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Groupes de supporters du PSG : un dissolution du régime répressif de liberté d’association (CE, 13 juillet Associations les Authentiks et Supras Auteuil 91)

Publié le 14 juillet 2010 par Combatsdh

par Serge SLAMA

Il va falloir le supporter. Non pas l’avocat des “Authentiks” ou son confrère des “Supras” mais l’idée que la liberté d’association n’est plus complètement, comme nous l’enseignons à nos étudiants depuis des décennies, une liberté particulièrement bien protégée, bénéficiant d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République garantissant une régime répressif (V. CE, Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris ; CC n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association; CC n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010 Union des familles en Europe), c’est-à-dire avec une constitution libre des associations sans intervention préalable ni de l’autorité administrative ni de l’autorité judiciaire et, dans le cadre du droit commun de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (article 7) une dissolution judiciaire.

Certes il existe depuis 1936, une législation permettant de dissoudre administrativement, par décret pris en conseil des ministres, les groupes de combats et les milices (Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées), adoptée par le gouvernement du Front populaire pour dissoudre les Ligues, dont l’Action française, qui avaient tenté le 6 février 1934 de prendre l’Assemblée nationale et avaient agressé physiquement Léon Blum. Mais les milices et groupes de combats de l’époque sont d’une autre trempe que les groupes de supporters du PSG, même si certains sont violents et entretiennent des discours racistes et xénophobes. La loi de 1936 sert encore aujourd’hui pour dissoudre des groupes qualifiés de “terroristes” (CE, Sect., 8 Septembre 1995 Comité du Kurdistan et autres, N° 155161 155162 ) ; d’extrême droite comme Unité radicale suite à l’attentat de Maxime Brunerie sur le Président de la République  (Décret du 6 août 2002 portant dissolution d’un groupement de fait Unité radicale et voir la vidéo INA) ou encore la Tribu Ka (Décret du 28 juillet 2006 portant dissolution d’un groupement de fait « Tribu Ka »).

Mais par glissement, un régime similaire de dissolution administrative a été étendu aux associations sportives à l’article L332-18 Code du sport d’abord par la loi Goasguen n°2006-784 du 5 juillet 2006 puis, aggravé, par la loi “Alliot-Marie”  n°2010-201 du 2 mars 2010.

Cette disposition prévoit donc que:

« Peut être dissous ou suspendu d’activité pendant douze mois au plus par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l’article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (…)»

C’est sur ce fondement qu’avait été dissous, suite à la funeste banderole sur les ch’tis et à diverses violences imputables à ses membres, le groupe extrêmiste des Boulogne Boys (décret du 17 avril 2008 prononçant sa dissolution). Le juge des référés du Conseil d’Etat rejeta leur référé-liberté, en admettant l’urgence CE, réf., 2 mai 2008, Association nouvelle des Boulogne Boys, N° 315724). Au fond, sur conclusions contraires du rapporteur public Lenica, déjà, la requête avait aussi été rejetée (CE, 25 juillet 2008, N° 315723, au recueil Lebon).

Le même sort a été réservé pour les associations de supporters à l’autre extrêmité du Parc des Princes par décrets de dissolution du 28 avril 2010.

Le référé avait été rejeté, assez curieusement d’aillleurs, pour défaut d’urgence alors que dans la décision “BOULOGNE BOYS”, il avait été reconnu que compte tenu de l’objet social et eu égard aux conséquences qui sont attachées à sa nature, une décision de dissolution porte nécessairement “une atteinte grave au moins à la liberté d’association qui constitue une liberté fondamentale”. Dans son ordonnance du 7 juin 2010 concernant les “Authentiks” et des “Supras”, le juge des référés rappelle certes que “l’atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d’association par l’exécution d’un décret prononçant la dissolution d’une association est, en principe, constitutive d’une situation d’urgence”. Néanmoins il en va autrement “dans les circonstances particulières de l’espèce et à la date à laquelle est rendue la présente ordonnance, eu égard à l’objet que s’est donné l’association et compte tenu de ce que le Conseil d’Etat statuant au contentieux devrait statuer au fond (…) avant la reprise, au cours de l’été 2010, des compétitions officielles auxquelles le club du Paris Saint Germain est appelé à participer“. Le juge des référés écarte la circonstance, insuffisantes pour caractériser l’urgence que “le club participerait à des matchs amicaux avant la reprise des compétitions comme la circonstance que l’association prévoyait d’organiser, durant cette période, diverses activités et rencontres à l’intention notamment de ses membres et pouvait envisager de préparer les activités qu’elle entendait mener au cours de la saison à venir” (CE, réf., 7 juin 2010, Association “Les Authentiks”, n°339 258 et “Association Supras Auteuil” N° 339294 et V. CPDH 7 juin 2010).

L’instruction ayant été accélérée, dans la perspective de la reprise de la saison en août, c’est dès le 5 juillet 2010 que s’est tenue l’audience publique au fond. Le rapporteur public, Frédéric Lenica, conclua à l’annulation des décrets de dissolution contestés en retenant non seulement une illégalité externe, liée à la procédure, mais aussi une illégalité interne dans la mesure où aucun des faits, ou presque, retenus contre les deux associations de supporters ne leur sont réellement imputables. En résumé, le “dossier est vide”, comme n’ont cessé de le clamer les avocats des deux groupes (”Une demi-victoire pour la tribune Auteuil“, 20 minutes, 06/07/10 ; “Le Conseil d’Etat va-t-il contredire Hortefeux“, le Parisien, 6/07/2010 ; “Vers une annulation des dissolutions des Authentiks et Supras Auteuil ?“, RMC.fr | 05/07/2010; Rolin : « Le plan Leproux peut être remis en cause », RMC.fr, 05/07/2010). C’est d’ailleurs ce que va reconnaître le Conseil d’Etat en acceptant une subtitution de motifs puisqu’aucun des faits retenus dans le décret de dissolution n’étaient réellement imputables aux associations dissoutes ou à leurs membres.

Mais avant cela le Conseil d’Etat a été amené à examiner les moyens de l’égalité externe qui étaient particulièrement nombreux et qui nécessitent, pour les examiner, de se plonger dans la procédure de dissolution.

D’un point de vue procédural, c’est la qualification expresse de la dissolution en mesure de police administrative qui emporte, pour l’essentiel, le rejet des griefs. Pourtant la finalité purement préventive du régime de dissolution des associations sportives est contestable. A bien des égards, on est dans un régime de santion administrative. La finalité de la dissolution de l’article L.332-18 du Code du sport n’est pas le seul maintien de l’ordre public  mais de sanctionner l’association dont les membresont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes (…)”. Certes, la mesure vise aussi à empêcher la réitération de ces actes. Mais la finalité du textes est avant tout de sanctionner les “actes répétés” ou “d’une particulière gravité” déjà commis. Sinon, pourrait-on dire, toute association de supporters pourrait être dissoute car, sauf en curling, on est à peu près sûr qu’elle est suceptible de troubler l’ordre public.

Mais la qualification de mesure de police administrative avait déjà été retenue dans l’arrêt Boulogne Boy du 25 juillet 2008 et le Conseil d’Etat avait alors estimé qu’ “aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, et notamment le principe général des droits de la défense, n’imposait de communiquer préalablement à l’association” et que que, par suite, elle ne saurait utilement invoquer à l’encontre d’une mesure de police administrative les stipulations de l’article 6 de la [CEDH], n’est pas fondée à soutenir que la procédure suivie aurait méconnu (…) les droits de la défense. Il en est de même pour les associations de la tribune Auteuil. Une association de supporters est donc moins bien protégée de la dissolution administrative que la Dme Veuve Trompie-Gravier de la suppression de son autorisation pour tenir un kiosque à journaux.

Sur la procédure devant la Commission nationale consultative de prévention des violences, le Conseil d’Etat estime qu’en conformité avec les article R. 332-11,  R. 332-12 et  R. 332-19 du code du sport, les représentants des associations ont été:

- informés, par lettre remise en main propre des “griefs formulés à l’encontre de l’association” et ce avec “suffisamment de précision” sans qu’il soit nécessaire “d’exposer la circonstance, qui ne constitue pas en soi un grief, selon laquelle l’assocation (…) ferait partie d’une mouvance « Ultra »“;

- invités à présenter devant la commission des observations écrites et, le cas échéant, orales - droit qui a été utilisé devant la commission avant et lors de la séance de la commission ;

En l’absence de texte et d’applicabilité de l’article 6§1 pour une mesure de police administrative, les droits de la défense n’avaient pas à être respectés:

- les représentants de l’association n’avaient pas à être mise à même de répliquer aux observations présentées par écrit, par les représentants du PSG, ou oralement, par des représentants du préfet de police ou du directeur général de la police nationale;

- la commission a pu autionner ces derniers, sans soumettre ces auditions au contradictoire dès lors qu’elles n’ont pas entraîné “la prise en considération de nouveaux griefs”;

- la partialité de l’instruction de l’affaire n’est pas établie.

Sur la composition de la commission, tous les griefs, pris isolément ou cumulés, sont rejetés :

- ses membres ont été régulièrement convoqués à la séance du 27 avril 2010 ;

-  si deux d’entre eux ont donné mandat à deux autres membres pour les représenter et que si le mandat de l’un d’entre eux se présentait sous une forme impérative, il n’interdisait, pour le Conseil d’Etat, “nullement à celui qui l’a reçu de délibérer librement“;

- aucune disposition en vigueur n’impose de formalité particulière pour décider l’audition de personnes extérieures en qualité d’experts ;

- le représentant de l’administration, désigné rapporteur des travaux de la commission, “n’a pas pris part aux débats ou au délibéré”;

-  la commission a émis à l’unanimité un avis favorable à la dissolution des associations requérantes.

Sur la légalité interne, les motifs retenus dans le décrets de dissolution à l’encontre des associations requérantes s’effondrent complètement. Le décret avait retenu comme motifs “des faits commis les 26 avril 2009, 12 septembre 2009, 13 septembre 2009, 9 février 2010 et 28 février 2010″ qui auraient pu être qualifiée “d’actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes au sens de l’article L. 332-18 du code du sport” de nature à justifier la dissolution de l’association s’ils étaient imputables à leurs membres.

Sauf qu’en l’occurence, il n’est pas établi:

- que les agressions de supporters marseillais commises les 26 avril 2009 et 12 septembre 2009 puissent être imputées à plusieurs membres de l’association ;

- que l’usage d’engins pyrotechniques le 13 septembre 2009 dans le stade Louis II de Monaco, au vu des circonstances dans lesquelles ces engins ont été utilisés, constitue en l’espèce des actes de violence sur des personnes ou des dégradations de biens au sens de ces dispositions ;

- que des grilles séparatives installées dans l’enceinte du stade de Vesoul le 9 février 2010 auraient subi des dégradations ;

Pour les Supras, il ne peut non plus être retenu des actes de violence rapidement maîtrisés sur la personne d’un supporter isolé au comportement provocateur qui se sont produits le 5 décembre 2009 dans les tribunes du stade de Bordeaux.

En définitive, les seuls éléments  contre les deux associations sont ceux survenus le 28 février 2010 “consistant en des jets de projectiles sur les forces de l’ordre et en la participation à des faits graves de violence ayant notamment conduit au décès d’un supporter”. Si ces faits sont avérés, et regrettables, en revanche leur imputabilité aux associations est discutable et en tout cas font l’objet d’une procédure judiciaire pour déterminer les responsabilités pénales. Dès lors on ne voit pas comment le Conseil d’Etat peut, au jugé, retenir ces faits à l’encontre des associations requérantes. Il admet aussi, au mépris du droit à un procès équitable, la subtitution des motifs, invoquée par  le ministre de l’Intérieur dans un mémoire en défense du 10 juin 2010, communiqué aux associations.

L’imputabilité et la subtitution admises, le Conseil d’Etat retient sans difficultés que les faits survenus le 28 février 2010  “présentent le caractère d’un acte d’une particulière gravité au sens de l’article L. 332-18, justifiant à lui seul la dissolution de l’association. Par suite, la haute juridiction administrative admet que la dissolution “ne constituait pas une mesure excessive et disproportionnée au regard des risques pour l’ordre public que présentaient les agissements de certains des membres de l’association”.

Dans un communiqué, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, s’est “félicité” de ces décisions qui valident les actions engagées” par son ministère “pour éradiquer le hooliganisme”. “Notre seul objectif est d’éviter de nouveaux drames comme celui du 28 février dernier”, assure encore M. Hortefeux, “d’assurer la tranquillité publique, de chasser des stades les fauteurs de troubles et de rétablir le caractère familial des rencontres de football.”

Reste à savoir si les associations souhaiteront poursuivre devant la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 11 (qui n’a pas été soulevé devant le Conseil d’Etat) et 6§1 de la CEDH. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est peu développée sur la dissolution d’associations, hormis pour les partis politiques (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998,; Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98; Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, 30 juin 2009, req. no 25803/04 et 25817/04, CPDH 4 juillet 2009) ou les groupes religieux (v. Cour EDH 5 octobre 2006 BRANCHE DE MOSCOU DE L’ARMÉE DU SALUT c. RUSSIE, no 72881/01).

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CE, 13 juillet 2010, ASSOCIATION LES AUTHENTIKS (N° 339257) et ASSOCIATION SUPRASAUTEUIL 91 (N° 339293), au Lebon

  • Communiqué de presse du Conseil d’Etat
  • “Supras et Authentiks reçoivent le coup de grâce“, Le Parisien, 14 juillet 2010.
  • “La dissolution de 2 groupes de supporters parisiens validée au Conseil d’Etat “, AFP, 13 juillet 2010.
  • “Uldry : « Un coup porté à la liberté »”, RMC.fr | 13/07/2010.

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