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Une fleur noire à la boutonnière de Jacques Morin

Par Florence Trocmé

Couverture_du_livre_de_jacques_mori Enfin une anthologie (depuis 1968, date évocatrice et signifiante, jusqu’à nos jours) des poèmes de Jacques Morin, père de la revue Décharge et des fameux petits Polders. Ces textes reprennent sa poésie urbaine des débuts aussi bien que ses récents Poèmes sportifs en Puisaye-Forterre, qui semblent plus apaisés.
En découvrant le titre, on croit d’abord à quelque signe extérieur d’un penchant anarchiste ou d’un ténébreux romantisme. Il ne s’agit pas de cela. Noir, pour moi, c’est une certaine façon de penser qui échappe à la norme sociale, voire à son propre corps , écrit Jacques Morin. Noir, c’est penser à part.
Il offre en pâture au lecteur un corps et un cœur blessés et mutilés : Il me manque toujours/ un bras un pied/ un œil pour être complet.
Apprécions, au passage, l’humour, fût-il noir, pour un poète contemporain, de cette absence de pied. Et nous obtenons un petit chef-d’œuvre d’autodérision que Jacques Morin n’hésite pas à nommer Petite prose du transrien.
Bijou également que sa  Lettre à l’embryon, au ton très juste et aux images originales :
Suivront des années et des années aérobies, ce qu’on appelle une vie.
On a longtemps pensé que Jacques Morin s’était effacé derrière sa revue par manque de temps, en raison du travail considérable que requiert ce sacerdoce. En réalité, il s’agit de sa façon viscérale d’être au monde, d’une volonté assumée d’effacement, doublée d’une lucidité terrible, d’un attrait pour la couleur des murailles :
Tu passes en coulisses/ invisible/ à la limite de l’inexistence…
À mesure que tu marches/ tu disparais.
Le poète nous parle du corps, et aussi du corps mort, venu ou à venir, celui des autres, du père dont  le cadavre pèse dans la chambre au premier un jour de Noël, du sien :
On s’imagine dans son linceul, saucissonné, /ce drapeau de pirate, tibias croisés / sur crâne en icône.
Mais il nous rappelle que :
Tout fait poème/ même cette halte entre les mots.
Des vers comme ceux-ci peuvent sans doute nous aider à accepter le côté obscur de l’existence.
Un livre éclairé par le soleil noir de la mélancolie, que salueront tous les poètes, les sans-papiers à qui le revuiste a souvent offert leur première feuille. Une justice rendue à « Jacmo » par Louis Dubost, son éditeur et compagnon de la première heure.

note de lecture de Chantal Dupuy-Dunier
Jacques Morin
Une fleur noire à la boutonnière
Editions L’Idée Bleue.
13,50 €


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