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Le dernier mot - Laurent Cohen - Sols (Actes Sud - 2010) par Antonio Werli

Publié le 18 octobre 2010 par Fric Frac Club
Surprenant Sols de Laurent Cohen. Un historien spécialiste de la période de l'Occupation et fasciné par le pétainisme découvre un manuscrit de l'époque, qui évoque de plus de manière très érudite mysticisme et kabbale, domaines qu'il ne maîtrise absolument pas. Il cherche alors un second spécialiste pour décrypter ces références. Leurs récits croisés & alternés racontent leur rencontre et leur approche du manuscrit. Celui-ci sera donné en seconde partie du livre, accompagné des annotations techniques de chacun des spécialistes - sauce Bible glosée qui n'est pas sans entrer en résonance avec la bibliographie exégétique de l'auteur. Leurs commentaires permettront de mettre à jour un texte étrange et unique, non seulement témoignage de l'intérieur d'une période assez secrète de l'histoire récente, mais aussi réflexion mystique sur la condition humaine. L'épilogue, court, permet un virage qui vient rompre la savante construction, mais laisse l'angle ouvert pour le lecteur, quoique sur ce point, le final manque sacrément du jus de la première partie, mais nous n'en voudrons pas tant que cela à un premier roman qui se montre d'une très grande maturité.. Le dernier mot - Laurent Cohen - Sols (Actes Sud - 2010) par Antonio Werli Cohen touche sa bille : le style et la narration sont parfaitement maîtrisés et les deux récits des personnages justement équilibrés en drôlerie, pathétique et érudition pour contenter son lecteur. L'historien - amusant malgré lui - est un pauvre homme névrosé, mais très intelligent. Le théologien quant à lui, parfait athée cependant, fait preuve d'un désenchantement et d'un cynisme à mourir de rire - le livre s'ouvre sur le récit d'une crise d'épilepsie qui vaut son pesant d'or. Il y a réellement une manière de fixer un certain air du temps dans le double-récit de ces personnages (ah ! au point que Thomz m'a fait remarqué qu'il y a un quelque chose de très houellebecquien dans la narration de l'angéologue, dans la tonalité ; que je lui réponds illico que ça me semble quand même bien mieux écrit, pour le peu et suffisant que j'en ai lu, et j'aurais dû ajouter que le désenchantement et l'hypocrisie ne sont pas chasse gardé de l'écrivain que le monde entier nous envie, arf. Mais la discussion a coupé court, vu que le dernier bus du ramassage scolaire déboulait et que j'avais encore des devoirs à faire - et de toute façon, il n'y avait plus une goutte à boire...). Et par le biais des deux figures principales du livre, on trouve de nombreux autres portraits tout à fait cocasses et vrais. Vraiment, cette première moitié : au poil. La seconde est plus ample et sur plusieurs niveaux (les fameux sols spirituels que l'on trouve dans l'exergue du roman et qui éclaire dès avant le projet de Cohen), on y perd un peu d'émotion, mais c'est pour gagner au registre de l'enquête (historique, littéraire, ésotérique), dont on pourrait conclure que c'est un mode de lecture pas loin d'être idéal. Pas loin du Dictionnaire Khazar de Milorad Pavic (j'y pense à cause de la forme et des aspects mystiques) ou, certainement plus à propos, de Umberto Eco, le jeu entre réalité et fiction, entre histoires et Histoire ne cessera plus jusqu'au bout, et la grande vertu de Cohen à ce moment-là est de mener le lecteur à la baguette de spécialiste et de taquin... et vous va vous envoyer toute affaire cessante vous procurer l'intégrale de Gershom Scholem. Après cela, il va vous rester une poignée de pages pour cette fin qui ne me semble pas apporter ni grande élucidation ni non plus vraiment de bonne question, mais peut-être trop simplement boucler dans une certaine facilité et avec quelques difficultés la figure, ambitieuse au départ, du roman. Laurent Cohen aurait certainement de quoi défendre ces dernières pages, et je serais prêt à les relire pour en discuter, mais je m'arrête aujourd'hui sur l'impression générale qu'elles m'ont causée et je sens qu'elles n'offrent rien de vraiment positif à ce qui a précédé et qui, je le répète, vaut largement le tour de manège. En fait, cette fin le dit mais tout est déjà dans tout, tout au long du livre : Cohen reprend ce que Borges a magnifiquement théorisé et démontré (de Tlön à Pierre Ménard) - tiré il est vrai d'ancestrales traditions qui ne sont pas toujours romanesques ou artistiques mais spirituelles et religieuses - et que Nabokov a mis en pratique en écrivant le livre auquel Borges aura pourrait-on dire toujours pensé mais jamais su écrire : Feu pâle. Rappelons les derniers mots de la préface à Feu Pâle, évident crédo de Sols :
« Pour le meilleur et pour le pire, c'est le commentateur qui a le dernier mot. »
Et toc.

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