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Le Conseil d’Etat dit amen à l’accord avec le Vatican sans lui donner l’eucharistie (CE, Ass., 9 juillet 2010, FEDERATION NATIONALE DE LA LIBRE PENSEE et a.)

Publié le 13 août 2010 par Combatsdh

Le Conseil d’Etat valide, en neutralisant toute automaticité, l’accord sur la reconnaissance des diplômes délivrés par le  Saint-Siège

par Serge SLAMA

  vatican.1281634872.jpgL’assemblée du contentieux rejette les recours contre le décret du 16 avril 2009 publiant l’accord entre la France et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur dit aussi accord “Vatican-Kouchner”, en statuant essentiellement sur sa compétence et les moyens de forme et de procédure soulevés à son encontre et non sur la question de l’atteinte au principe constitutionnel de laïcité ou aux engagements internationaux de la France. Il interprète néanmoins l’accord en question comme n’instituant pas un régime de reconnaissance automatique des diplômes « ecclésiastiques » et ne portant pas atteinte aux textes législatifs garantissant la laïcité.

Le Conseil d’Etat était saisi de la légalité de ce décret par un nombre impressionnant de requérants, non seulement de particuliers, mais aussi des parlementaires, des associations de défense des droits de l’homme et de la laïcité, des loges maçonniques ainsi que des syndicats de l’Education nationale. Ce texte devait permettre aux diplômes des universités reconnus par le Saint-Siège de bénéficier d’une équivalence dans le système universitaire français, essentiellement les diplômes en théologie  (v. les explications « Feu vert du Conseil d’État à l’accord France-Saint-Siège sur les diplômes de l’enseignement supérieur », La Croix, 11 juillet 2010 et “Kouchner signe avec le Saint-Siège et s’assoit sur la laïcité vatican kouchner accord reconnaissance diplomes universites catholiques laicite” , Les mots ont un sens, 31 décembre 2008).

Au titre de la recevabilité, on observera que la première des « questions posées » à l’Assemblée portait sur l’intérêt à agir d’un requérant invoquant sa qualité de parlementaire « contre un décret portant publication d’un accord international qui n’a pas été soumis à une autorisation parlementaire » et plus généralement la question sur sa recevabilité « à contester un acte administratif dont il soutient qu’il prive le Parlement du droit d’exercer sa compétence ». On sait qu’une parlementaire n’est pas recevable à agir en cette seule qualité (CE, Ass., 20 novembre 1981, Schwartz et a., n° 24923 et 24981, Rec CE p. 437 ; CE, 27 février 1987, Noir, n° 64347, Rec. CE, p. 84). Mais il est généralement reconnu, expressément ou implicitement, l’intérêt à agir d’un parlementaire contre un acte administratif limitant une prérogative ou compétence du Parlement (CE, Ass., 24 novembre 1978, Schwartz et a., n°s 04546 et 04565, Rec. CE, p. 67, concl. R. Latournerie). Le Conseil a aussi eu l’occasion d’admettre la qualité d’actionnaire d’une société concessionnaire d’autoroute pour un parlementaire (CE, 27 septembre 2006, M. Bayrou, n° 290716) ou encore la qualité d’usager du service public de la télévision (CE, 11 février 2010, Mme Borvo et autres, nos 324233, Actualités droits-libertés du 12 février 2010). En jugeant non nécessaire « de statuer sur la recevabilité des requêtes », l’Assemblée admet implicitement la qualité donnant intérêt à agir des requérants parlementaires contre le décret. La jurisprudence sur la recevabilité du parlementaire « ne peut être aujourd’hui ce qu’on a trop cru qu’elle était », comme le notait le président Labetoulle (« Le recours pour excès de pouvoir du parlementaire », Revue juridique de l’économie publique, mai 2010, p. 51).

Sur le terrain de la compétence, l’Assemblée devait déterminer si le Conseil d’État, lorsqu’il est saisi du décret portant publication d’un accord international de l’article 53, peut en vérifier la constitutionnalité et la conformité à un autre engagement international. Or, il résulte d’une jurisprudence bien établie en cette matière, que :

-  le Conseil d’Etat est compétent, en vertu d’une application combinée des articles 53 et 55 de la Constitution, pour examiner d’une part les « vices propres » au décret d’approbation, indépendamment du contenu de l’engagement international, et d’autre part vérifier si l’engagement publié aurait dû faire l’objet, en application de l’article 53 de la Constitution, d’une ratification ou approbation autorisée par la loi (v. CE, Ass., 18 décembre 1998, S.A.R.L. du parc d’activités de Blotzheim et S.C.I. Haselaecker, n° 181249, Rec. CE p. 483 ; CE, 23 février 2000, Bamba Dieng et a., n°157922, Rec. CE p. 72. Voir aussi pour un contrôle du décret par voie d’exception : CE, Ass., 5 mars 2003, Aggoun, n° 242860, Rec. CE  p. 77). Il précise aussi, à cette occasion, que constitue un traité ou un accord « modifiant des dispositions de nature législative » au sens de l’article 53, un engagement international « dont les stipulations touchent à des matières réservées à la loi par la Constitution » ou « énoncent des règles qui diffèrent de celles posées par des dispositions de forme législative ».

- en revanche, il ne se reconnaît compétent pour se prononcer ni sur la conformité d’un traité ou d’un accord à la Constitution, ni sur celle d’un traité ou d’un accord à d’autres engagements internationaux (CE, 8 juillet 2002, Commune de Porta, n° 239366, Rec. CE p. 260) - aucune disposition de celle-ci ne l’habilitant à exercer un tel contrôle, précise le communiqué de presse du Conseil d’Etat. Pourtant, dans l’arrêt Koné, il s’était reconnu compétent pour interpréter les stipulations d’un accord bilatéral « conformément » à un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, Ass., 3 juillet 1996, Koné, n° 169219, p. 255). En l’espèce, le Conseil d’État refuse donc d’examiner la conformité de l’accord conclu entre la France et le Saint-Siège au principe constitutionnel de laïcité (
sur ce principe v. CE, 16 mars 2005, Min. de l’outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française, n° 265560, Rec CE p. 168). Il n’examine pas non plus sa conformité à la convention de Lisbonne du 11 avril 1997 sur la reconnaissance des qualifications alors même que le décret attaqué mentionné dans ses visas un décret du 18 septembre 2000 portant publication de cette convention - l’exception d’illégalité de ce décret constituant un moyen inopérant.  On observera aussi que faute de s’être placé sur le terrain de la constitutionnalité de l’accord, l’Assemblée ne tranche pas, à cette occasion, l’une des questions qui lui était posée, à savoir si le monopole de la collation des grades est  au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
(v. sur ce monopole : CE, Ass., 25 juin 1969, Syndicat autonome du personnel enseignant des facultés de droit et des sciences économiques de l’État, n° 77905, Rec. CE p. 335).

Il se contente donc d’examiner les seules critiques de forme, de procédure et de compétence soulevées à l’encontre du décret de publication. Sur ce terrain, après avoir rejeté deux moyens formels secondaires, l’Assemblée se penche sur la question de savoir si la ratification de l’accord aurait dû être autorisée par une loi, compte tenu du fait que l’article 34 de la Constitution prévoit qu’elle « détermine les principes fondamentaux (…) de l’enseignement ». Or, après avoir examiné le contenu de l’accord, il écarte ce grief en relevant :

-  d’abord, l’absence de méconnaissance de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, qui confère à l’État le monopole de la collation des grades et des titres universitaires car, selon l’interprétation du Conseil d’Etat, cet accord n’a ni pour objet ni pour effet d’instituer un régime de reconnaissance automatique des diplômes. Ainsi, la reconnaissance d’un diplôme délivré sous l’autorité du Saint-Siège, et notamment d’un «diplôme ecclésiastique », reste « de la compétence des autorités de l’établissement dans lequel le titulaire de ce diplôme souhaite s’inscrire ». Les établissements d’enseignement supérieur doivent, pour reconnaître le diplôme d’un candidat, décider d’une part, « de l’équivalence de niveau édictée par le protocole » à l’accord, et, d’autre part, « de l’aptitude du candidat à suivre des enseignements » au regard du contenu des études suivies. Il précise aussi que les stipulations de cet accord n’autorisent pas des établissements d’enseignement supérieur privé « à délivrer des diplômes nationaux » et ne permettent pas aux bénéficiaires de titres délivrés par ces établissements ayant reçu une habilitation par le Saint-Siège « de se prévaloir, de ce seul fait, des droits attachés à la possession d’un diplôme national ou d’un grade universitaire » ;

- ensuite, l’absence de violation de l’article L. 731-14 du code de l’éducation sur l’utilisation du titre « d’université » car, selon l’interprétation du Conseil d’Etat, le fait que l’accord mentionne les termes d’ « université catholique » n’a pas « pour effet d’instituer, au bénéfice d’établissements d’enseignement supérieur privés implantés sur le territoire national, une dérogation » à ces dispositions législatives ;

- enfin, l’absence d’atteinte au principe de la séparation des Eglises et de l’État de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905
(v. par ex. CE, 5 août 1908, Morel et autres, n° 28275, Rec. CE, p. 865) et à celui de laïcité figurant à l’article L. 141-6 du code de l’éducation. Selon l’interprétation du Conseil d’État, l’accord ne contient « aucune stipulation qui permettrait qu’un culte soit salarié ou subventionné » et les stipulations reconnaissant l’équivalence de niveaux de « diplômes ecclésiastiques » ne confèrent pas à elles seules « de droit particulier à poursuivre des études » en France et ne font prévaloir ainsi « aucun critère religieux ni aucune considération de la pratique éventuelle d’un culte pour l’accès à l’enseignement supérieur public ».

Le Conseil d’Etat valide donc la légalité du décret d’approbation de l’accord entre la République française et le St Siège après avoir, il est vrai, très largement neutralisé toute portée obligatoire. Les partisans de la laïcité de combat regretteront, par principe, cette validation (v. la pétition). Les partisans de la laïcité dite « positive » (sic) dénonceront un texte « vidé de sa substance ».

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CE, Ass., 9 juillet 2010, FEDERATION NATIONALE DE LA LIBRE PENSEE et a. (n° 327663) au Lebon

> Questions posées - références documentaires

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Actualités droits-libertés du 9 août 2010  par Serge SLAMA

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