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Chemins vers la terre, de Gérard Bayo (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

La poésie de Gérard Bayo est économe et tendue, non pas minimale mais serrée, dense.  Elle travaille un rapport douloureux à l’histoire, personnelle et collective, et un rapport plus apaisé au paysage, à la nature. D’où l’ambivalence du titre de ce livre qui peut signifier aussi bien aller vers la mort que se tourner vers la nature. 
Le poème a souvent un caractère énigmatique, mais cela ne vient pas d’une volonté d’obscurcissement en vue de dérouter le lecteur, il s’agit plutôt de ne pas trop en dire, par pudeur. « TE RESTE le mur / sans reflet, derrière la vitre les murs / d’en face. Et toi. // Te reste ce que tu sais / additionnes / et ne peux dire. / Ne te reste / ni rien, ni dehors. Mais la mémoire, le rêve / et la douleur. // Le mur / encore. /Sans reflet. Sont trois rue Puvis / de Chavannes, mémoire, désir, / et douleur, // habitent la pénombre. Sont / un seul déjà. » (p.27) 
Dans leur resserrement, certains poèmes peuvent sembler parfois presque reverdyens ; ainsi pour cette Levée d’écrou : « La terre a brûlé tout aujourd’hui, / la lune pleine / quelque part à travers ciel / loin du mélèze a disparu.  // Et la réalité fut créée. // La langue / s’est mise à parler. C’est fini. Et l’aube / au fond des rues s’en vient. // C’est fini. Personne / ne sait, / n’a / entendu. » (p.34) 
Mais le plus marquant peut-être dans cette écriture me semble être le travail du vers. L’ellipse est souvent employée et elle cumule ses effets de rupture avec l’utilisation d’un double système de pauses : à la fois la coupe et les blancs du vers libre, et la ponctuation, qui est maintenue. Du coup la syntaxe devient très particulière avec des séparations à l’intérieur de groupes d’ordinaire très soudés : déterminant/nom (« L’éclipse éclaire les deux tables les plus proches : la //  troisième est la mienne. »), sujet/verbe (« Et nous / ajoutons / à celui d’hier un mot. »). On pourrait donner d’autres exemples : préposition/groupe circonstanciel, verbe/attribut, présentatif/complément… Cela donne une tension de phrase intéressante, d’autant que les groupes eux aussi sont redistribués : « A sa / liberté tu consentais. »(p.31), « Ne parlent / jamais deux fois les ombres. »(p.14), « Amasse, toi, de silence amasse / un / seul mur. »(p55) 
Un tel livre confirme, s’il en était besoin, que la poésie est au moins autant affaire d’émotion que travail d’écriture. 
A. Emaz 
Gérard Bayo  
Chemins vers la terre 
Le Taillis Pré éditeur – 86 pages  -  12 euros 


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