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Médecins français à diplômes algériens : 10 ans pour apprécier directement et favorablement la condition de réciprocité (CE, Ass., 9 juillet 2010, Mme Cheriet-Benseghir)

Publié le 20 juillet 2010 par Combatsdh

Abandon des jurisprudences Rekhou et Chevrol-Benkeddach dans une nouvelle affaire de refus d’équivalence des diplômes d’un médecin franco-algérien à diplômes algériens et reconnaissance de la réciprocité

Dans un arrêt d’Assemblée, le Conseil d’Etat abandonne sa jurisprudence “Chevrol-Benkeddach” (CE, Ass, 9 avril 1999,180277 , AJDA 1999, p. 401, chron. Raynaud et Fombeur ; D. 1999, IR p. 174), suite à la condamnation de la France par la Cour de Strasbourg pour violation du droit à un procès équitable (CEDH, 13 février 2003, Chevrol c/ France, n° 49636-99 : D. 2003, Jur. p. 931, note H. Moutouh  ; AJDA 2003, p. 1984, note T. Rambaud). Désormais, le juge administratif se reconnaît compétent pour vérifier si la condition de réciprocité de l’article 55 de la Constitution est ou non remplie.  A cette fin, il lui revient, dans l’exercice de ses pouvoirs d’instruction, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires étrangères et, le cas échéant, celles de l’Etat en cause, de soumettre ces observations au débat contradictoire, afin d’apprécier si le traité est toujours appliqué de manière réciproque.

L’espèce soumise à l’Assemblée est en tout point comparable à l’affaire Chevrol-Benkeddach. La requérante, Mme Cheriet-Benseghir, est en effet aussi un médecin français à diplômes algériens. Or, en raison de la condition de diplômes français ou européen de l’article L.4111-1 du Code de la santé publique, elle ne peut s’inscrire à l’ordre des médecins pour exercer la médecine en France et ce malgré l’article 5 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération culturelle entre la France et l’Algérie, qui, dans le cadre des accords d’Evian prévoyait la validité de plein droit des diplômes acquis dans l’autre Etat partie si les formations sont identiques.

Plus précisément, pour rejeter sa demande d’inscription au tableau de l’ordre des médecins à ce médecin français titulaire d’un diplôme de docteur en médecine délivré en 1997 par l’Institut national d’enseignement supérieur en sciences médicales d’Oran, le Conseil national de l’ordre des médecins s’est fondé:

- d’une part, sur le motif que ce diplôme n’était pas valable de plein droit en France sur le fondement de l’article 5 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération culturelle entre la France et l’Algérie, faute d’application réciproque de cette déclaration par la partie algérienne, c’est-à-dire le même motif que dans l’affaire Chevrol-Benkeddach;

- d’autre part, sur le motif que les attestations délivrées par le ministre chargé de l’enseignement supérieur relatives à la valeur scientifique du diplôme ne lui conféraient pas la qualité de l’un des diplômes mentionnés à l’article L. 4111-1 du code de la santé publique.

Or, après avoir écarté les moyens de forme, le Conseil d’Etat abandonne, enfin, cette jurisprudence consistant à renvoyer au ministre des Affaires étrangères l’appréciation de l’application réciproque d’un traité et ce 30 ans après l’arrêt Rekhou (CE, Ass., 29 mai 1981, n° 15092, Lebon p. 220 ; RDP 1981, p. 1707, concl. J.-F. Théry ; AJDA 1981, p. 459, chron. Frédéric Tiberghien et Bruno Lasserre ; D. 1981, inf. rap. p. 531, obs. Pierre Delvolvé ; D. 1982, p. 137, note G. Calonec ; Rev. crit. dr. int. pr. 1982, p. 78, note P. Lagarde:  qui concernait déjà l’appréciation de l’application réciproque des accords franco-algérien dans une affaire de cristallisation de pension d’un ancien combattant), dix ans après l’arrêt Chevrol-Benkeddach de 1999 et surtout 7 ans après la condamnation par la Cour européenne dans cette affaire.

Les Questions posées - références documentaires de cette Assemblée du contentieux du  9 juillet 2010 (c’est-à-dire une version sans annexe de la traditionnelle “feuille verte”) montrent clairement que tel était bien l’enjeu de cette audience (on appréciera juste le “y a-t-il lieu de reconsidérer” très hypocrite dans la mesure où le CE n’avait d’autre choix que de s’aligner sur les exigences de la Cour de Strasbourg):

“Après que le Conseil d’Etat a décidé que le juge administratif pouvait interpréter les traités (Assemblée, 29 juin 1990, GISTI), la décision d’assemblée  a néanmoins confirmé la jurisprudence antérieure (29 mai 1981, n° 15092) selon laquelle le juge administratif renvoie à titre préjudiciel la question de savoir si la condition de réciprocité est remplie.

Y a-t-il lieu de reconsidérer cette jurisprudence, que la Cour européenne des droits de l’homme a condamnée par un arrêt du 13 février 2003, pour décider qu’il appartient désormais au juge administratif, d’apprécier si et dans quelle mesure est satisfaite, au stade de l’application d’un traité ou d’un accord international, la condition de réciprocité exigée par l’article 55 de la Constitution pour conférer à ce traité ou accord une autorité supérieure à celle des lois ?”

Rappelons qu’en maintenant sa jurisprudence Rekhou le Conseil d’Etat avait en 1999 démenti le pronostic fait par la plupart des commentateurs à la suite de l’arrêt GISTI de 1990 (CE Ass. 29 juin 1990, Lebon p. 170 ; aux Grands Arrêts de la jurisprudence administrative;  concl. Ronny Abraham, Lebon p. 171, AJDA 1990, p. 621 ; AJDA 1990, p. 631, note Gérard Teboul et Rev. gén. dr. int. publ. 1990, p. 879 ; RFDA p. 923, note Jean-François ; RDP 1990, p. 1579, note François Sabiani ; JDI 1990, p. 965, note François Julien-Laferrière ; D. 1990, p. 560, note Sabourin ; Rev. crit. dr. int. pr. 1991, p. 79, note Paul Lagarde ; Rev. gén. dr. int. publ. 1991, p. 753, note Rousseau) . Les auteurs estimaient en effet que l’abandon de l’obligation de renvoi préjudiciel au ministre des Affaires étrangères pour l’interprétation d’une clause d’un traité ou d’un accord international sonnait le glas de ce même renvoi à l’occasion de l’appréciation de la condition de réciprocité.
Dans l’affaire Chevrol-Benkeddach, l’Assemblée du contentieux n’avait pas suivi la proposition que lui faisait, à titre principal, son commissaire du gouvernement, Rémy Schwartz. Ce dernier l’invitait alors à estimer que, faute d’une note du ministre des Affaires étrangères publiée au Journal officiel suspendant l’application de la stipulation en cause ou de l’ensemble de l’accord, la condition de réciprocité devait être regardée comme remplie. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que le commissaire du gouvernement proposait à l’Assemblée du contentieux de confirmer la jurisprudence Rekhou. Pourtant il s’agissait là d’une solution analogue à celle retenue par la Cour de cassation, depuis 1984, dans l’affaire Kryla (Cass. 1re civ., 6 mars 1984, JDI 1984.859, note D. Chabanol; RGDI publ. 1985.538, note D. Rousseau ; AFDI 1985.925, note J.-F. Lachaume). L’Assemblée avait donc pris en compte le fait que dans ses observations le ministre des Affaires étrangères a fait savoir que « les stipulations (en cause)… ne pouvaient être regardées comme ayant été en vigueur à la date de la décision attaquée, dès lors que, à cette date, la condition de réciprocité posée par l’article 55 de la Constitution n’était pas remplie » (CE, Ass., 9 avr. 1999, Mme Chevrol-Benkeddach, req. n° 180277, AJDA 1999.459).

Pire, après la condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 13 février 2003, Chevrol c/ France), le Conseil estima dans une décision très courte, sous forme de pied de nez, “qu’il ne résulte d’aucune stipulation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et notamment de son article 46, non plus que d’aucune disposition de droit interne, que la décision du 13 février 2003 par laquelle la cour européenne des droits de l’homme a condamné la France puisse avoir pour effet de réouvrir la procédure juridictionnelle qui a été close par la décision du Conseil d’Etat du 9 avril 1999 et à l’issue de laquelle Mme Chevrol a saisi la cour européenne des droits de l’homme”. A son sens, une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme n’a donc pas conséquence de rouvrir une procédure juridictionnelle devant le Conseil d’Etat (CE, 11 février 2004, Chevrol, n° 257682 : D. 2004 p. 1414).

C’est donc dans cette affaire Cheriet-Benseghir que l’Assemblée daigne enfin apprécier directement l’application de la réciprocité de ces stipulations des accords franco-algérien. Et, ô surprise, il estime, contrairement au ministère des Affaires étrangères, qu’elles sont appliquées de façon réciproque par l’Algérie. Il rejette néanmoins la requête en admettant une substitution des motifs.

Pour examiner la réciprocité, il se fonde sur le 14e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (règles “pacta sunt servanda, qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi”) et l’article 55 de la Constitution (condition de réciprocité et de supériorité des traités) piyr déduire qu’ “il appartient au juge administratif, lorsqu’est soulevé devant lui un moyen tiré de ce qu’une décision administrative a à tort, sur le fondement de la réserve énoncée à l’article 55, soit écarté l’application de stipulations d’un traité international, soit fait application de ces stipulations, de vérifier si la condition de réciprocité est ou non remplie ; qu’à cette fin, il lui revient, dans l’exercice des pouvoirs d’instruction qui sont les siens, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires étrangères et, le cas échéant, celles de l’Etat en cause, de soumettre ces observations au débat contradictoire, afin d’apprécier si des éléments de droit et de fait suffisamment probants au vu de l’ensemble des résultats de l’instruction sont de nature à établir que la condition tenant à l’application du traité par l’autre partie est, ou non, remplie”.

Il censure le premier motif retenu par l’administration et le Conseil national de l’ordre des médecins. Ces derniers avaient considéré qu’à compter de la fin des années 1960 les conditions de programme, de scolarité et d’examen conduisant à la délivrance du diplôme de docteur en médecine auraient cessé d’être identiques dans les deux pays.

Or, certes, l’article 5 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962, qui est d’applicabilité directe, ouvre le droit, dans le cas où un diplôme de médecine algérien a été délivré dans les mêmes conditions de programme, de scolarité et d’examen que les diplômes de médecine français, à l’inscription au tableau de l’ordre des médecins en France dans les conditions prévues par l’article L. 4111-1 du code de la santé publique. Néanmoins d’une part ces stipulations ne créent aucune obligation, pour les 2 pays d’organiser des cursus identiques en termes de programme, de scolarité et d’examen. D’autre part, il ne ressort ni “des pièces du dossier”, ni “de l’audience d’instruction tenue par la quatrième sous-section” que des grades et diplômes d’enseignement de médecine délivrés en France dans les mêmes conditions de programme, de scolarité et d’examen qu’en Algérie n’y auraient pas été regardés comme valables de plein droit. Dès lors, le Conseil d’Etat juge que le Conseil national a commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation (contrôle normal) en refusant à la requérante de se prévaloirdes stipulations de l’article 5 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 - qui étaient bien toujours applicables. L’Ordre aurait donc dû examiner si le diplôme de la requérante lui avait été délivré dans les mêmes conditions de programme, de scolarité et d’examen que celles existant en France.

Toutefois, après admission de la substitution des motifs, l’Assemblée estime que le Conseil national de l’ordre des médecins dans ses écritures justifie sa décision en estimant que les conditions de fond énoncées au premier alinéa de l’article 5 de la déclaration du 19 mars 1962 n’étaient pas réunies pour la requérante pour se voir reconnaître la validité de plein droit de son diplôme. Or, selon le Conseil d’Etat, les conditions de programme, de scolarité et d’examen dans lesquelles elle a obtenu son diplôme de docteur en médecine délivré en 1997 n’étaient pas identiques à celles qui étaient requises, à la date de la décision attaquée, pour l’obtention du même diplôme en France”.

Cette décision permet donc à tous diplômés algériens de se prévaloir de l’article 5 de la déclaration gouvernementale  de 1962 pour revendiquer de plein droit une équivalence des diplômes mais ensuite la difficulté est de prouver que les “conditions de programme, de scolarité et d’examen” sont “identiques” pour l’obtention du même diplôme en France.

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CE, Ass., 9 juillet 2010,  Mme Cheriet-Benseghir, n° 317747, au Lebon

> Questions posées - références documentaires


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