, sûrement impressionnés de parler devant une assemblée et qui plus est pour porter des revendications qui, parfois, les touchent profondément.

Je dois vous avouer que j'ai été très surpris par la qualité des interventions. Les citoyens n'ont pas manqué d'aller dans le détail et de souligner, sévèrement, mais avec une grande courtoisie, les points qui leur semblaient fâcheux, en épluchant parfois les documents techniques. Certains ont même exprimé leur sentiment de révolte, mais avec une voix parfaitement posée, calme, et une émotion contenue. Le tout a offert un spectacle très civilisé, flegmatique, poli. Les commissaires ont écouté avec attention, dans une attitude respectueuse, leur visage ne marquant que curiosité et concentration sans montrer aucune émotion qui trahirait quelque jugement. Le public dans la salle, manifestement principalement formé de fonctionnaires, de dirigeants, de journalistes, et d'étudiants, a, dans l'ensemble, fait preuve de discrétion, applaudissant chaque passage avec bienséance. Le principal objet de mécontentement concerne la création exclusive d'un corridor de bus reliant l'île de Montréal à la rive bus et à fort achalandage (on parle de plus de 1000 bus/jours à termes) sous les fenêtres de nombre de résidents, et sans extension du terminus. Les citoyens (en fait des parties prenantes, puisque résidents du site) préférant des solutions de type tramway, métro, ou tout simplement l'adjonction des voies de bus au reste du boulevard urbain afin de "dissoudre" les nuisances dans l'ensemble des nuisances de ces voiries (à fort gabarit, on parle de 2x4 voies , certes un immense îlot central reçoit des bâtiments, mais est-ce vraiment urbain ?).

Trois points m'ont cependant marqué. Le premier concerne la défiance des citoyens vis-à-vis de la procédure: sommes-nous réellement en avant-projet ? N'est-ce pas une mascarade pour un projet qui aurait dû passer au BAPE ? Cette consultation volontaire n'est-elle une manipulation des citoyens et de l'opinion publique ?  Les citoyens participent ainsi à une arène qu'ils défient et dont ils se méfient. Cette pensée auto-réflexive de la consultation me semble être la preuve d'une démocratie mûre capable d'auto-critiques légitimes et d'interrogations, d'autant que les montréalais auront, bientôt, un droit d'initiative, c'est à dire la capacité de s'auto-saisir en consultation publique si la contestation à un projet rassemble un grand nombre de signatures. Ensuite, l'ambivalence des citoyens n'a pas manqué de m'étonner: ils remettent en cause les experts, mais quand les commissaires leur demande "et vous, que feriez-vous" ils répondent sans gène "je ne suis pas expert, je ne sais pas répondre à cette question". L'expert est ainsi à la fois montré du doigt et appelé à la rescousse. A la réflexion, je me dis qu'il ne s'agit pas là de voir le travail de l'expert remis en cause, mais une invitation à l'amélioration de ce dernier. L'expert doit ainsi aujourd'hui voir comment les remarques des citoyens peuvent le conduire à progresser et à améliorer son projet. Finalement, cette joute de prime abord n'est autre qu'un échange des savoirs. Enfin, j'ai été surpris par le panel des citoyens qui ont présenté des mémoires: cinq étaient directement concernés étant ou représentant des riverains ou des propriétaires du quartier. Et trois étaient des techniciens de l'aménagement, un professeur d'architecture en retraite, un spécialiste des transports et un autre à la direction d'une société d'aménagement maitre d'ouvrage sur des projets d'une zone voisine. Peu de citoyens lambda. Que des parties prenantes ou des experts. La participation ne concerne-t-elle que les riverains, les groupes d'experts, les associations de la société civile (écologistes, défense du patrimoine, etc.) ? Quid du citoyen lambda ? Comment l'intéresser aux grands projets d'aménagement (ici on parle d'une autoroute ayant un impact sur l'agglomération et d'une entrée de ville !) ? Comment l'intéresser aussi aux grandes décisions d'orientation, comme les plans de transport, de déplacements, les grands schémas d'urbanisme ? En tout état de cause, même s'il ne s'y intéresse pas aujourd'hui (peut-être du fait d'une communication déficiente), que le citoyen puisse avoir accès aux informations s'il le souhaite, et s'il se sent concerné, cela demeure un grand pas démocratique.

Cependant, la consultation à laquelle j'ai assisté a pointé du doigt une lacune dans la démarche montréalaise: une lacune de concertation en amont. En effet, pour qu'une concertation soit efficace, il convient qu'elle ait lieu le plus tôt possible dans la vie du projet, dès son "incubation" même, afin de pouvoir le corriger aisément et à moindre frais. Ainsi, la ville de Montréal propose-t-elle un guide à l'intention des promoteurs afin qu'ils lancent des démarches de concertation rapidement dans la vie de leurs projets. Les promoteurs du Grand Nouméa, avec en première ligne Kalinowski, feraient bien de s'en inspirer s'ils ne veulent pas voir leur projet soulever de plus en plus souvent des levées de bouclier. Mais, me dira-t-on, les citoyens son-ils armés pour participer à de tels processus ? Bien sûr, cela est exigeant pour ces derniers et il convient de les former à cet exercice. Ici aussi la ville de Montréal a édité des guides (dont un simplifié pour les populations ayant des difficultés) pour baliser la démarche des citoyens.

La concertation constitue un exercice difficile, complexe, qui demande beaucoup d'effort pour tous, concepteurs, promoteurs, citoyens. Il ne faut ainsi pas tomber dans l'angélisme en imaginant que c'est aisé et qu'il suffit de réunir tout le monde. Il existe des méthodes, des processus, des apprentissages de communication, des attitudes d'écoute. De plus, le consensus n'est pas une évidence, il s'agit moins de le trouver que de chercher à ce que chacun puisse dire "même si je ne suis pas d'accord avec tous les aspects du projet, rien de ce qu'il présente ne me semble inacceptable". Car la concertation est un mécanisme indispensable à l'acceptabilité sociale des dossiers de par le climat de confiance qu'elle crée. La participation n'est ainsi pas génératrice d'immobilisme sauf à ce qu'il apparaisse un manque de concertation, le public usant alors de son arme de blocage (par divers moyens, dont juridique).

Si l'exercice de démocratie participative est perfectible à Montréal, force est de constater que dans le Grand Nouméa c'est le niveau 0: Neanderthalensis democratis. Car dans le Grand Nouméa l'attitude choisie est celle du DAD. Il ne s'agit pas ici d'un diminutif bienveillant pour "papa", bien que l'ombre du paternalisme pèse, mais d'un acronyme pour Décider, Annoncer, Défendre. En effet, quels projet de l'agglomération ont été le fruit d'une concertation ? Dumbéa-sur-Mer ? Il aura fallu un soulèvement ponctuel des écolos et des coutumiers, mais après: la conception des voies, la typologie de l'habitat, le choix des équipements, tout s'est décidé entre techniciens et élus. Quels débats publics ? Le médipôle, le plan de circulation, le centre nautique de la Côte Blanche, les grands secteurs d'habitat social, le centre d'enfouissement des déchets, le prolongement de la SAV, la salle omnisport de Païta, le complexe de la Baie des Citrons, le plan de déplacements, le schéma de cohérence de l'agglomération, les plans d'urbanismes: tout s'opère entre décideurs, ingénieurs, urbanistes et comptables. On construit la ville pour les citoyens sans savoir ce qu'ils veulent: c'est qu'on s'est mieux qu'eux ce qu'est l'intérêt général, comprenez-vous ! Pire, on se cache, on marche sur des oeufs, on joue de la discrétion: ne réveillons pas les emmerdeurs ! La communication sur les projets est ainsi réduite à son strict minimum.

Car cette attitude présente trois risques majeurs. En premier lieu, c'est faire preuve d'une grande prétention au regard de l'état des connaissances sur les limites de la rationalité dans les processus décisionnels. Ces limites, surtout dans des situations complexes, peuvent-être dépassées par une démocratisation du processus de décision (pour creuser ce point, je vous invite à lire ce billet ). Ainsi, la démocratie participative vient enrichir la démocratie représentative pour une meilleure décision. De plus, la méthode DAD contribue à creuser le fossé qui sépare les citoyens des élus et à accentuer la perte de confiance dans le politique. La participation du public permet au contraire de regagner cette confiance, par l'entremise de la transparence et du respect des opinions. Dans un climat social difficile comme celui de la Nouvelle-Calédonie, où l'admiration pour les élus n'est pas la première pensée qui traverse la pensée des citoyens, travailler à regagner la confiance des citoyens n'est pas un luxe. Enfin, les moyens de communication permettent la cristallisation de l'opinion par la circulation de l'information et des expertises. On assiste alors à la formation très rapide de groupes porteurs de revendication. L'expérience du complexe de la Baie des Citrons est ainsi riche en enseignement avec un groupe Facebook de plus de 7000 membres, la création d'un site internet, et de nombreux débats sur différents forums voire sur le blog de "journalisme citoyen" Caledosphère. Ce phénomène tend à rendre autrement plus délicate l'acceptation sociale des projets: il n'est plus si facile de remblayer une mangrove à la va-vite, un citoyen passera par là, prendra des photos et fera circuler l'information.

Pour toutes ces raisons, il m'apparaît judicieux d'inviter élus et techniciens à réviser leurs méthodes de travail, à s'inspirer de l'exemple québécois (si possible en tenant compte de ses limites et de ses erreurs) afin de mettre en place une démarche qui permette de mieux construire la ville en toute transparence et avec tous les avis éclairés qui peuvent être glanés.

François Serve


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Servefa 42 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine