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8 janvier 1324/Mort de Marco Polo

Publié le 08 janvier 2008 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 8 janvier 1324 meurt à Venise Marco Polo, grand voyageur et riche négociant vénitien. Des quatre années passées à sillonner l’Asie Centrale ou des quinze autres passées en Chine au service du grand khan, Marco Polo a rapporté des récits fabuleux qu’il a dictés et confiés à Rusticello, son compagnon de geôle.

  Le Livre des merveilles alimentera des siècles durant les rêves des marchands et navigateurs. Ci-après un point de vue du sinologue et linguiste Étiemble, extrait du premier tome de L’Europe chinoise, chapitre Marco Polo (III).


IL NE PENSE POINT, MARCO POLO, MAIS IL DONNE À PENSER

  Lors même qu’il parle de la Chine proprement dite, c'est-à-dire des provinces de Cathay (Chine du Nord) et de Mangi (Chine du Sud), et qu’à ce sujet il dépeint les Chinois dans les termes ou peu s’en faut que reprendront les jésuites et les philosophes du XVIIIe, il se garde bien d’en tirer les mêmes conclusions qu’eux. Bien que ces Chinois haïssent le gouvernement du Grand Khan qui leur impose des administrateurs mongols ou musulmans (car ce Koubilaï « n’a pas de droit le gouvernement de la province du Catai, il l’a plutôt acquis par force »), Marco Polo juge équitablement ces ennemis de son ami : ils sont, « plus que tous les autres, ornés de belles et bonnes manières, car ils sont toujours appliqués à l’étude et aux exercices savants », « parlent gracieusement et en bel ordre, saluent aimablement avec un visage avenant et souriant, se conduisent à table avec dignité et propreté; et de même en toute autre chose. Ils ont fort grand respect pour leur père et leur mère (chap. CV). Quant aux Chinois du Sud, ceux qu’il appelle les gens de Mangi, « s’ils étaient hommes d’armes […] ils conquerraient tout l’autre monde sans nulle peine ».
  « Mais je vous dis qu’ils sont sages marchands et subtils hommes de tous les arts, et aussi très grands philosophes et grands mires [médecins] naturels, qui savent fort bien la nature, reconnaissent maladies et donnent remèdes qu’on leur doit » (chap. CLII). A Hang Tchéou, que Polo nomme Quinsai, « les hommes comme les femmes sont beaux et gracieux, et la plupart se vêtent toujours de soie, en raison de sa grande abondance ». Que de merveilles au Cathay ! Depuis le pont décrit au chapitre CVI et tel qu’en « le monde entier de si beau n’a son pareil », jusqu’aux « beaux arbres », aux « belles vignes », « aux beaux jardins », et aux « champs cultivés très prospères », ce ne sont au Cathay que « maintes belles cités et beaux villages », que « grand commerce et activité », avec gens « à leur aise » et « très affables en raison du grand nombre de bourgs proches les uns des autres ». Partout du vin, en abondance ; de la soie partout, en non moindre abondance ; de très beaux cuirs ; ça et là, des palais « si grands et si beaux que nul ne saurait mieux décrire ».
  Vers le Mangi, « ils ont froment, riz et autres grains en abondance et à très bon marché ». Or, en chacune des villes que mentionne le voyageur, il lui faut consigner la même réflexion : ces gens sont tous idolâtres. Il constate ; il note ; il ne s’aventure pas au-delà. Comment se fait-il, par exemple, que tous ces idolâtres « soient adonnés au repos », polis, sages enfin ? Et chastes ! « Vous devriez aussi savoir que les filles de la province du Catai plus que toutes les autres sont pures et observent la vertu de modestie. Elles ne ballent ni ne dansent, ne sont point collées à la fenêtre pour dévisager les passants ou pour leur montrer leur propre visage, ne prêtent point l’oreille à des discours inconvenants et ne fréquentent point les fêtes et réunions joyeuses. Et s’il advient qu’elles aillent à quelque endroit décent, comme, peut-être, les temples des idoles, ou en visite chez leurs parents et alliés, elles y vont avec leur mère, sans regarder impudemment le monde : mais portent sur la tête certains jolis bonnets de leur costume, qui empêchent de regarder en l’air, de sorte qu’en marchant, elles dirigent toujours leurs yeux vers le chemin devant leurs pieds. Par devant leurs anciens, elles sont réservées ; jamais ne disent paroles insensées, ni d’ailleurs aucune en leur présence, fors quand on les a interrogées. En leur chambre, elles se tiennent à leur ouvrage, et rarement se montrent aux pères, aux frères et aux anciens de la maison. Elles ne prêtent aucune attention aux soupirants. […] »
   [Marco Polo] ne pense point à se demander comme il se peut faire que les jeunes filles chinoises, idolâtres qu’elles sont toutes, au Cathay comme au Mangi, puissent atteindre ce point sublime de discrétion, de délicatesse, et de chasteté. Le tableau qu’il présente des mœurs chinoises n’est pas moins idéal, et idéalisé, que celui dont nous gratifieront, bien plus tard, les jésuites les plus férus de la Chine. Mais il n’en conclut point qu’on peut par conséquent être païen et vertueux, ou saint. Il tourne court.
  Il ne pense point, Marco Polo, ou si peu ; mais il donne à penser. Que de marchands et de navigateurs, deux siècles durant, rêveront sur le Livre des merveilles !

Étiemble, À la recherche de Cathay, Marco Polo (III), in L’Europe chinoise (I), Éditions Gallimard, Bibliothèque des Idées, 1988, pp. 143-144-145.


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