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VIH et transfusion sanguine : indemnisation appropriée et nécessité de la prise en charge des frais de soins (CEDH 23 mars 2010, Oyal c/ Turquie)

Publié le 31 mars 2010 par Combatsdh

Un enfant prématuré a du bénéficier dès sa naissance, en 1996, de transfusions sanguines mais à cette occasion il fut contaminé par la VIH (Virus de l’immunodéficience humaine). Si les actions initiées en vue de faire établir la responsabilité pénale des autorités médicales et ministérielles concernées par la collecte de sang ont échoué, leur responsabilité civile et administrative fut elle reconnue par les juridictions internes et l’enfant ainsi que ses parents obtinrent une indemnisation. Cependant, cette dernière ne couvrait le coût que d’une seule année de soins et ce, alors que la « green card » de la famille (§ 36) - qui permettait un accès gratuit aux soins - fut annulée par les autorités juste après ces jugements d’indemnisation. Les demandes de prise en charge des frais de soins furent rejetées, créant de graves difficultés financières pour la famille.

La Cour européenne des droits de l’homme admet sans difficultés l’applicabilité de l’article 2 (droit à la vie), sous l’angle del’obligation positive de protection de la vie, à la situation de l’espèce (§ 57), de telles circonstances ayant déjà été examinées à Strasbourg par le passé (v. récemment Cour EDH, 2e Sect. 1er décembre 2009, G. N. et autres c. Italie, Req. n° 43134/05 - Lettre Droits Libertés du 2 décembre 2009). Cependant, ici, l’affaire se présente sous un angle quelque peu différent car la responsabilité civile des différents acteurs dans le processus de collecte de sang a déjà été reconnue au plan interne. La Cour souligne d’ailleurs que l’article 2 “n’exige pas nécessairement un recours de nature pénale dans l’hypothèse d’une atteinte involontaire au droit à la vie ou à la protection de l’intégrité physique” si le système judiciaire interne offre des recours civils suffisants (§ 67).

Néanmoins se pose “la question cruciale [… de savoir] si le redressement en question [de la violation des obligations dérivées de l’article 2] était appropriés et suffisants” (§ 70) au regard de la grave situation financière des requérants - l’enfant infecté par le VIH et ses parents - (§ 71). Tout en saluant la démarche positive des juridictions turques qui ont reconnues le préjudice de ces derniers et les ont indemnisées partiellement, la juridiction strasbourgeoise estime que “le redressement le plus approprié dans ces circonstances aurait du [consister en la condamnation des responsables…] au paiement des dépenses de soins médicaux et de médicaments nécessaires à [l’enfant] tout au long de sa vie” (§ 72 - « it considers that the most appropriate remedy in the circumstances would have been to have ordered the defendants, in addition to the payment of non-pecuniary damages, to pay for the treatment and medication expenses of the first applicant during his lifetime »). En l’espèce, donc, l’indemnisation accordée par les juridictions internes “étaient loin d’être satisfaisante” au regard de l’obligation positive dérivée de l’article 2 (§ 72) dont les requérants peuvent encore à ce jour se dire victimes au sens de la Convention (§ 73). Ce constat est par ailleurs renforcé par le non respect de l’obligation de promptitude dans l’examen des allégations de négligences médicales (§ 76), d’où la condamnation de la Turquie pour violation du droit à la vie (§ 77).

Cet arrêt adopté à l’unanimité (et qui condamne également la Turquie sur le terrain du droit à un procès équitable - Art. 6 - et du droit à un recours effectif - Art. 13 - du fait de la durée excessive de la procédure devant les juridictions administratives - § 93) met en lumière la portée de l’obligation positive tirée de l’article 2 qui, selon la Cour, va jusqu’à exiger de l’État partie qu’il prenne en charge la totalité des conséquences financières d’une infection fautive par le VIH.

Mentionnons enfin que sur le terrain de l’article 41 (satisfaction équitable), les juges européens accordent d’ailleurs ici 300 000 euros aux requérants au titre des dommages matériels passés (§ 101), les frais médicaux futurs devant donc être entièrement pris en charge par l’État (§ 102), et 78 000 euros s’agissant du dommage moral (§ 107).

Oyal c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 23 mars 2010, Req. n° 4864/05 ) - En anglais

Actualités droits-libertés du 27 mars 2010 par Nicolas Hervieu

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