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Sur deux livres de Jacques Ancet (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Ancet  Deux livres très différents. Les morceaux de l’image sont une suite de poèmes accompagnant des lavis colorés de Colette Deblé, qui poursuit son travail sur la « citation picturale » et la représentation de la femme dans l’histoire de l’art. C’est l’aspect morcelé, incomplet, de l’image qui retient Ancet. En effet, les lavis de Colette Deblé renvoient visiblement à des œuvres d’art antérieures sans être aucunement des copies. La référence tremble en quelque sorte, et demeure énigmatique. « L’espace vibre. Son ombre tremble. » (p.20) On voit bien ici en quoi l’œuvre de Colette Deblé rejoint la poétique d’Ancet qui se situe le plus souvent entre apparition et disparition, dans un vivre qui n’est saisi que dans le mouvement du passage et une tension entre l’évidence et le doute.  
Dans cette suite de poèmes, Ancet construit l’ensemble par un jeu subtil de reprises et de variations, une sorte de modulation ou de kaléidoscope. Pour donner l’exemple d’une série : « Servante, sainte en prière, vierge à l’enfant, / on perd un à un les morceaux de l’image. » (p.10) ; « Servante, vierge à l’enfant, geisha, / sainte en prière, enfant, femme endormie. » (p.14) ; « Souveraine, servante, sainte en prière, / chanteuse, pour quelle inaudible audition ? » (p.16) ; « Reine, geisha, sainte en prière, / maharané dans le théâtre de buée. » (p.22) ; « Servante, soubrette, danseuse, prostituée. / Quelle place pour elle dans le théâtre de buée ? » (p.24) ; « Reine en gloire, vierge en prière, / déesse musicienne. » (p.30) Il y a ainsi six ou sept séries qui s’entrecroisent, se font écho, de la même façon qu’ « On se déplace. L’angle varie. L’image aussi. » (p.24) 
Meschonnic  Puisqu’il est ce silence est un livre très différent, celui du deuil d’un ami. Ancet le sous-titre  « prose pour Henri Meschonnic » et donne en dernière page la période d’écriture : « 9 avril – 26 mai 2009 ». Dès la première séquence (le livre en comporte six, séparées par des pages blanches), c’est tout le poids de l’absence qui est soulevé par l’anaphore « On se dit qu’il… » . Il et non plus tu ; il, la personne de celui qui n’est pas là. Et plus Ancet évoque la beauté d’une journée de printemps, plus il creuse cette absence. « On se dit qu’on ne sait plus quoi se dire, qu’il y a trop de lumière pour tant de noir. » (p.9) 
Aucun pathétique dans cette évocation de l’ami, mais des souvenirs précis, et une tension juste entre l’évidence de la disparition et l’évidence d’une présence : « Dans l’impossible retour, dans l’impossible demain, juste là, sur le fil du présent, il sourit, il vacille, il sourit. » (p.23) Au fil des pages de ce qui n’est pas un récit, Ancet ne raconte pas, chaque page est un moment en soi, mais du temps passe et si l’ami demeure, c’est sous forme de figure. Il est passé en mémoire, ce qui revient à faire son deuil. « On le sent glisser, reculer, se retirer. On parle pour le retenir. Le garder un peu, là, dans ces mots qu’on a, sans trop savoir. Ils sont pleins du soir, avec son épaisseur d’herbe, ses merles, son ciel qui tombe de partout et fait des taches de couleur. Pleins d’autre chose aussi qu’on ne peut pas bien dire. De cette mélancolie un peu, par exemple, qu’il aurait refusée, parce qu’elle n’était pas la sienne, mais qu’on a dans les yeux quand on regarde le temps arrêté sur son nom. » (p.44) 
Beau livre de présence-absence, qui ne prend jamais l’allure d’un hommage au savant Meschonnic : Ancet évoque le poète et l’ami dont le rire demeure. 
par Antoine Emaz 
 
Jacques Ancet 
Les morceaux de l’image, avec des lavis de Colette Deblé 
Revue Ficelle, n°95, Mars-Avril 2010, 38 pages, 7 € 
Puisqu’il est ce silence
Ed. Lettres Vives Col. Terre de poésie, 64 pages, 12 € 
On peut lire aussi, dans Poezibao, sur ces deux mêmes livres, une note de lecture de Yann Miralles.  


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