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Notes sur la poésie : Lorand Gaspar

Par Florence Trocmé

La langue de la poésie ne se laisse enfermer en aucune catégorie, ne peut se résumer par aucune démonstration. Ni instrument, ni ornement, elle scrute une parole qui charrie les âges et l’espace fuyant, fondatrice de pierres et d’histoire, lieu d’accueil de leur poussière. Elle se meut à même l’énergie qui fait les empires et les perd. Elle est cette arrière-cour délabrée, envahie d’herbes, les murs couverts de lichens, où s’attarde un instant la lumière du soir.

On ne peut confiner la poésie dans un code déterminé, fermé. Elle est langage inaugural, langage des langages, puissance de liaison et de disjonction, de construction et de dissolution. Elle est investie du mouvement modeleur, du devenir musical et de la matière du monde.
Mémoire balbutiante de ce qui n’a pas de mémoire.

La poésie est capable de conduire parfois (à l’instar des métaux bons conducteurs) un tressaillement, une détresse, une pauvreté de la parole en communiquant aux mots sa fluidité, son pouvoir corrodant sans mémoire. Ainsi le mot — l’image —, de simple élément chimique qui participe à la constitution d’un corps composé (un sème), se transforme en enzyme pouvant opérer la synthèse ou la lyse, la création inattendue de composés nouveaux, ou mieux, de substances, qui lèvent, en ce qui les brûle, des flammes différentes.

Lorand Gaspar, Approche de la parole, Gallimard, 1978, p. 11, 16 et 71.

contribution de Tristan Hordé


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