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Qui veut la peau de la Halde ? par Alain Piriou (Le genre qui ne se laisse pas faire)

Publié le 14 mars 2010 par Combatsdh

La Halde serait menacée de disparaître. Ou plus exactement, selon des informations livrées par Le Monde la semaine dernière, ses services seraient fondus dans ceux du nouveau Défenseur des droits, qui absorbe déjà le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie et de sécurité. Dans un pays idéal, où l’exécutif accepterait le rôle de ses contre-pouvoirs, cette solution pourrait faire sens, en marquant l’indivisibilité des droits humains protégés par une institution unique.

Dans la France de 2010, elle inquiète (cf. ce communiqué interassociatif publié mardi). Rien n’indique que les moyens de chacune des autorités administratives indépendantes s’additionneraient les uns aux autres, et si un secrétariat commun peut sans doute rationaliser le traitement des saisines, c’est une visibilité, une expertise et peut-être une pugnacité qui risquent d’être mises à mal. Car il existe un contexte qui rend cette perspective de réforme peu anodine. C’est celui d’une hostilité grandissante à l’égard de la Halde, qu’on ne peut résumer à l’animosité personnelle que voue Nicolas Sarkozy à Louis Schweitzer, un président sortant qui n’aura bientôt plus voix au chapitre. Visite guidée des tranchées.

Compte tenu de sa pertinence, Combats pour les droits de l’homme publie cette analyse du Genre qui ne se laisse pas faire du 10 mars 2010 , avec l’autorisation de son auteur, Alain Piriou.

La revanche du Sénat sur la Halde

Jean-Jacques Hyest, le président de la Commission des lois, ne fait pas mystère de ses intentions. « Son budget est plus important que celui du Médiateur et son efficacité n’est pas en proportion des moyens donnés » juge le président de la Commission des lois de la Haute assemblée. L’Élysée pourrait compter sur lui pour déposer un amendement au projet de loi créant le Défenseur des droits et signer la disparition de la Halde, selon Le Monde.

Jean-Jacques Hyest a en effet quelques raisons d’être en rogne contre la Halde : en avril 2008, l’autorité indépendante avait adopté en urgence une délibération pour contester une proposition de loi dont il était l’auteur, et qui venait radicalement transformer la jurisprudence en matière de lutte contre les discriminations, en créant un régime de prescription défavorable aux victimes. Cet appui institutionnel à une mobilisation syndicale et associative avait mis en fureur le sénateur, accusé de vouloir briser les outils des acteurs de la lutte contre les discriminations, et finalement contraint de rectifier le tir. La vengeance est un plat qui se mange tiède…

L’État rappelé à l’ordre

Plusieurs autres recommandations de la Halde adressées au gouvernement ont semblé agacer l’exécutif ou les parlementaires. Par exemple les très vives réserves de la Halde contre les tests ADN [et dautres dispositions de la loi “Hortefeux” de novembre 2007] pour les candidats au regroupement familial. Mais aussi la contestation d’une condition de résidence préalable de cinq ans pour l’octroi du RSA aux résidents étrangers non-communautaires. Ou bien la critique d’une condition analogue dans la loi sur le droit au logement opposable. Ou encore la fermeture de certains emplois publics aux étrangers non-communautaires, la non-reconnaissance d’équivalence de certains diplômes étrangers, le régime des pensions militaires de retraite et de réversion dont certains aspects restent défavorables aux étrangers, etc.

Cette insistance à mettre au tapis la préférence nationale, juridiquement fondée sur une analyse méticuleuse du droit européen, a d’ailleurs le don d’agacer dans les rangs de la droite extrême.

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Des anti-droits-de-l’hommistes remontés

Tout ce que compte la droite dure de blogs et de sites communautaires est en effet vent debout contre la Halde, et ce, depuis quasiment sa création. Régulièrement, des pétitions circulent pour demander sa suppression, et les délibérations les plus sensibles sont abondamment commentées, particulièrement quand elles dénoncent les abus dont sont victimes les groupes traditionnellement ciblés par ces sites. Sont ainsi visées les délibérations de la Halde pointant les discriminations indirectes subies les gens du voyage, comme deux récentes décisions prises à l’encontre d’arrêtés municipaux, les uns interdisant les terrains de camping aux caravanes double-essieux, les autres prohibant les activités de diseuses de bonne aventure. Les décisions relatives à la liberté religieuse sont également attaquées, particulièrement lorsqu’elles protègent les musulmans d’une mauvaise interprétation du principe de laïcité. Et comme si cela ne suffisait pas, la Halde interpelle régulièrement l’État sur les inégalités de traitement entre pacsés et mariés qui ne se fondent pas sur des éléments objectifs. De quoi menacer en effet une certaine idée de l’identité nationale.

Or, ces attaques contre la Halde sont loin de rester confinées à la sphère des blogs catholiques extrêmes. Sur la scène médiatique, Éric Zemmour s’en fait dorénavant le porte-parole . Inspirés par les mêmes arguments, deux députés de la majorité sont parvenus, l’automne dernier, à rogner le budget de la Halde. Et l’Élysée ne semble pas insensible à cette agitation.

Une partie du patronat inquiet

Enfin, un discours patronal s’est progressivement mis en place pour dénoncer le pouvoir d’enquête de la Halde, dont les observations sont de plus en plus souvent présentées devant les tribunaux civils. Il y a un an, des avocats d’employeurs espéraient un prochain recadrage de la Halde à la faveur de pourvois en cassation contre des arrêts qu’ils jugent faire la part trop belle aux arguments de la Halde. Pourtant, en 2009, sans avoir encore eu l’occasion d’examiner des affaires instruites par la Halde, la Cour de cassation a confirmé une jurisprudence conforme aux méthodes de la Haute autorité, notamment en matière d’établissement de la preuve.

La Halde n’est certes pas parfaite. Les délais d’instructions des saisines restent trop longs. Les critères retenus pour la nomination de son président et la composition de son collège manquent de transparence, comme pour la plupart des autorités administratives indépendantes. On aimerait d’ailleurs en savoir plus sur ceux de ses membres qui, avant leur nomination à la Halde, n’étaient guère connus pour leur expertise en matière de discrimination, et qui, au moment d’être remplacés, ne le sont guère plus.

Mais, tout de même, la preuve de son utilité a été faite, non seulement pour les victimes qui, grâce à elle, ont été rétablies dans leurs droits, mais aussi pour la prise de conscience et la sensibilisation de la société française aux discriminations qui la traversent. L’heure n’est donc vraiment pas à son démantèlement, mais bien au renforcement de ses moyens.

• Alain Piriou •


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